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Le SIHH vient de fermer ses portes et les mini-salons tenus ici et là dans Genève remballent leurs marmottes.
C’est l’heure de dresser le bilan, de compiler les bons de commande et de sentir les tendances de l’année.
Que faut-il penser de cette édition de Genève 2009 en janvier ?
••• LE CONCEPT DE « GENÈVE 2009 » – LANCÉ PAR BUSINESS MONTRES – RÉSUME LE MIEUX LA SITUATION : de même qu’il y a Baselworld 2009 pour l’industrie de la montre, il y avait cette année Genève 2009 pour la haute horlogerie. Genève 2009, c'est le SIHH et tous les autres mini-salons. Ce n’est pas qu’un mot, c’est bien plus qu’une évolution, c’est une révolution : le (petit) monde de la haute horlogerie s’est donc retrouvé à Genève, soit au SIHH, soit dans différents espaces au cœur de la ville, pour une vraie fête de la haute horlogerie. C’était à Genève que battait le cœur de la haute horlogerie pour ce début 2009 et on ne voit pas trop comment il pourrait désormais en être autrement…
••• Quand on trouve 17 marques dans un salon et 46 qui créent un événement hors de ce salon [donc, trois fois plus dehors que dedans], on ne peut plus parler de « parasitage » – comme on a pu le faire côté SIHH les autres années. On est face à une réalité économique et socio-culturelle : Genève s’est imposée cette année de façon évidente – et sans doute durable – comme la capitale mondiale de la haute horlogerie.
••• SANS L’AVOIR VOULU (VERSION OFFICIELLE), LES ORGANISATEURS DU SIHH ONT FAIT UN GROS COUP : c’était volens nolens un coup de force, qui se transforme de facto – à la faveur de la crise et à cause des réactions de la concurrence – en coup de maître ! Finalement, presque tous les détaillants qui comptent sont venus à Genève [nous verrons plus bas ce qu’ils ont commandé], de même que les meilleurs journalistes du monde entier. Le fait d’avoir déconnecté Bâle et Genève, loin d’être un handicap en situation de crise mondiale, s’est transformé en atout stratégique, qui dessine mieux que jamais les vraies polarités de l’année horlogère : Genève pour le très haut de gamme et l’avant-garde conceptuelle ; Bâle pour l’industrie. Genève pour les grosses commandes ; Bâle pour les gros volumes.
De l’avis unanime des marques qui ne pouvaient pas habituellement pratiquer Genève pour cause de fin de Baselworld, les infrastructures genevoises sont on ne peut plus propices au business haut horloger et le découplage des deux salons a rendu beaucoup plus « zen » l’ambiance commerciale de Genève. Business Montres citait cette semaine le cas de Hublot, mais ni Rolex, ni Patek Philippe, ni Breguet, ni le groupe Franck Muller, ni les autres n’auront à se plaindre de ce salon de janvier.
Côté Franck Muller, on a immédiatement repris rendez-vous pour… avril, avec la promesse de nouvelles pièces à faire découvrir aux détaillants. De leur côté, certaines marques du SIHH se promettent d’organiser un événement pendant Baselworld. Il n’y a plus de chasse gardée !
Genève 2009 a permis une prise de conscience et presque cristallisé une tendance qu’on pressentait depuis plusieurs années. Désormais, c’est à Genève que ça se passe et nulle part ailleurs !
