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Du carbone au titane, l’horlogerie dévore le fruit du progrès
 
Le 12-04-2007

L’or ou le platine n’ont plus l’exclusivité du prestige. En horlogerie, le titane, l’alacrite ou encore le carbone ont rejoint le panthéon du luxe. De l’aérospatiale au nucléaire, les montres concentrent le nec plus ultra de la technologie actuelle.

Audemars Piguet maîtrise désormais le carbone forgé, Richard Mille l’alusic. Les montres de prestige en matières dites «non nobles» pullulent. Il a d’abord fallu oser le sacrilège: remettre en question le monopole des métaux précieux sur les montres de luxe. Audemars Piguet s’y attelle en 1972 avec son premier modèle Royal Oak. Montre-bracelet en acier inoxydable, elle est vendue au prix d’une montre de luxe: 3650 francs. «On nous a pris pour des fous, de grands rêveurs», raconte Nathalie Crausaz, attachée de presse chez Audemars Piguet. Mais le scandale s’estompe rapidement au vu du succès phénoménal que remporte le modèle. «Nous avions transposé les valeurs du luxe dans la finesse de l’exécution, la qualité du mouvement», poursuit Nathalie Crausaz. Le second coup de boutoir dans les dogmes vient de Hublot en 1980. Des bracelets en caoutchouc sont montés sur des boîtiers en or, du jamais-vu. Encore une fois les puristes brandissent le spectre de l’hérésie. Rien n’y fait, et Hublotconnaît aujourd’hui le succès que l’on sait. La marque s’apprête à franchir une nouvelle étape en présentant le Hublonium, son propre alliage.

De plus en plus de laboratoires techniques travaillent à la découverte et à l’utilisation de nouvelles matières applicables, soit à l’habillage de la montre, soit au mouvement. Approche esthétique ou technique, dans les deux cas un ardent besoin de nouveauté traverse le milieu horloger. Les fabricants du temps ont effet compris qu’ils tenaient à portée de main un nouveau, et très prometteur, champ de marketing; donc une façon inédite de se distinguer et de s’affirmer. Aux formes et à la mécanique s’ajoute ainsi l’univers de ce qui constitue la montre. D’ailleurs, la famille des matières novatrices s’est agrandie. Elle inclut désormais le tantale – totalement inoxydable –, le titane et le carbone – légers et extrêmement résistants –, la céramique – inrayable et éternelle – ou encore l’alusic – ultraléger – pour n’en citer que quelques-uns.

Dernière exclusivité: le carbone forgé

Audemars Piguet est le dernier en date à avoir innové dans ce domaine. Plutôt que de créer un matériau, l’entreprise a adapté une méthode de forge du carbone employée dans l’aéronautique. Premier modèle à bénéficier de ce nouveau savoir-faire: la Royal Oak Offshore Alinghi Team. Encore inexploité en horlogerie, le carbone forgé se distingue par sa résistance et sa légèreté. S’appuyant sur son savoir-faire dans l’usinage, la manufacture a réussi à fabriquer des boîtes répondant aux standards du haut de gamme – aspect satiné, touché doux. Pour forger ces carrures, un amas de fil de carbone est disposé dans une matrice qui subit ensuite une pression de 300 kg/cm2, et ce à haute température. «Nous voulions inventer une nouvelle façon d’alléger une montre, raconte Georges-Henri Meylan, CEO d’Audemars Piguet. Le carbone forgé répondait à cette attente, restait à maîtriser les contraintes techniques. »

Fortius Zenithium

En même temps qu’elle présentait ses deux nouvelles collections Defy en 2006, la manufacture Zenith dévoilait son propre alliage, le Zenithium. La tendance est encore discrète, mais de plus en plus de marques planchent sur une matière qui leur soit propre. Zenith fait donc office de pionnier avec ce mélange composé de titane, de nobium et d’aluminium conçu spécialement pour les mouvements des Defy. «Le nobium augmente la résistance aux chocs, explique Raphaël Bertschy, directeur du développement des produits à la manufacture. Nous avons développé cet alliage pour être novateurs et ne pas travailler uniquement sur l’habillage. Sa résistance et sa légèreté pourraient à terme servir à construire des mouvements pratiquement incassables. »

Invincible céramique

IWC a adopté la céramique pour sa dureté extrême et parce qu’elle offrait une garantie: une masse qui n’a pas besoin d’être peinte ou plaquée et d’une couleur uniforme. En 1986, la marque crée son premier modèle – le calendrier perpétuel Da Vinci – équipé d’une carrure en oxyde de zircodium, le nom technique de cette céramique fabriquée sous haute pression. «Chaque pièce est taillée dans la masse, commente Kilian Eisenegger, responsable technique chez IWC. Le procédé, très coûteux, dure plusieurs heures. La technologie employée ainsi que le temps investi rendent ces boîtes aussi onéreuses que leurs homologues en métal précieux. » Cette matière évite également qu’en cas de polissage la couleur de la boîte ne varie.

Apesanteur terrestre

La montre la plus légère du monde pèse moins de 30 grammes, boîtier et mouvement compris. L’exploit a été réalisé par Richard Mille, qui a fait appel pour la première fois de l’histoire horlogère à de l’alusic, un matériau composite à base d’aluminium et de molécules de carbure de silicium. Vingt-cinq pièces du modèle RM 09 doté d’une carrure en alusic sont sorties des ateliers et il n’y en aura pas d’autres, édition limitée oblige. Richard Mille a voulu sciemment casser l’alliance tacite qui joint le poids d’une montre à sa valeur. «Cette pièce est un fruit de la passion, raconte l’horloger. Je me suis fixé l’objectif de réaliser une montre en alusic, je l’ai atteint. De plus j’ai prouvé que le poids peut être inversement proportionnel à la valeur. J’en suis fier, car j’ai créé un modèle unique qui ne jouit d’aucun artifice inutile. Le succès rencontré par la RM 09 démontre que j’ai fait le bon choix. » D’ailleurs, Richard Mille comprend mal les horlogers qui ne profitent pas des qualités des nouveaux matériaux: «Le titane, par exemple, est très résistant et léger. Malgré tout, certaines marques qui l’utilisent compensent la perte de poids pour maintenir une certaine masse. Quelque part, on trahit la matière. »

Daniel Roth et Gerald Genta– propriétés du groupe Bulgari– vont entamer une démarche dans le même sens en renonçant dès l’an prochain à l’utilisation de l’acier pour les bracelets et les boîtiers. Elles le remplaceront par un alliage – encore tenu secret – propre à chacune des sociétés, qui, avec le temps, fera partie intégrante de l’ADN de ces marques.

Le silicium, serviteur de la précision

Parfois, les nouvelles matières se confinent aux tréfonds du mouvement, pour y faire des miracles. L’emploi de silicium dans la fabrication des spiraux permet de réduire au maximum la lubrification mouvement. Présentés pour la première fois en 2006, les spiraux au silicium ont été développés conjointement par plusieurs marques. Patek Philippe s’est joint à Swatch Group, à Rolex et au CSEM de Neuchâtel pour développer un alliage de silicium oxydé, le silinvar. La manufacture a ensuite travaillé avec l’Institut de microtechnique de l’Université de Neuchâtel (IMT) pour mettre au point son Spiromax. Parallèlement, l’horloger indépendant De Bethune a présenté un ensemble balancier spiral thermocompensé entièrement en silicium.

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