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On peut faire confiance à Jean-François Ruchonnet pour garder quelques idées d’avance sur les tendances horlogères.
Cette fois, il nous initie à une nouvelle génération hydro-mécanique : on peut parier que son concept sera vite très imité !
••• POUR LES HORLOGERS COMME POUR LES ÉCRIVAINS, IL FAUT SAVOIR GÉRER LA SUITE D’UN PREMIER SUCCÈS : c’est pourquoi toute la profession attend Jean-François Ruchonnet au tournant. On a fini par admettre qu’il avait réussi sa première Cabestan – enfin mise au point et aussitôt expédiée aux premiers inscrits de la liste d’attente – et on a même salué la performance de sa Romain Jerome by Cabestan : le co-branding était audacieux, mais un détail aurait dû nous mettre la puce à l’oreille.
Au dos de cette Titanic cabestanisée [rouille comprise !], on découvrait des tubulures d’autant plus étranges qu’elles étaient non fonctionnelles. Parti-pris esthétique ? Pourquoi pas, mais il faut savoir qu’un créateur – même aussi volcanique et prolifique que Jean-François Ruchonnet – ne laisse jamais perdre une bonne idée…
Voici donc le retour des tubulures, avec un concept de Cabestan deuxième génération qui est pour l’instant rebaptisé Chrono-Hydro. Chrono parce qu’il s’agit d’un chronographe Cabestan. Hydro parce que le chronographe est déclenché par une roue à colonnes hydraulique, commandée par les poussoirs, le liquide incompressible – une sorte d’huile – circulant dans les tubulures pour actionner ce sélecteur.
Troisième cerise sur le gâteau : il s’agit d’un double tourbillon vertical, avec différentiel, force constante grâce à une chaine qui s’enroule sur deux demi-fusées disposées à plat au verso de la montre [la translation des maillons de cette chaîne d’un axe vertical à l’axe horizontal des demi-fusées est tout simplement exceptionnelle].
••• MAINTENANT, LE BOUQUET FINAL : il s’agit d’un mouvement à double fréquence, l’une calée sur 18 000 A/h (alternances/heure), l’autre sur 36 000 A/h. Dispositif d’une simplissime ingéniosité : le premier tourbillon fonctionne naturellement à une fréquence peu élevée, ce qui lui garantit, du fait de la force constante fusée-chaîne, des performances chronométriques idéales. La seconde moitié du mouvement est le bloc chronographe, qui est lancé en 7/100e de seconde par le poussoir, qui actionne une sorte de mini-frein à disque pour « lancer » le tourbillon à haute fréquence, dont l’amplitude élevée permet une précision chronographique de l’ordre du 1/10e de seconde.
Aussi imparfaite soit-elle [c’est la règle du jeu pour les paparazzi de l’horlogerie], l’image ci-dessus permet de fournir quelques explications supplémentaires.
• En haut à gauche : la chaîne et les minutes du chronographe.
• En bas à gauche : le tourbillon vertical à 36 000 A/h, les secondes du chronographe et le 1/10e de seconde (dans le guichet bleu).
• En haut, au centre, dans le guichet bleu : la réserve de marche – ici, 8 jours (c’est le maximum et cette réserve élevée est rendue possible par le mouvement principal battant à 18 000 A/h).
• Au centre, en bleu : le système de freinage hydraulique avec les tubulures.
• En bas, au centre : le différentiel des deux tourbillons.
• En haut à droite : les heures et les minutes (index bleus).
• En bas à droite : le tambour des secondes et le tourbillon à 18 000 A/h.
• Les poussoirs du chronographe sont disposés classiquement (lancement du chronographe en haut, arrêt et remise à zéro en bas) sur le flanc droit de la montre.
••• N’EN JETEZ PLUS, LA COUPE EST PLEINE ! Pas tout-à-fait, puisqu’il faut savoir que cette Cabestan II dispose d’un boîtier légèrement plus grand que le premier modèle (taille augmentée de 10 %) et qu’elle ne comprendra pas moins de 2 000 composants, chaîne comprise. Le prix de vente final est estimé à 500 000 euros, pour une livraison programmée en 2012.
L’originalité de ce concept est de marier un « tracteur » [le moteur principal basse fréquence] et une « Formule 1 » [le moteur auxiliaire haute fréquence] au sein d’une même montre bi-fréquence à double tourbillon, système révolutionnaire protégé par un brevet, tout comme le dispositif de translation oléo-mécanique d’une commande chronographique. Avec cette Cabestan saison 2, l’équipe créative de la marque prouve qu’il est toujours possible d’innover dans le respect de la tradition, sans la moindre concession à la facilité. Avec, au contraire, l’instinct d’affronter et de surmonter toutes les difficultés mécaniques et techniques qu’on peut imaginer.