••• La place de Genève se trouve ainsi « sanctuarisée » en métropole haute horlogère. Il s’agit maintenant de consolider cette nouvelle situation : si la question de 2010 ne se pose pas pour le SIHH [ce sera toujours en janvier], on n’imagine plus, aujourd’hui, un retour à l’ancien couplage des deux salons, qui n’ont plus qu’à trouver un équilibre mutuel dans leurs dix semaines de décalage. Reste cependant à équilibrer les prestations à Genève même : si le groupe Franck Muller procède à ses propres invitations, on est encore loin du compte pour les autres marques…
••• DES CONDITIONS DE TRAVAIL PAS VRAIMENT À LA HAUTEUR D’UNE CAPITALE DE LA HAUTE HORLOGERIE : si l’ambiance de travail est parfaite au SIHH (accès, accueil, salons, restauration), il n’en est pas de même hors SIHH. Avec autant de marques à visiter, il est devenu assez difficile de circuler d’un espace à l’autre : journalistes et détaillants n’ont cessé de déplorer la course contre la montre dans laquelle ils étaient lancés, entre Palexpo, Genthod, Nyon, Meyrin, Plan-les-Ouates et les six ou sept principaux spots de Genève Centre.
••• A moins de vouloir transformer le SIHH en cantine collective [chacun aura noté qu’il y avait plus de monde au moment du déjeuner qu’en matinée ou dans l’après-midi] , un minimum de rationalisation s’impose, ne serait-ce que dans la gestion des navettes et des transferts, mais aussi pour une meilleure centralisation et une meilleure coordination des présentations et des événements.
••• LES MARQUES QUI ONT MANQUÉ GENÈVE LE REGRETTERONT-ELLES ? Officiellement non, et elles trouveront les meilleures raisons du monde pour justifier a posteriori leur attitude. Officieusement, au vu du bilan de Genève 2009, on peut parler de « ratage », tant pour ce qui est d’occuper l’actualité que pour anticiper des prises de commande et aménager leurs flux de production.
••• C’est surtout vrai pour les maisons haut de gamme non genevoises, dont l’absence était un peu étrange dans le décor genevois : je pense ici à Zenith, à Ulysse Nardin, à Corum, à Ebel, à Breitling, à Chanel ou même à Louis Vuitton et à tant d’autres, dont la légitimité haute horlogère n’aurait rien perdu à cette petite fête de janvier…
••• OBJECTIVEMENT, C’EST LE SIHH QUI A DÉSORMAIS UN PROBLÈME : ouvrir ou ne pas ouvrir ses halles à d’autres marques ? Le comité des exposants s’y est toujours opposé – non sans résistance de la part de Franco Cologni, dont la FHH est « propriétaire » du salon. Pour 2010, 17 marques, un peu plus [en intégrant les marques liées aux marques du SIHH, comme Greubel-Forsey ou Richard Mille]ou beaucoup plus [dans un grand élan œcuménique, ne serait-ce que pour purger la liste d’attente à la porte du SIHH] ? Et pourquoi pas un SIHH off – plus ou moins officieux – pour les créatifs de la nouvelle haute horlogerie ? Et pourquoi pas une ou deux journées d’ouverture au grand public ?
••• Les prochaines réunions du comité des exposants risquent d’être très animées, entre les tenants du statu quo et les partisans de l’ouverture…
••• BON, ALORS, CE BILAN ÉCONOMIQUE DE GENÈVE 2009 ? C’est avec beaucoup de plaisir qu’on peut l’annoncer comme globalement positif et très loin de la catastrophe redoutée. Non seulement les invités du SIHH ont tenu à venir en nombre [20 à 25 % de fréquentation en moins, selon les chiffres officiels corrigés par les hôtels], ce qui a permis aux meilleures vitrines de la planète de faire acte de présence, mais les commandes ont atteint un niveau très honorable, encore que très disparate.
Seule tendance économique intelligible : moins de pièces en volume, mais des pièces plus coûteuses, ce qui a permis de sauver la face en termes de chiffre d’affaires – mais ce qui posera des problèmes pour maintenir des plans de charge satisfaisants dans les manufactures.
Pour le reste, tout dépend des marques, des collections, des pays et des détaillants : certains ont commandé autant – voire même plus – auprès de certaines marques, tout en coupant leurs ordres auprès d’autres manufactures.
