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Inutile de se faire des illusions sur la « crise » : qu’elle soit ou non profonde, durable et planétaire
[on peut après tout soutenir des options contradictoires], elle sera de toute façon destructrice
de l’ancien système de valeurs et génératrice d’une nouvelle grille de références socio-culturelles.
Tentons un coup de projecteur sur ces valeurs émergentes…
••• LA FIN D’UNE HISTOIRE D'AMOUR : c’était dans le New York Times du 1er février et cette « histoire d’amour » concernait… les grands malls commerciaux des Etats-Unis, où l’ambiance a changé (« Our Love Affair With Malls Is on the Rocks », article de David Segal. Cinquante ans de « mariage » qui tombent à l’eau : si l’immense Mall of America (Minneapolis) – 520 boutiques, 40 millions de visiteurs par an venus de 32 pays, 20 000 places de parking, mais une fenêtre, ni une seule horloge – n’en est pas encore à frémir d’un début de panique, l’inquiétude gagne et les commerçants songent à déserter les lieux. Le culte de la carte de crédit n’est plus ce qu’il était ! Article à lire sur http://www.nytimes.com/2009/02/01/business/01mall.html?_r=4&hp…
••• POUR LES AMÉRICAINS, LA PARANOÏA POST-CONSUMÉRISTE EST TELLE qu’il faut désormais encourager les consommateurs à faire du shopping pour sauver l’économie. En leur rappelant au passage que leur économie a été sinistrée par… l’hyperconsommation financée au prix d’un surendettement colossal : le shopping n’est plus le problème, c’est désormais la solution ! Comprenne qui pourra, mais la dérive peut s’avérer fatale pour les 1 500 malls américains.
••• MÊME LE WORLD ECONOMIC FORUM DE DAVOS A RENONCÉ AU BLING-BLING : les limousines étaient très discrètes et les hélicoptères mal vus, cette année. Les paillettes ont disparu au cours de cette 39e édition et la Neue Zürcher Zeitung suisse (Zürich) a relevé l’émergence de « valeurs sûres – sobriété, retenue et modestie – face à la dimension de la crise mondiale». Sobriété qui pourrait bien entraîner la disparition du WEF lui-même, ou alors sa tenue hors de Davos, où les Grisons ne semblent plus très chaud pour accueillir à l’avenir d’autres manifestations de cette ampleur…
••• LA RÉALITÉ A EU RAISON DE LA VIRTUALITÉ, et la vague d’écume médiatique générée par Davos, ses fastes et son lyrisme financiarisé s’est tout simplement fracassée sur le béton d’une mondialisation mal comprise et mal conduite. Place désormais à une nouvelle tempérance managériale et à relative frugalité dans les appétits affichés.
••• LA COUPE VICTIME DE COUPES CLAIRES : à Auckland, les Louis Vuitton Pacific Series jouent à l’America’s Cup sans les milliards de l’America’s Cup. Le frisson, pas les millions ! Et, finalement, avec tout le monde sur les mêmes bateaux et de rares sponsors, on s’amuse presque plus.
Côté horloger, qui reste dans la course ? Officiellement, Omega [mais sans faire de zèle] à bord de Team New Zealand, l’hôte néo-zélandais, Audemars Piguet et Alinghi, Breil [c’est la seule marque de montres qui ait présenté une pièce à cette occasion] et Team Shosholoza, Hublot et Luna Rossa, Saint-Honoré [à doses subliminales] et les Français de K-Challenge, Girard-Perregaux de façon sporadique avec BMW Oracle. Mais ce n’est peut-être qu’une façon de réutiliser les tenues de la dernière Cup, justement pour faire des économies !
••• NI LES GRECS, NI LES ANGLAIS N’ONT DE SPONSOR HORLOGER mais leurs performances ne semblent pas s’en ressentir, ni d’ailleurs la qualité générale du plateau sportif et celle du spectacle : un bon tour de chauffe avant une America’s Cup moins dispendieuse ?
••• RÉVOLUTION SÉMANTIQUE CHEZ LVMH qui annonce pour 2008 [les chiffres officiels seront publiés demain] une « augmentation sensible » de ses résultats, alors que le groupe de luxe nous avait habitué à une « augmentation significative » de sa croissance. Vous saisissez la nuance ? Comme disent les sémiologues, au niveau du signifiant, c’est sensible…
Les commentaires personnels de Bernard Arnault seront cette année analysés au microscope, puisqu’il avait assuré, en février 2008, qu'une récession aux Etats-Unis – marché qui représente un quart des ventes annuelles de LVMH – n'aurait pas de conséquence « majeure » pour le groupe si elle restait « limitée à un ou deux trimestres », profitant de l’occasion pour confirmer son objectif de doublement des résultats tous les cinq ans.
