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Semaine chargée pour les montres, avec l’ouverture d’un SIHH 2009 décalé de deux mois avant Bâle,
alors que toute l’industrie horlogère se pose des questions sur son avenir : avec un optimisme résolu, beaucoup d’autres marques n’en vont pas moins profiter de ce SIHH pour faire leur propre show à Genève et dans les environs.
En route pour un marathon horloger d’une cinquantaine de marques à voir en cinq jours !
••• UN TOURBILLON EN LÉVITATION ARCHITECTURALE : on le découvrira cette semaine chez Concord, ou du moins à la manufacture BNB qui l’a développé pour la jeune marque [au choix, un an de renaissance ou cent ans à l’état-civil] du groupe Movado. Nom de code : C Lab Series, avec un C pour Concord, Lab pour exprimer la vocation expérimentale [cessons de nous gargariser de « concept watches » !] de la pièce et Series pour indiquer que ce tourbillon est le premier d’une série de montres inspirées.
Cette C Lab Series pratique l’anti-gravitation avec une ardeur qui relègue le tourbillon C 1 Gravity de l’année dernière à quelques galaxies-lumière de distance. Ce qui n’est pas rien, quand on se souvient de ce tourbillon hors-cadran, présenté au printemps 2008 et livré début décembre [un exploit dans l’univers des montres compliquées de nouvelle génération !]… On reste ici sur un boîtier proche du tourbillon Gravity, mais le tambour de la seconde extra-buxitale [hors du boîtier, pour ceux qui n’auraient pas fait de latin première langue] à 4 h n’abrite plus le tourbillon, qui est cette fois déporté à 9 h et qui semble en lévitation au bout d’un « bras » soutenu par des haubans, dans le plus pur esprit des architectures de Santiago Calatrava (Valence, Athènes, Lyon, Atlanta, etc.). Une pure merveille en terme de design, sachant le tourbillon lui-même est un « double axe » encore moins sensible à la gravité que le précédent – mais qui se soucie encore des effets néfastes de la gravité sur les spiraux des montres modernes ?
Un détail amusant à 2 h : le dispositif de la couronne, escamotée à l’intérieur d’une « tourelle ». Un autre au fond de la boîte : une sorte de capot amovible, pour jeter un œil sur le « moteur », qui est dépouillé à l’extrême. Et, bien sûr, plein de petites particularités originales en termes d’expression graphique d’un concept musclé, anguleux à souhait, très Blade Runner, comme le dessin de la platine inférieure ci-dessus, qui exprime à la fois la fidélité aux beaux-arts de l’horlogerie mécanique et l’essence des nouvelles charpentes de l’horlogerie d’avant-garde.
Côté taille et proportions, la « bête » est assez musclée, voire même volumineuse (un peu plus que le Tourbillon Gravity), mais elle n’en est que plus fascinante : attendosn avec impatience les films en images de synthèse qui nous permettront de voyager à l’intérieur…
••• Quand je vois cette montre, dont je ne publie volontairement que cette image particulièrement forte, je me dis que les Européens du Moyen-Age, habitués aux édifices romans, ont dû être frappés de la même stupeur face aux premières cathédrales gothiques. Là, avec cette première pièce des C Lab Series, on se risque dans une synthèse audacieuse de l’art contemporain, de la nouvelle vague architecturale (celle des créateurs qui redéfinissent notre quotidien), du Bauhaus et d’un certaine effervescence baroque dans la complication horlogère…
••• SACRÉS VEINARDS, CES SAS BRITANNIQUES : alors que les forces spéciales françaises n’ont droit qu’à une Casio G-Shock pour partir en opération, les SAS britanniques (Special Air Service, dont la devise est « Qui ose vaincra ») auront bientôt en dotation une Omega Planet Ocean apparemment stérile de tout marquage réglementaire.
