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Toutes les révolutions commencent par une refondation sémantique : un nouveau vocabulaire doit
gouverner un nouvel ordre des choses.
Quels sont les nouveaux mots de 2009, en commençant par le volet social ?
••• LISTE DE MÜLLER : c’est une des chroniques de Business Montres les plus suivies ces dernières semaines, à tel point que certains copains prennent peur quand je les appelle au téléphone. On sait que personne n’est épargné, pas même les plus apparemment solides des « maîtres du monde » : en témoignent les départs récents de Georges-Henri Meylan, contraint de laisser son fauteuil à Philippe Merk [lui-même parti de Maurice Lacroix, la première marque à avoir annoncé un plan social] et de Patrick Heiniger (ci-contre), contraint par son board à s'en aller ailleurs « développer des projets personnels ». La rumeur le concernant bruissait à l’état-major de LVMH et de Richemont en fin de semaine dernière, mais j’avoue avoir eu de la peine à considérer que c’était fait, même si j’avais de bonnes raisons d’y croire [voir la note « Parachute doré » ci-dessous].
Ils ne sont donc que les huitième et neuvième de la « liste de Müller » – ainsi baptisée pour avoir été inaugurée par Olivier Müller (ex-Villemont). Cette liste concerne tous les patrons de marque qui étaient en poste à la fin de l’été, mais qui ne vivront pas l’été prochain dans leur fauteuil – quelles que soient les raisons de leur départ et sans jugement sur celles-ci.
••• Cette liste compterait déjà dix noms, mais il faut en retirer un, celui d’Eric Oppliger, qui tient formellement à préciser qu’il n’a pas été « éjecté » de la direction de Paul Picot. Ce que Business Montres ne disait d’ailleurs pas le 13 novembre dernier en écrivant : « Eric Oppliger quitte les montres Paul Picot, qu’il avait contribué à repositionner sur le terrain du design contemporain ». Dont acte : Eric Oppliger n’est pas une « victime » et il tient à le faire savoir : « Contrairement à ce qui été annoncé le 13 novembre 2008 sur le site de Business Montres, M. Eric Opplinger ne quitte pas la Société des Montres Paul Picot SA, au service de laquelle il reste totalement engagé et qu’il accompagnera une nouvelle fois au salon Baselworld 2009. »
Eric Oppliger devait (il aurait dû) quitter ses fonctions à l’âge normal de la retraite (65 ans) en février prochain. Ce qui a pu laisser croire à ceux qui lisent de travers qu’il avait été « éjecté ». Il est d’autant moins « victime » que le conseil d’administration et les actionnaires de Paul Picot lui ont demandé de prolonger son engagement, en attendant de lui trouver un remplaçant…
••• PARACHUTE DORÉ : le débarquement brutal et sans conditions de Patrick Heiniger constituera sans doute l’apothéose de l’horlogerie flamboyante des années deux mille. Arrivé aux commandes à la suite de son père, en 1992, Patrick Heiniger aura été le troisième dirigeant de Rolex au cours de son premier siècle d'existence. Sous sa direction, en un peu plus de quinze ans, l’entreprise a connu un développement remarquable et creusé l’écart entre son rang de leader et ses challengers. Patrick Heiniger en était l’« ambassadeur » et le représentant historique plutôt que le véritable manager, la gestion opérationnelle étant confiée à une équipe de cadres d’excellent niveau.
Les administrateurs de la fondation Wilsdorf, propriétaire de Rolex, ont mis fin au mandat de directeur général de Patrick Heiniger pour différentes raisons. D’abord, un train de vie personnel estimé trop dispendieux en heures de Falcon privé, yacht privé, maisons familiales et appartements personnels aux frais de la couronne. Sans parler d'une consommation effrénée d’assistantes recrutées dans les pays de l’Est, toujours aux frais de la couronne – ce que la morale calviniste réprouve tout particulièrement. Nonobstant ce comportement de « flambeur » [le mot a été prononcé en haut lieu, où il n’est pas vraiment dans les moeurs], on reproche surtout à Patrick Heiniger une gestion plus qu’hasardeuse des fonds de l’entreprise, placés dans les hedge funds les plus spéculatifs et donc les plus dévastés après le tsunami financier : on parle chez Rolex d’une destruction de valeur qui pourrait atteindre le milliard de francs suisses. De quoi écorner les trésoreries les plus confortables : un sorte d’affaire Madoff à l’échelle horlogère, cette comparaison n’étant pas forcément allégorique.
Le parachute de l’éjecté reste cependant plus que doré sur tranche : il se serait négocié autour des 100 millions de francs suisses, qui viendraient s’ajouter à une fortune personnelle qui dépasse largement le demi-milliard de francs [richesse curieusement non listée dans « Les 300 Suisses les plus riches » du magazine Bilan : pourquoi ?]. Une certitude : côté golden parachute, aucun patron de manufacture ne fera jamais mieux que Patrick Heiniger, dont le départ referme la porte d’une tendance horlogère bling bling et jet-set désormais totalement obsolète…
••• Au risque d’agacer certains de mes confrères et pour l'édification de mes lecteurs, un petit rappel. A votre avis, de qui parlait Business Montres le 27 novembre dernier ?