••• ALORS QUE TOUTES LES PERSPECTIVES SONT BROUILLÉES et que tous les analystes sont perdus dans ce brouillard, on en revient au poids des mots et au choc des micros. Récession ou dépression, crise ou refroidissement, record malgré la baisse ou baisse malgré le record ? Même le vocabulaire change ces temps-ci…
••• ON PEUT AUSSI APPRÉCIER LA « NOUVELLE MODESTIE » PRÔNÉE PAR KARL LAGERFELD, qui a symboliquement choisi cette année de présenter une collection de haute couture en… papier blanc ! Exercice symbolique destiné à enterrer le bling-bling, face à un parterre de rédactrices de mode rangées autour de petites tables et non, comme toujours, sur des rangées de chaises où le rang protocolaire peut doper ou tuer une carrière : « C’est pour recréer de l’égalité dans un monde inéquitable », a expliqué le créateur…
••• ON A ÉGALEMENT ENTENDU DANS SA BOUCHE LE MOT QUI TUE, mais qui résume parfaitement la nouvelle sociologie du luxe : « Ma collection n’est pas pour les nouveaux riches – en français dans le texte – mais pour les très très riches ». On peut faire confiance au plus talentueux agitateur de tendances des arrondissements chic.
••• « SUPPRIMEZ TOUS LES E-MAILS QUI VOUS PROPOSENT DES « BONNES AFFAIRES » : c’est le conseil de Pam Danziger, gourou américaine du conseil stratégique et spécialiste de l’univers du luxe pour faire des économies. Interrogée par Market Watch, elle-même en est venue à se situer mentalement dans une nouvelle donne économique, où les envies de luxe ne sont plus justifiées, surtout aux nouveaux prix que pratiquement les marques qui n’ont pas compris cette évolution. « On a tort de penser que le luxe est mort, note cependant Steve Sadove, le CEO des magasins Sak’s. Il va évoluer parce que les consommateurs, qui veulent du luxe et des marques, vont évoluer dans leur conception du luxe ».
Burt Tansky, le CEO de Neiman Marcus, explique : « Economiser et préserver son argent est devenu le nec plus ultra du status symbol. Les riches se vantent aujourd’hui d’exploiter les trésors qu’ils ont dans leurs armoires ». Pam Danziger, qui préside Unity Marketing, considère que la bulle du luxe est sur le point d’éclater, tant elle est désormais incapable de justifier les prix qui sont exigés ». Article à lire en intégralité sur http://www.marketwatch.com/news/story/Luxury-retailers-hope-rekindle-customers/story.aspx?guid={4AD7F685-C1EB-4772-AB33-996B8A680479}.
••• JUSQU’À QUEL MULTIPLE ACCEPTE-T-ON DE SURPAYER UN PRODUIT DE LUXE tout simplement parce qu’il prétend avoir une histoire, une légitimité ou une excellence auto-référencée ? Bonne question, que les manufactures horlogères devraient se poser avant que leurs clients ne la leur posent : on voit déjà, ici et là, des tentations de revenir à des catalogues plus réalistes en termes de prix. Encore faut-il que les produits ainsi tarifés à la baisse soient créativement à la hausse !
••• CÔTÉ PRIX, JUSTEMENT, LES RÉFLEXIONS SE MULTIPLIENT SUR UNE NOUVELLE VAGUE DE LUXE LOW COST : « Les prix baisseront-ils ? C’est la fin de la partie pour ceux qui faisaient valser les étiquettes », titre le Wall Street Journal (29 janvier). Prévisions du journal, après enquête auprès de quelques smartest people d’influence dans le domaine du luxe :
• Des prix en baisse d’un tiers ou plus, avec des fashionistas plus soucieux que jamais du rapport qualité-prix. Apparemment, cette préoccupation est partagée par les grands couturiers, qui ont déjà fait chuter les prix de leurs dernières collections…
• Beaucoup de bonnes affaires à réaliser dans le haut de gamme, du fait de stocks toujours largement excédentaires et pour cause de comparateurs de prix toujours plus efficaces sur Internet – les achats en ligne gênent de moins en moins les amateurs de luxe…
• De plus en plus de produits fabriqués hors d’Europe pour pouvoir tenir ces prix revus à la baisse, grâce à l’amélioration de la qualité des productions asiatiques : les étiquettes « Conçu en France » ou « Dessiné en Italie » ont un bel avenir !