••• Il semblerait en outre qu’Omega pousse actuellement ses feux pour relancer sa Speedmaster X-33 [qui est toujours officiellement la seule montre qualifiée par la NASA pour les futures missions habitées sur Mars] dans différentes versions militaires et civiles. Différentes escadrilles américaines en sont déjà dotées. Ce serait un peu la Casio G-Shock des troupes d’élite occidentales…
••• PRÉCISIONS UTILES POUR LES STATISTIQUES HORLOGÈRES : nous n’aurons les statistiques horlogères de décembre 2008 qu’en février 2009, le 3 exactement, et ce n’est ni « complaisance, ni volonté de saborage de la FH » – ce dont je donne volontiers acte à l’équipe des statisticiens de Philippe Pegoraro. Laquelle fait ce qu’elle peut, puisque ces statistiques horlogères sont issues des statistiques suisses du commerce extérieur. Ces chiffres sont traités par la Direction générale des douanes (DGD), qui fixe le calendrier de publication. Nous dépendons donc de ce calendrier, que vous trouverez, pour votre information, à la page
http://www.ezv.admin.ch/themen/00504/01904/index.html?lang=fr.
Même si, c’est vrai, les statistiques ne sont jamais publiées entre le 10 et le 15 (comme annoncé dans Business Montres), mais plutôt autour du 20 du mois suivant, celles de décembre s'inscrivent dans le cadre du bouclement annuel des données, qui nécessite, comme chaque année, une durée de traitement plus longue. Ce qui tombe parfaitement bien cette année pour « déplomber » le SIHH !
••• Nous voilà rassurés ! De toute façon, loin de moi l’idée de soupçonner la FH d’influencer ces chiffres. Je ne fais que constater leur prodigieuse inutilité statistique pour aider les entreprises membres de la FH à piloter leur stratégie. Et je trouve assez exorbitant que l’organisation faîtière d’une profession ne dispose pas de ses propres indicateurs économiques, qu’il s’agisse de ventes réelles, de chiffre d’affaires par marque ou de parts de marché internationales. Si cette crise doit pousser à un quelconque changement, cette approche statistique relèverait d’une priorité absolue…
••• REMERCIEMENTS À BASTIEN BUSS POUR AVOIR POSÉ LES BONNES QUESTIONS ! Dans L’Agéfi de ce matin, il demandait à notre Jean-Daniel Pasche, le président de la FH : « Les statistiques des exportations horlogères sont en train de provoquer une polémique, étant donné qu’elles ne reflètent pas la vérité au niveau des ventes? Que faut-il faire? Revoir votre modèle? »
La réponse de la FH : « C’est juste, nos statistiques reposent sur des chiffres d’exportation et non pas sur des chiffres de ventes aux consommateurs finaux. Il peut exister des écarts entre ces deux types de résultats. En outre, les statistiques FHS résultent de la consolidation des exportations de toutes les entreprises horlogères suisses. Celles-ci ne permettent pas d’établir l’évolution des affaires d’une entreprise ou d’un groupe en particulier, sachant que la marche des affaires peut être différente d’un acteur à l’autre. Quoi qu’il en soit, sur le moyen terme, elles offrent une image précise de la situation. Et ont de surcroît le mérite d’être neutres, puisque fournies par les autorités douanières. »
Nouvelle question : « Ne serait-il pas plus pertinent de proposer des statistiques spécifiques en ce qui concerne le sell out ? »
Réponse : « Ce serait sans conteste aussi intéressant. Mais nous ne disposons pas de ces données, et nos membres, donc les marques, ne souhaitent pas dévoiler de tels chiffres pour des raisons commerciales et stratégiques que l’on peut comprendre. »
Nouvelle question : « Pourtant, dans le secteur automobile, des chiffres de vente détaillés sont publiés chaque mois, à l’unité près, au garage près… »
Nouvelle réponse : « L’horlogerie ne souhaite pas une telle visibilité. Cette réticence s’explique par la culture de la branche, qui cultive – historiquement – une sorte de discrétion, en particulier au niveau des ventes, des partenariats, etc. »
Dernière question : « Des indicateurs avancés ne seraient-ils pas plus utiles à l’industrie, surtout pour les petites marques qui ne disposent pas d’une pléthore d’économistes et conjoncturistes dans leurs rangs ? »
Dernière esquive : « On en revient au problème de base, c’est-à-dire à la source des informations. En l’état, il est donc impossible de proposer ce genre de données. Surtout nous n’en voyons pas la nécessité puisque nos membres ne nous le demandent pas. »
••• Comme c’est sympathique quand les vrais journalistes posent les vraies questions. Celles que Business Montres pose maintenant depuis des années sans obtenir plus de réponses que Bastien Buss. Au fait, cher et estimé président, les réponses existent puisqu’elles sont dans votre coffre-fort : les cotisations à la FH étant assises sur le chiffre d’affaires des marques, vous disposez – seul ! – d’éléments statistiques qui intéresseraient tout le monde, mais que vos membres n’osent pas vous demander parce qu’ils ne savent sans doute pas qu’ils existent. Voulez-vous qu’on organise une consultation générale à ce sujet, histoire de créer une demande et une prise de conscience générale ?