Dans « Les bons tuyaux du jeudi », une question était posée : « A quand un gros poisson sur la “liste fatale“ de Business Montres ? Il n’y a pas que les patrons des petites marques qui pourraient trinquer. On parle beaucoup d’un président qui figure parmi les plus gros salaires de la profession : il négocierait actuellement sa prime de départ, ainsi que la formulation exacte d’un communiqué officiel qui ne lui ferait pas perdre la face ». Oui, de qui parlait-on, sachant qu'il m'était légalement impossible d'en dire plus à l'époque ?
••• CHARETTE : c’est celle qui emmène les condamnés à la guillotine ou celle qui ramasse les cadavres de gladiateurs tombés dans l’arène. Il va falloir s’y habituer : les listes sont prêtes dans les grandes marques du groupe Richemont, dont quelques présidents vont devoir avaler leur chapeau, réduire la voilure et fermer des boutiques en attendant d’écouler leurs stocks. Même situation chez LVMH et chez de nombreux indépendants, de même que chez les fournisseurs. Peu d'informations filtrent du Swatch Group, qui pourrait s'avérer moins touché et surtout soucieux de gérer plus dignement ses ressources humaines. On parlera désormais de « charrette » pour évoquer les licenciements en série, à tous les niveaux de la hiérarchie, en particulier quand une marque disparaîtra dans la tourmente…
••• INFO OU INTOX ? Il faut plus que jamais se poser la question d’une manipulation possible, surtout quand l’information provient des concurrents [exemple du limogeage de Patrick Heiniger : voir ci-dessus]. Impossible, ainsi, d’affirmer que tel ou tel patron horloger d’une marque en vue va se trouver débarqué par son actionnaire ou que tel autre va se voir « promu » à la tête d’une marque périphérique de son groupe : ce type d’« éjection par le haut » évite à la hiérarchie de ce CEO de perdre la face et de subir un désaveu de la stratégie qu’elle approuvait jusqu’à ces dernières semaines…
••• OVERSTAFF : c’est le concept à la mode dans les groupes horlogers pour désigner la « graisse » accumulée du temps où les présidents se flattaient d’embaucher à tour de bras et de multiplier boutiques, manufactures et sièges sociaux. Les auditeurs internes estiment que ce surstaff concerne de 20 % à 30 % des effectifs actuels. C’est la raison pour laquelle toutes les embauches sont aujourd’hui gelées dans ces groupes, mais aussi chez les indépendants. Pour rester politiquement correct en échappant à l’overstaffing, il faut désormais parler d’allègement des effectifs après avoir « rationalisé la politique d’embauche » [comprenez : virer les stagiaires et les intérimaires sans renouveler les contrats à durée déterminée]…
••• PROJET PERSONNEL : quand on veut rester poli, on n’est pas remercié, sacqué ou viré, mais poliment poussé à « développer des projets personnels » loin de l’entreprise. Ce qui signifie, dans les semaines qui suivent, et une fois le « travail de deuil » effectué, entamer la chasse aux mandats de consultant – ce qui tombe bien, les marques se préparant à « externaliser » à outrance – en passant par la case « chasseurs de tête » – même si ces derniers ne savent plus aujourd’hui où donner de la tête tellement ils sont sollicités…
••• CHAISE MUSICALE : le départ des uns fera-t-il l’arrivée des autres ? Sous-entendu, celui qui vient de quitter le fauteuil A est-il privilégié pour s’asseoir dans le fauteuil B qui vient d’être libéré ? Dans le jeu des chaises musicales, on enlève une chaise à chaque tour. Sur un marché des marques en pleine crise, la situation s’annonce identique : certaines maisons mettant la clé sous la porte, il y aura vite moins de fauteuils que de prétendants. Constat des chasseurs de tête : le profil des cadres dirigeants a changé. Plutôt que les latin lovers et les bateleurs, les conseils d’administration privilégient désormais les gestionnaires dotés de fortes connaissances en logistique et en ingéniérie financière. Mercedes et non plus Ferrari, cost killers contre trend setters, industrie vs marketing : la bataille horlogère a changé de visage !
••• SAVE THE DATE
• Pour les premiers Ateliers de la refondation horlogère, réservez votre mercredi 4 mars.
• Thème de cette journée conviviale d’études intensives, d’échanges passionnés et de mises en perspective décapantes : « Y aura-t-il une vie après la crise ? ».
• L’avant-garde de la nouvelle génération horlogère est déjà mobilisée pour faire de cette journée le creuset d’une cohésion affinitaire encore jamais tentée en Suisse. Ce forum se tiendra au cœur des vallées horlogères, avec la participation de multiples « influenceurs » dans des domaines d’expertise utiles aux marques (design, médias, marketing, publicité, sociostyles, PLV, etc.).
• Entrée uniquement sur invitation, après le règlement de la participation aux frais : 400 euros-630 CHF (journée + déjeuner). Le nombre de participants est limité par la capacité de la salle. Réservez dès maintenant votre place et votre journée du mercredi 4 mars pour bénéficier d’une réduction de 25 % sur les réservations passées avant le 31 janvier (soit 300 euros-472 CHF la journée ; acompte obligatoire pour valider la réservation : 200 euros-315 CHF).
• Solidarité oblige : Business Montres accorde une réduction de 30 % aux premières « victimes de la crise » (cadres dirigeants, etc.) et aux jeunes créateurs (start-ups, etc), soit 280 euros-440 CHF.
• Inscriptions groupées : nous consulter.
• Messages : gregorypons@businessmontres.com).
• Renseignements : Alaric/Business Montres - quai du Seujet, 16 - CH-1201 Genève (Suisse). Tél : +41 79 800 23 08.
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