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Quatre braqueurs armés et déguisés ont raflé pour 85 millions d’euros de bijoux chez Harry Winston à Paris.
Ce hold-up record a été minutieusement préparé par des «pros» qui sont toujours en fuite. Parmi les suspects: les «Pink Panthers». Ces ex-soldats des guerres balkaniques sont bien connus en Suisse.
Cette artère vient de subir une sacrée hémorragie de diams! Quatre braqueurs ont attaqué la bijouterie Harry Winston et y ont emporté pour 85 millions d’euros de bijoux. Soit plus de 131 millions de nos francs.
Déguisés en femmes
C’est le casse du siècle chez celui que l’on surnomme «le prince des bijoutiers et le bijoutier des rois». Il y a un an, presque jour pour jour, cette même bijouterie avait déjà subi un hold-up dont le préjudice était estimé à 10 millions d’euros. Une récompense de 500 000 dollars avait été offerte par l’assureur pour retrouver les bijoux volés. En vain.
Jeudi après-midi, les quatre gangsters procèdent aux ultimes réglages. Trois d’entre eux enfilent robes et jupes, se maquillent afin de ressembler à de belles touristes et se mettent des perruques féminines. Le quatrième reste habillé en homme.
En un quart d’heure
Se faisant passer pour des «clientes» potentielles, trois malfrats entrent dans la bijouterie. Le quatrième demeure à l’extérieur. A l’intérieur, le trio brandit des armes de poing. Des agents de sécurité veulent s’interposer. Ils sont frappés à coups de crosse. La quinzaine de personnes qui se trouvent dans le magasin sont regroupées et mises hors d’état de résister. Un assaillant parle français sans accent. Les autres s’expriment avec un accent, peut-être slave, selon les victimes de l’agression.
Calmement, les assaillants – visiblement très bien renseignés puisqu’ils connaissent les noms de certains employés – raflent les bijoux qui sont disposés sur les présentoirs et ceux qui sont abrités dans les armoires. Bagues, colliers, boucles d’oreille disparaissent dans des sacs.
Puis les gangsters quittent les lieux et s’évanouissent dans Paris sans avoir tiré un seul coup de feu. L’opération a duré moins d’un quart d’heure.
«Je n’ai absolument rien remarqué à ce moment-là. C’est aujourd’hui que j’ai appris qu’il s’était passé quelque chose chez Harry Winston», nous répond un portier du Plaza-Athénée, palace dont la porte d’entrée est située à quelques mètres de la bijouterie.
«Une équipe de pros»
C’est la Brigade de répression du banditisme de la préfecture de police qui mène les recherches, sous la direction du Parquet du procureur de la République de Paris. Pour l’instant, les agresseurs courent toujours.
«Ce coup a été minutieusement préparé. Rien n’a été laissé au hasard car les assaillants savaient exactement où ils devaient aller dans le magasin. Ils ont sans doute procédé à plusieurs repérages. Nous avons affaire à une équipe de professionnels de haut niveau et de dimension internationale.
L’enquête qui commence risque d’être longue», nous explique une collaboratrice du Parquet, qui poursuit: «D’ores et déjà, les polices étrangères sont alertées. Aucune piste n’est négligée. On parle de Croatie, de Serbie, d’Estonie. Mais pour l’instant, rien n’est sûr.»
Ce hold-up est d’autant plus surprenant que la bijouterie avait multiplié les mesures de sécurité, notamment après l’agression de l’an passé.
Ainsi, la boutique parisienne disposait d’une alerte reliée à une centrale en Suisse. De plus, le système de vidéosurveillance a filmé l’attaque et les bandes sont en train d’être examinées par les policiers. Vendredi après-midi, des membres de la police scientifique travaillaient encore sur les lieux de l’attaque.
Parmi les suspects, un nom revient souvent: le gang des «Pink Panthers» (lire ci-contre). On ne prête qu’aux riches, certes. Mais la cible et le mode opératoire correspondent bien au profil de cette bande composée d’anciens soldats des guerres balkaniques.