••• ALLÈGEMENTS TROP PRÉVISIBLES : comme Business Montres le laissait supposer dès jeudi dernier, après l’avoir annoncé voici quelques semaines, les premières annonces de licenciements chez Cartier n’ont pas tardé, avec 170 personnes en chômage partiel à Villars-sur-Glâne et le non-renouvellement de nombreux contrats d’intérimaires.
••• Il est tout-à-fait normal, et même recommandé, pour une entreprise d’adapter ses effectifs à son activité réelle. On ne voit pas pourquoi le luxe échapperait à cette règle, ni pourquoi ce serait humiliant d’admettre de tels allègements. Alors que les syndicats confirment certaines baisses d’effectifs, on comprend mal pourquoi les marques s’entêtent à les démentir, comme Bruno Meier, le patron de Rolex, qui joue sur les mots en ignorant les contrats à durée déterminées, ou certains patrons de Richemont, qui ont déjà signé les directives de downsizing, mais qui attendent la fin du SIHH pour en faire état. Au mieux, c’est puéril et en tout cas très lâche…
••• LES INTERROGATIONS DE LA TÉLÉVISION SUISSE ROMANDE : moins d’un an après l’euphorie du SIHH 2008, on prend les mêmes et on déchante. Clients envolés et marché évaporé ! Dans l’émission « Mise au point » (dimanche, 20 h 05), la Télévision Suisse Romande interrogeait Grégory Pons et Denis Asch sur l’ambiance morose de ces dernières semaines (lien pour le téléchargement en bas de page).
••• 02:48 sans langue de bois sur la crise financière, les ventes catastrophiques de la fin d’année 2008 et les perspectives douloureuses d’une « année noire qu’il faudra oublier »…
••• LES TRIBULATIONS D’UN BIENNOIS EN CHINE : selon le Wall Street Journal, le Swatch Group continue à investir en Chine avec une ouverture prévue de 15 boutiques à Hong Kong et Macao. Cinq boutiques seraient attribuées à Omega, les autres revenant à Blancpain, Breguet, Longines, Swatch et Rado. Il s’agit ici d’anticiper une reprise de la consommation au second semestre 2009, dans une Grande Chine dont la croissance reste considérée comme élevée, avec des salaires qui ne baisseraient pas…
••• Un pari risqué, d’autant que le gouvernement chinois a récemment refermé le robinet des visas à destination de Macao, plongeant la cité-casino désertée dans un marasme sans nom. D’autre part, les observateurs ont noté, ces dernières semaines, des encouragements « nationalistes » à « consommer chinois »…
••• LANCE ARMSTRONG DOIT CHERCHER UN HORLOGER : les fans de vélos n’auront pas manqué, ce week-end, le retour de Lance Armstrong dans le circuit. Apparemment, il paradait dans toutes les conférences de presse avec sa Rolex GMT Pepsi-Cola, montre personnelle qu’il remplace pendant les compétitions par une tool watch électronique plus fonctionnelle.
