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C’est le 15 novembre 1971 que la firme Intel annonçait dans la revue Electronic News la naissance d’un « microprogrammable computer on a chip » (« ordinateur micro-programmable sur une puce »). Inventeur officiel : Marcia E. « Ted » Hoff, qui s’était mis en tête d’assembler sur un mini-composant tous les circuits qui constituent un ordinateur. Ce microprocesseur référencé 4004 mesurait 3,2 mm et il pouvait effectuer jusqu'à 60 000 opérations par seconde. Une fantastique performance pour l’époque : c’est une puissance de travail est comparable à celle du célèbre ENIAC (un des premiers ordinateurs numériques construts après la Seconde Guerre mondiale), dont les circuits occupaient un volume d’à peu près 80 mètres cubes, en dépit des transistors miniaturisés mis au point par les laboratoires Bell à partir de 1948.
A peine nés, les microprocesseurs ont révolutionné toute l’industrie, en particulier les télécommunications et l’informatique. On trouve aujourd’hui des « puces » partout dans notre environnement immédiat, sur nos téléphones mobiles, dans nos micro-ordinateurs, nosfours à micro-ondes ou nos consoles de jeux. La course n’a jamais cessé, avec un doublement tous les deux ans de la capacité de traitement de ces « puces » et une division par deux tous les deux ans de leur taille. On parle aujourd’hui de nano-circuits quantiques, capables d’effectuer des des dizaines de milliards d’opérations à la seconde…
L’industrie des montres a été très durement affectée par cette révolution industrielle (la troisième, après l’invention de la machine à vapeur et le passage à l’électricité). La recherche horlogère travaillait depuis longtemps la piste de la précision électronique et du quartz quand elle a été prise de vitesse par les progrès de la micro-électronique. D’autant que les directions des marques n’ont pas cru à l’avenir du quartz [considéré à l’époque comme un gadget de riches capricieux, sans comparaison possible avec les bonnes vieilles mécaniques de manufactures], ni à la concurrence d’horlogers japonais plus attentifs aux progrès de l’électronique.
Les rares patrons qui trouvaient un intérêt et un avenir aux montres à circuits électroniques [Jack Heuer, en particulier, mais il y laissera son entreprise familiale] se sont brûlé les ailes en s’obstinant dans une approche purement horlogère qui les condamnait à conserver en permanence une ou deux générations de retard sur les avancées du marché.
Il faudra tout le génie stratégique de Nicolas Hayek et le biais de la Swatch [une innovation électronique] pour redonner un peu d’oxygène à l’industrie horlogère suisse et permettre aux montres mécaniques de reconquérir les vitrines et les cœurs.
Aujourd’hui, le débat introduit par les premiers micro-processeurs est clos : la belle horlogerie est mécanique [moins d’une dizaine de millions de montres par an] et le gros du marché reste électronique [plus d’un milliard de montres par an]. Ici, le rêve, la passion, l’émotion et la tradition. Là, la fonction et l’industrialisation.
Juste une question : et si l’électronique avait tout de même un avenir dans… le haut de gamme ? Selon l’actuelle axiomatique suisse, on ne peut pas imaginer de montres de haute horlogerie à quartz. Il est écrit dans les tables de la loi que la haute horlogerie sera mécanique ou ne sera pas. Ce n’est pas la récente disparition de Ventura (concept design + électronique haut de gamme) qui contredira cet axiome.
Pourtant, pourquoi ne pas tenter de réfléchir autrement ? TAG Heuer a maintenu une fenêtre sur ce champ d’exploration avec son MicroTimer, sa Sixty-Nine (mixte) ou son Calibre S (ci-dessus). Chez HD 3, Jorg Hysek a gentiment marié puce et tourbillon. Jaeger-LeCoultre n’hésite pas à flanquer son chronographe Amvox d’un transpondeur à pile. On pourrait multiplier les exemples…
Beaucoup de jeunes créateurs – la génération post-électronique par excellence – paraissent troublés par ce tabou anti-puces. Bercés dans un univers tapissé de micro-processeurs, ils se sentent aussi à l’aise dans la virtuosité mécanique que dans l’exploitation renouvelée des micro-électroniques horlogères, qui leur ouvrent en plus d’infinis potentiels dans l’exploitation esthétique des fonctions, des diodes, des écrans et des circuits. D’autant qu’on voit se multiplier les propositions alternatives aux piles traditionnelles.
On pourrait imaginer, à la faveur de la révolution conceptuelle introduite par la crise, une nouvelle ère de création dans l’électronique haute horlogère : cœur mécanique intégral, environnement électronique innovant. Propositions mixtes ou mutantes, concepts hybrides et baroques, transgressions méca-digitales ou subversions électro-mécaniques : les puces écriront sans doute de nouvelles pages de l’histoire horlogère.
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