Une certitude : le niveau des commandes – qui relève finalement de ce que les œnologues appellent un « petit millésime » – a en partie été sauvé par des détaillants venus de nouveaux marchés peu représentés jusqu’ici à Genève (entre autres, Slovaquie, petits marchés d’Amérique centrale, Syrie, Angola).
Une dernière évidence : ne pas croire les chiffres officiels diffusés par les marques. Celles qui ont performé – toutes proportions gardées – en reviennent si peu qu’elles jouent la prudence. Celles qui ont été plus touchées que prévu en rajoutent dans la vantardise et dans l’effet d’annonce…
••• Incroyable, mais vrai : certains responsables de marchés m’ont dévoilé leur solde comptable, avec des + 5 %, voire + 12 % par rapport à 2008, qui était déjà une année record. Quelques détaillants m’ont montré leurs bons de commande par marque, avec des contrastes ahurissants d’’une maison à l’autre. Impossible, cependant, de trouver une logique ou un fil conducteur dans ces résultats disparates.
••• LE BILAN « HUMAIN » EST TOUT AUSSI POSITIF : on a vu, d’une part, les détaillants reprendre du poil de la bête et tenir tête aux grandes marques [l’épisode Laurent Picciotto est désormais sur la place publique, ce qui lui a valu les félicitations appuyées de nombreux confrères] et, d’autre part, on a vu s’instaurer une sorte de « cool attitude » et de « zénitude » mentale bien différentes des ambiances des précédents SIHH et des précédents Baselworld.
Ajoutons à ce bilan « humain » une sorte de solidarité morale qui a soudé la communauté horlogère : on s’est globalement un peu plus parlé entre confrères et entre acteurs du marché de la montre, avec sans doute un peu moins de jalousies et plus d’échanges, dans une logique de décloisonnement des marchés et des marques. Ne pas négliger l’effet « Bonne année » sur l’ambiance : tout le monde était manifestement content de se retrouver, en début d’année, huit mois après les salons 2008, dans une sorte de convivialité « mammifère », après des tempêtes qui avaient fait douter et redouter le pire.
••• Sans le stress et la fatigue post-Bâle, chacun a semblé se trouver un peu plus à sa place au cœur de Genève 2009, posture qui a sans doute contribué à la décontraction générale de la semaine – alors qu’on aurait pu s’attendre à une ambiance plombée par la crise – et au regain d’optimisme général…
••• SUR LE STRICT PLAN MANAGÉRIAL, JANVIER S’IMPOSE COMME UNE DATE IDÉALE : traditionnellement, dans l’attente des salons horlogers de printemps, les deux premiers mois de l’année étaient un peu déprimés. Les commandes enregistrées à Genève 2009 ont permis de sauver un mois de janvier qui s’annonçait encore plus faible que les autres années.
Les commandes sont déjà parties chez les fournisseurs, qui y trouveront un peu d’oxygène en attendant Baselworld. De toute évidence, et de l’avis unanime, janvier est une date plus intéressante pour la haute horlogerie que mars-avril : elle permet de ne pas tout miser sur une semaine – au risque d’un événement fatal capable de tout gâcher, comme la grippe asiatique voici quelques années – et de maintenir un minimum de pression médiatique tout au long de l’année…
••• Du coup, c’est maintenant Baselworld qui a la pression, avec l’effet sans doute négatif de la publication des chiffres 2008 et la confirmation probable de l’état de récession des économies mondiales. Si Genève 2009 a pu profiter de certaines méprises sur une sorte de crise anticipée, toutes les illusions seront dissipées à Baselworld, où il faut craindre qu’une crise solidement installée ne fasse reculer les acheteurs de montres de gammes intermédiaires.
••• A SUIVRE, DANS LES JOURS QUI VIENNENT, QUELQUES ANALYSES SUPPLÉMENTAIRES SUR LES CONSÉQUENCES ET LES ENSEIGNEMENTS DE GENÈVE 2009 .
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