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Et, cette année, c’est du grand, du très grand Biver. Un Biver d’anthologie que la crise a dopé aux hormones de croissance.
Il donne maintenant dans la prédication télévangéliste - l’effet Obama ? - pour s’exprimer plus librement que jamais, mais sa nouvelle Power King prouve qu’il n’a rien perdu de son inspiration
et de son flair marketing.
••• CHASSEZ LE BIVER, IL REVIENT AU GALOP : resté à la porte d’un SIHH où il s’est fait recaler par les grands féodaux du comité des exposants [il a les noms !], Jean-Claude Biver est passé par le fenêtre. Il a donc posé son estrade à l’hôtel Métropole de Genève et il en a profité pour lancer un partenariat avec la chaine Swissôtel, propriétaire des lieux, en posant le H de Hublot comme le H qui manque à cette chaîne [nous reviendrons un autre jour sur cet accord]…
Effectivement, pas de Jean-Claude Biver sans valorisation du référent suisse – c’est la foi des néophytes. Il a donc mobilisé au Métropole les longues trompes de montagne des Alpes suisses – celles dont le son terrorisait les ennemis des Condéfédérés – et son inévitable gruyère maison certifié « manufacture Biver » : on imagine la joie des Japonais ! Il en a également profité pour rappeler que sa manufacture de Nyon – cité lémanique voisine de Genève – sera bientôt inaugurée, avec un parc machines estimé à 20 millions de francs (les bâtiments lui auront coûté 20 autres millions, sans endettement bancaire) et à peu près 50 créations de postes, sans parler de la garderie d’enfants qui lui permettra de susciter des vocations horlogères chez les jeunes mamans. Au passage, il se flatte d’avoir le plus petit bureau de toute cette manufacture, contrairement aux rumeurs colportées chez LVMH selon lesquelles il allait disposer d’un bureau pharaonique…
••• RIEN N’ÉTANT JAMAIS INNOCENT CHEZ JEAN-CLAUDE BIVER, on traduira le message sur cette future manufacture Hublot – celle où se fera le futur « chrono Biver », peut-être livrable dès la fin de l’année, mais déjà bien avancé – comme une adresse subliminale aux Palexposants : « Nous sommes ici chez nous, nous étions à Genève avant vous et c’est vous qui êtes venus chez nous ». Ce qui n’est pas faux [à défaut de n’être pas tout-à-fait vrai] et ce qui lui permet au passage de décomplexer ses grands clients, qui ont profité du SIHH pour aller visiter leurs amis chez Rolex, chez Patek Philippe ou chez Franck Muller [de toute manière, quand il y a 17 marques dans une halle, et 47 qui jouent dans la ville voisine, les accusations de « parasitisme » sont vite ridicules !]…
Revenons maintenant à la prédication de Jean-Claude Biver et à son nouveau style très Obama, ses élans pleins de lyrisme sur le « partage du futur » et les métaphores rhétoriques sur une « fantastique » année 2009. Retour en Suisse avec l’ascension du Matterhorn, bien plus difficile à réaliser en hiver, mais autrement plus glorieuse qu’en été.
••• CITATIONS DE CETTE NOUVELLE MODE TÉLÉVANGÉLIQUE : « Des temps plus rudes nous attendent, mais ceux qui sont forts aujourd’hui seront encore plus forts demain »… « C’est en regardant le sommet de la montagne qu’on trouve sa route, pas en se contentant de scruter la semelle de ses souliers »… « Utilisons l’énergie agressive de cette crise et retournons-là pour la transformer en énergie positive au service de notre propre changement : c’est quand vous avez le pouvoir de changer le monde que vous êtes un créateur »… Du Billy Graham horloger !
Illustration de ce « Yes, we can » horloger, avec le détour historique de rigueur : vibrant hommage à Nicolas Hayek, le sauveur de l’horlogerie suisse au début des années quatre-vingt, quand l’industrie de la montre était au plus bas, quasi-moribonde, mais qu’un Jean-Claude Biver faisait le pari totalement fou d’une nouvelle horlogerie mécanique en (re)créant la marque Blancpain – « qui n’avait jamais fait de quartz depuis 1735 et qui n’en ferait jamais »…
••• LA BIVER ATTITUDE EST-ELLE CONTAGIEUSE ? S’il lui arrive de relever par instants du contrôle anti-dopage [il ne s’agit évidemment que d’endorphines générées par un insolent succès, qui revendique un « modeste » + 40 % en 2008 – effet d’annonce non garanti sur factures], cette promesse de « grands moments à partager » sonne comme une remobilisation des énergies, sur la base d’un nouveau réalisme managérial. Jean-Claude Biver a été le premier CEO à publiquement admettre des annulations de commande, quand beaucoup s’illustraient publiquement par un déni de réalité dont les coupures de presse les accompagneront longtemps [la longue mémoire d’Internet sera ici fatale aux adeptes de la langue de bois].
Les détaillants qui lui passent commande sont donc tentés de le croire quand il leur promet des lendemains qui chantent, des raisins dans les vignes, du lait et du miel dans leurs vitrines et une nouvelle King Power dans leurs best-sellers. Réponse à la question ci-dessus : au regard des réservations passées au Métropole, oui, la Biver attitude est transmissible quand la messe est chantée par un gourou aussi roublard !