••• BIEN ÉCHAUDÉ PAR DE MULTIPLES « CONCEPT WATCHES » FANTÔMES, qui n’ont jamais dépassé le stade du prototype, je me suis demandé si je devais parler de cette Cabestan Chrono-Hydro qui n’existe encore qu’à l’état de schéma technique et d’images de synthèse. Deux facteurs m’ont décidé à traiter cette montre autrement que comme un effet d’annonce ou une simple virtualité créative :
••• En dépit de la réputation que tentent de lui assurer ses concurrents, Jean-François Ruchonnet sait aussi aller au bout d’un projet : il vient de le prouver avec la livraison des premières Cabestan en Europe et en Asie [une douzaine d’autres sont dans les tuyaux]. Quelques heureux amateurs sont là pour prouver que son concept de tourbillon vertical fusée-chaîne fonctionne et règle correctement, comme devraient bientôt en témoigner des certificats officiels de chronométrie. C’est parce que la montre était enfin au point que j’avais invité Cabestan sur le stand Business Montres au salon Belles Montres de Paris.
On peut aussi affirmer que les concepts de Jean-François Ruchonnet – il en revend quelques-uns aux plus grandes marques, qui ne l’avouent pas – fonctionnent plutôt bien : ce n’est pas de sa faute si le V4 construit pour TAG Heuer est toujours en panne [on a préféré embaucher à prix d’or des ingénieurs aéronautiques plutôt que l’expertise d’un Philippe Dufour : question de conception de ce que doit être la haute horlogerie], mais le double tourbillon de Breguet est enfin au point et déjà livré sur liste d’attente…
••• Le metteur au point de cette Cabestan II sera Eric Coudray, un des maîtres-horlogers les plus géniaux de sa génération [c’est l’ex-M. Gyrotourbillon de la manufacture Jaeger-LeCoultre, excusez du peu !]. Le logiciel mental d’Eric Coudray est celui d’un horloger du XVIIIe siècle égaré au troisième millénaire : il travaille ses mouvements comme le faisait un Leroy, un Berthoud ou un Breguet, pour que ces calibres témoignent des beaux-arts d’une horlogerie avant-gardiste considérée dans le meilleur de sa tradition mécanique. Autant dire qu’Eric Coudray – qui a remis en ordre le mouvement de la Cabestan 1 – est le facteur confiance le plus important de l’équation : s’il dit 2012, ce sera 2012 !
••• J’ajouterai un troisième point, plus personnel : j’ai encore en mémoire la première fois où Jean-François Ruchonnet – qui était alors un des papes de l’imagerie virtuelle – m’a dévoilé les images numériques de sa Cabestan. C’était en 2004. J’avais été suffoqué par la hardiesse du concept et immédiatement enthousiasmé à l’idée qu’une telle montre puisse un jour être réalisé.
J’ai appris depuis que le concept avait été présenté à une poignée de grandes manufactures, indépendantes ou intégrées dans un grand groupe : contrairement à ce que j’aurais pu penser, aucune n’a craqué ! Moi oui et, depuis, je n’ai pas cessé de harceler Jean-François Ruchonnet pour avoir des nouvelles de cette Cabestan, de sa gestation, de ses prototypes, de ses pré-séries et de ses pièces définitives.
Pour vérifier qu’il ne me racontait pas de craques, j’ai téléphoné à Singapour et en Russie pour contrôler si les pièces étaient bien livrées. J’ai tenu à visiter la micro-manufacture Cabestan de L’Orient, dans la vallée de Joux, pour « inspecter » les établis, compter les mouvements encore à l’état d’assortiment et scruter à la binoculaire les anglages. Je n’ai pas réussi à prendre cet éruptif chronique en flagrant délit de bullshit et j’ai même assisté à une ahurissante prise de commande. C’est donc pourquoi la Cabestan Chrono-Hydro m’inspire confiance pour 2012. Début ou fin d’année ? Là, pour le coup, j’hésite encore à m’avancer…
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••• A VENIR DÈS QUE POSSIBLE : des images du dos de la Cabestan 2, avec la révélation des deux demi-fusées horizontales, dispositif encore jamais tenté dans l'horlogerie mécanique...
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