••• Quand on connaît la cote de popularité du septuple vainqueur du Tour de France auprès des aficionados européens, on se dit qu’il y a des contrats de parrainage qui se perdent…
••• LES DÉPENSES HORLOGÈRES DE JULIEN DRAY : le décodage des dépenses horlogères du député socialiste Julien Dray a dû laisser pantois plus d’un smicard français ! 131 000 euros, c’est beaucoup, même pour quelqu’un dont les revenus dépassent 15 000 euros par mois. Essayons tout de même d’y voir plus clair. Ce que n’ont d’ailleurs pas fait les enquêteurs de la brigade financière – pas très bien renseignés sur les réalités du marché et qui sont passés à côté de plusieurs « pépites », dont je me garderai bien des les informer.
••• Comme des centaines d’entre vous, j’ai téléchargé sur le site de L’Est républicain (France), le rapport « confidentiel » de la police financière sur les dépenses horlogères de Julien Dray. Sur le strict terrain des dépenses horlogères, c’est tout sauf aberrant : « Juju » a acheté et vendu – « compulsivement », ce qui est son problème – des montres de luxe, en s’adressant aux uns pour se faire racheter ce que les autres lui avaient vendu. Attitude classique chez tout collectionneur qui se respecte.
Au final, si on retire du montant les 110 000 euros reversés par Romain Rea, Time Addict, MMC et quelques autres boutiques de montres d’occasion auxquelles il revendait ses montres, quelques dizaines de milliers d’euros claqués en montres chez Chronopassion, Hergon, Arije, Breguet ou Patek Philippe : pas de quoi fouetter un amateur de haute horlogerie qui dispose de 15 000 euros par mois. En revanche, au lieu de se focaliser sur les goûts de luxe de Julien Dray, les médias devraient plutôt analyser les flux de dépenses liées aux comptes des organisations satellites du Parti socialiste…
••• SUR MON AGENDA DE LA SEMAINE : des présentations à ne pas manquer :
• Au SIHH, voir absolument les inventions Cartier (surtout les concepts d’avant-garde), le concept « hydromécanique » d’Audemars Piguet, les nouveautés Van Cleef & Arpels, les propositions de Girard-Perregaux, les pièces préparées par Montblanc pour les 150 ans de Minerva, les classiques revisités par IWC et quelques bonnes surprises chez Piaget.
• Aux frontières du SIHH, le nouveau concept à quatre ressorts de Lütolf Philip, déjà repéré l’année dernière, mais qui a beaucoup évolué et mûri entretemps, quoiqu’il soit encore
• Au WPHH, chez Franck Muller Watchland, à découvrir absolument : les nouveaux mouvements Freedom [un très intéressant chrono patekphilippesque, disponible et fiabilisé], les idées un peu folles de Rodolphe et les inventions de Pierre Kunz, l’extraordinaire rigueur de la collection Pierre-Michel Golay [qui a réinterprété tous les classiques, du trois aiguilles à la répétition minutes]…
• Pas loin de Watchland, à La Réserve : les créations Cvstos 2009, toujours plus singulières, avec les premiers « mouvements manufactures » en direct de Franck Muller Watchland intégrés dans la collection.
• Dans les différents hôtels de Genève, quelques rendez-vous incontournables : aux Bergues, De Bethune et ses nouveaux DB-W1 à raquette réglable de l’extérieur de la montre (sans risque pour l’étanchéité) et nouvel échappement ; toujours aux Bergues, Urwerk ; à l’Hôtel de la Paix, un Max Büsser en pleine forme dans la suite Grace Kelly ; au Kempinsky, le nouveau mouvement promis par Favre-Leuba et quelques autres horlogers indépendants, dont HD 3…
• A la Cité du Temps, une exposition Blancpain sur les Fifty Fathoms et dans le Swatch Group corner de la rue du Rhône, d’intéressantes présentations dans les show rooms (notamment Jaquet Droz)…
• Ailleurs, les Cabestan de Jean-François Ruchonnet, les montres-pianos Steinway de Fabrizio Cavalca (ah, cette magique « seconde métronomique »), la montre Rudis Sylva au château du Grand-Saconnex, un dîner avec Jean-Claude Biver et d’autres encore…
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