• Beaucoup d’hybridations des collections entre articles coûteux et piècs accessibles : c’est le cross-shopping des cross-shops conçues par les cross-couturiers, capables de signer de la haute couture le matin et une série pour H&M l’après-midi…
Article de Christina Binkley à découvrir sur http://online.wsj.com/article/SB123320030509927593.html.
••• DIABOLIQUE TENAILLE QUE CELLE OÙ EST PIÉGÉE L’INDUSTRIE HORLOGÈRE : des prix multipliés par deux depuis l’an 2000 face à des consommateurs qui refusent désormais de croire qu’ils sont justifiés. Comment manœuvrer sans perdre la face et sans ruiner une image restée fragile ? Maintenant que les nouveaux riches des pays émergents ont déserté les boutiques, comment retrouver la confiance des clients « émergés », un peu agacés de n’avoir plus accès à des marques qui leur étaient familières ?
••• LE BLING-BLING NE SÉDUIT PLUS LES AMÉRICAINS : sous ce titre-choc, un reportage de l’agence AP sur Rodeo Drive (Los Angeles) et sur la 5e Avenue New York) mettait récemment en valeur un nouveau sentiment : la naissance inattendue d’une « honte du luxe ». On cache les étiquettes des vêtements qu’on achète, on les déguise en « cadeaux » et on camoufle les shopping bags des marques de luxe. Le tout est d’être plus discret, même si on « claque » autant, et d’arriver en T-shirt pour acheter des robes de haute couture. Michael Levine, un publicitaire d'Hollywood, explique : « Nous avons cette culture de la honte du luxe. Je crois qu'il est devenu un peu honteux d'afficher sa richesse ».
C’est ce qu’un détaillant américain, John Simonian, confirmait lors d’une interview sur BFM Radio, pendant le SIHH : « Mes clients laissent leur Rolls-Royce au garage pour ne pas passer pour des ass holes – en anglais dans le texte. Et ils prennent leur Smart hybride pour faire bonne figure »…
••• PAS TRÈS MALIN : L’ARTICLE PUBLIÉ DANS LA PRESSE POPULAIRE SUISSE ÉTAIT ILLUSTRÉ d’une photo prise devant une boutique… Cartier ! Le débat reste ouvert : logo or no logo ? Relire à ce sujet l’information de Business Montres (« Le 360° du lundi 2 février) : http://www.businessmontres.com/breve_624.htm. On y découvre que certaines marques de montres ont déjà pris en compte le néo-chic de cette ultra-discrétion post-ostentatoire…
••• LE SAC À MAIN N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT : cette fois, c’est bien fini, nous annonce l’International Herald Tribune (2 février), le « It Bag » est redevenu un sac à main et les fashionistas ne se considèrent plus comme déshonorées si elles n’ont pas le bon « It Bag » de la semaine. Question : ces fashionistas peuvent-elles vraiment vivre sans leur besace ? On a des doutes, ce qui fait que les « It Bags » ne vont pas disparaître, mais se faire simplement plus discrets – moins de logos et de bimbeloterie – et plus sages, voire même moins chers et moins « malle arabe ».
En attendant, quoi que portent Victoria Beckham et Paris Hilton à leur bras, c’est à leurs pieds qu’il faut regarder : quelle est la « It Shoe » de la semaine ? On peut effectivement remarquer une prolifération de souliers à « plate-forme » [concept qui signifie que la forme du soulier est tout sauf plate], avec des talons extravagants, des couleurs et des matières insensées, sans parler des factures invraisemblables !
L’article de Suzy Menkes à découvrir sur http://www.iht.com/articles/2009/02/02/style/rslug.1-419294.php.
••• LE TOUT EST DE COMPRENDRE POURQUOI DES « IT SHOES » ? C’est une des clés de la nouvelle sociologie du luxe : comme les montres, les chaussures concentrent un maximum de symbolique dans un minimum d'espace et d’expression formelle. Même quand elles sont excentriques, elles signent une tenue plus discrètement qu’une besace voyante. De par le choix de leur pointure, elles sont plus « personnelles » qu’un sac relativement impersonnel. Un parallèle intéressant et une leçon à méditer pour les montres…
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