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«Coup dur», dit-on à la fabrique genevoise
Le choc est rude pour la joaillerie parisienne Harry Winston. Les braqueurs ont emporté environ 130 millions de francs de bijoux dans la nuit
de jeudi. Un faramineux butin qui, selon toute vraisemblance, contenait des montres de luxe fabriquées dans la succursale du groupe à Genève.
L’usine horlogère de la marque haut de gamme, installée depuis un an à Plan-les-Ouates, abrite l’ensemble des processus de production. A savoir, la fabrication des boîtiers, l’assemblage des montres, le sertissage et le contrôle de qualité. En outre, le bâtiment accueille les services de conception, comme la sécurité.
Selon les derniers éléments de l’enquête, le dispositif d’alarme était relié depuis Paris à une centrale en Suisse. Mais depuis le casse parisien, le silence est de mise à la manufacture Harry Winston de Plan-les-Ouates. Le commandement provient de la plus haute hiérarchie du groupe. Elle tient en deux mots: «No comment.»
Contactés hier par la Tribune de Genève, les responsables outre-Atlantique se sont uniquement bornés à ajouter: «Nous sommes en train de coopérer avec les autorités dans leurs investigations. Notre préoccupation principale reste le bien-être de nos collaborateurs.»
A Genève, la nouvelle suscite une certaine émotion. «Un coup dur», selon les termes d’un membre du personnel de la manufacture. Pour ce dernier, l’essentiel est pourtant que personne n’a été tué. En dehors des dégâts matériels, il n’y aurait eu qu’un «blessé léger, suite à un coup de poing».
De mémoire de policier genevois, aucun cas similaire de vol n’est à signaler dans le canton. «Un coup comme ça, c’est très probablement l’œuvre de gangs internationaux, bien informés et particulièrement entraînés, estime leur porte-parole, Philippe Cosandey. A Genève, nous
déplorons à peine quelques dizaines de montres volées.»
La dernière tentative en date s’est déroulée le 14 novembre dernier au petit matin. Des malfaiteurs avaient essayé d’enfoncer une vitrine de bijouterie à la rue du Rhône avec une camionnette volée. Leur tentative avait échoué.
Parmi les hold-up les plus marquants ces dernières années figurent les casses de la bijouterie Patek Philippe à la place Longemalle et celui de l’enseigne Kunz au quai des Bergues. Le premier s’est produit en juin 2004. Les malfaiteurs avaient fait main basse sur plusieurs pièces d’horlogerie, d’une valeur estimée à plusieurs centaines de milliers de francs.
Cinq mois plus tard, rebelote. Avec là aussi un coquet butin à la clé. Mais rien de comparable à l’audacieuse attaque de jeudi dernier à l’avenue Montaigne.
Dejan Nikolic
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«Pink Panthers»
❚ Ils attaquent une bijouterie à Tokyo en mars 2004. Et une autre deux mois après à Londres. On les signale à Monaco. Puis en Suisse, en Italie, en Allemagne. Bref partout où le luxe s’expose, le gang des «Pink Panthers» s’impose. Bilan: 60 braquages dans 19 pays.
❚ A eux seuls, les membres de ce gang ont reconstitué la Yougoslavie de Tito. On y trouve des Serbes, des Monténégrins, mais aussi des Croates et des Kosovars. La plupart sont d’anciens soldats des guerres balkaniques qui n’ont pu se réinsérer dans la vie civile.
Cette bande est formée d’un noyau dur d’environ trente malfrats et d’un «personnel» estimé à 100, voire 200 individus.
❚ C’est à Londres que l’un des premiers «Pink Panthers» a été arrêté en juillet 2004, après l’attaque d’une bijouterie (butin: 41 millions de francs). Selon la presse britannique, il vivait en Suisse et travaillait comme nettoyeur dans un établissement hospitalier genevois. C’est aussi en Angleterre qu’ils ont reçu leur surnom de «Pink Panthers». Un diamant dérobé par eux avait été retrouvé dans un pot de crème cosmétique. Comme dans le film La panthère rose.
JEAN-NOËL CUÉNOD
Tribune de Genève |