••• « MERCI, FRANCO » ! C’est au passage le coup de chapeau de Jean-Claude Biver aux organisateurs du SIHH, qui l’ont poussé à venir une semaine à Genève en janvier, ce à quoi il n’aurait jamais songé du temps où le SIHH chevauchait Baselworld : « J’ai fait le plus fantastique salon de ma vie. Investissements minimum : cinq suites qui ne m’auront pas coûté 50 000 francs suisses et des commandes fantastiques venues du monde entirt, alors que mon stand à Bâle me coûte 1,5 millions. C’est le plus fantastique rapport qualité/prix de toute ma vie de manager horloger. Merci, Franco ! » On parlait de Franco Cologni, tous les insiders l’avaient compris et ils auront noté au passage l’emploi répété du mot « fantastique ».
••• AU FAIT, ET CETTE NOUVELLE BOMBE ATOMIQUE EN VITRINE ? Ah oui, parce qu’on est aussi là pour vendre des montres… Notez-bien le nom : King Power, qui est déjà, en soi, assez génialement trouvé. King pour la taille – impressionnante en 48 mm – et Power pour l’ambiance psycho-mystique qui imprègne désormais les prédications du Révérend Père Biver : on reste dans le registre du training mental anti-crise [les mots sont les choses dans cette logique de rebirth horloger] !
C’est une Big Bang nouvelle génération et on peut parier sur son impact commercial : 48 mm, c’est beaucoup, mais elle convient à des poignets relativement modestes du fait de la nouvelle conception de ses cornes, anglées à 42° [au lieu de 36° pour les anciennes Big Bang] : c’est peu, mais ça change tout. Dommage que les designers horlogers n’y pensent pas plus souvent ! Les détails sont plus musclés, avec des lignes plus tendues, sinon plus brutales, des vis retravaillées, une couronne caoutchouc-céramique, un nouveau bracelet.
La construction sandwich permettra, bien évidemment, de multiplier les propositions de séries limitées en variant couleurs et matériaux. Dans un tel boîtier, le nouveau « Biver chrono » manufacturé à Nyon sera comme un poisson dans l’eau, mais on peut y loger à peu près toutes les complications du marché, à commencer par l’actuel tourbillon-chrono monopoussoir de BNB (image façon paparazzi ci-dessus : d'autres images à venir dans les jours qui viennent).
••• AVANTAGE MARKETING DE LA NOUVELLE KING POWER : une différenciation très claire entre la Big Bang initiale, équipée d’un 7750 qui commence à faire commercialement cheap, et une collection qui permet des prix de vente plus élevés du fait d’un « mouvement manufacture » qui, s’il est intelligemment industrialisé [on peut parier qu’il le sera, sous la houlette d’un Ricardo Guadalupe qui veille plus que jamais au grain], ne sera finalement pas si coûteux en termes de prix de revient…
Bémols de rigueur : une aiguille des secondes un peu trop marquée par l’esthétique des runes nordiques, ce qui a pu choquer certains publics, et l’aspect pas forcément haut de gamme – mais il ne s’agissait encore que de prototypes – des inserts rouges ajoutés à la King Power, parfaitement réussie dans sa version All Black. Du coup, c’est toute la gamme des Big Bang traditionnelles qui prend un coup de vieux et qui se « swatchsise » en multipliant à l’infini son vertige de séries limitées, éditions spéciales et autres pièces commémoratives, plus bariolées les unes que les autres…
••• Bibi King est donc plus en forme que jamais ! Et Hublot devrait apparemment se tirer sans trop de difficultés d’une année 2009 qui sera très éprouvrante – avec des inégalités géographiques marquées, tant certaines régions du monde sont aujourd’hui surstockées et surdistribuées en Big Bang, largement disponibles sur les marchés parallèles si on en croit les rumeurs.
Tiens, au fait, puisqu’on parle de rumeurs, Biver chez Zenith ? Personnellement, j’ai toutes les peines du monde à y croire. Pour plusieurs raisons. D’abord, rien ne permet d’affirmer que le groupe LVMH ait vraiment l’intention de relocaliser Thierry Nataf chez Loewe, à Madrid, comme l’affirmait « Radio-Couloirs » à l’état-major LVMH de l’avenue Montaigne.
Que Thierry Nataf lui-même en ait rêvé, c’est probable et Loewe aurait sans doute gagné au change. Qu’il en ait rêvé à haute voix, au point de trouver échos et relais est tout aussi probable : l’intention y était. Que Zenith puisse se passer sans dommages de Thierry Nataf est tout aussi improbable, tant l’homme et la marque sont désormais étroitement et presque symbiotiquement confondus.
D’autre part, je doute que Jean-Claude Biver ait envie de quitter Hublot au moment où il a la chance de pouvoir achever une manufacture réalisée à son image – un futur Biver Building – et au moment où s’achève la mise au point d’un mouvement dont il a rêvé toute sa vie – le futur « Biver Chrono ». On peut donc raisonnablement considérer qu’il est lui aussi très symbiotiquement lié à Hublot pour quelques trimestres. Après ? Demain est un autre jour…
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