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Espoir secret, suprême pensée et certitudes affirmées de quelques « experts horlogers » :
à la faveur de la crise, les montres devraient vite revenir à des tailles plus « normales ».
Une promesse qui n’engage que ceux qui y croient.
••• INUTILE DE REVENIR EN DÉTAIL SUR TOUTES LES RAISONS QUI FONT QUE LES MONTRES – masculines ou féminines – ne devraient pas rétrécir dans les années à venir. Citons néanmoins quelques arguments élémentaires des analyses développées précédemment dans Business Montres.
• Les femmes ont aujourd’hui adopté les tailles de montres qui étaient celles des hommes jusqu’à l’an 2000. L’influence des modes va toujours des hommes vers les femmes, jamais l’inverse, et toujours dans le sens d’une recréation perpétuelle du fossé qui les sépare : dans toute l’histoire de l’Occident, on n’a jamais vu une tendance masculine adopter un standard féminin. Tout retour en arrière est exclu pour les tailles, puisque la « niche » inférieure est déjà occupée : si rétrécissement il y a, ce sera celui de l’épaisseur.
• Le retour des belles mécaniques, la vogue des nouveaux affichages de l’heure et le goût des concepts rupturistes a rendu nécessaire des tailles de boîtiers surdimensionnés, capables d’exprimer de façon encore plus spectaculaire les singularités individuelles. Les manufactures horlogères viennent à peine de commencer à augmenter la taille de leurs calibres mécaniques : pas question pour elles de reculer en plein redéploiement industriel.
• Le renouvellement global du parc des montres – nécessaire pour des raisons industrielles de relance des usines – exige de démoder le parc existant : le simple changement des tailles usuelles suffit à renvoyer les montres masculines d’hier au musée ou – pire – au rayon féminin ! Les prescripteurs – qu’ils soient comédiens, footballeurs ou designers – semblent également considérer que la cause est entendue : place désormais aux gros boîtiers, y compris dans les collections d’entrée de gamme.
••• AU FOND, C'EST NOTRE OEIL QUI A CHANGÉ, pas vraiment la montre. Quand Apple a tenté d’imaginer les tendances du marché micro-informatique après l’an 2000, de multiples projets ont vu le jour, dont l’étonnant prototype TimeBand (ci-contre), qui était un peu le mariage d’un Macintosh et d’une Swatch. Projet absolument impensable à l’époque (1991), essentiellement pour des problèmes de taille de l’objet à porter au poignet : Apple maîtrisait la miniaturisation et anticipait parfaitement l’avènement de l’informatique personnelle.
Le projet TimeBand devançait même le mouvement en passant du transportable au portable, avec un mini-écran qui équivaut à peu près à celui d’un iPod actuel, mais il était inimaginable d’envisager qu’on puisse accrocher un tel boîtier au poignet. Ce serait déjà beaucoup moins fou aujourd’hui : on voit se profiler de multiples montres-tableaux de bord (Business Montres, 1er février) et, même dans la haute horlogerie, la tendance 16/9e n’a pas fini de nous étonner – qu’il s’agisse de la WX-1 de DeWitt ou de la HM2 de MB&F. Sans parler, bien entendu, de toutes les montres électroniques multifonctionnelles, qui proposent aussi bien des GPS que des GSM et des cardiofréquencemètres autant que des baro-profondimètres.
C’est donc notre œil – et avec lui tout notre système de références esthétiques – qui s’est adapté aujourd’hui à l’impossible d’hier : nous admettons parfaitement qu’une montre est beaucoup plus qu’une montre et qu’elle sert à beaucoup de choses en plus de donner l’heure. Le boîtier n'est donc grand ou petit que par rapport à nos catégories mentales, évidemment contingentes à l'air du temps. La taille de la montre n'est bonne ou moins bonne qu'au prisme de goûts passagers et fluctuants.
La taille idéale est celle qui permet à un poignet de faire la différence, à l'intérieur d'une « fourchette » qui n'est pas du domaine de la géométrie, mais du domaine de la sexologie – ce qui est encore plus contraignant...
••• IL N'EST DONC PAS INTERDIT D'IMAGINER, pour demain, des montres Macintosh dans le goût de celle-ci ou – rêvons un peu – des A. Lange & Söhne avec fonctions Bluetooth pour émuler un Macintosh. L'époque se prête au métissage des technologies et on ne voit pas pourquoi l'horlogerie échapperait au mouvement qui a fini par mixer un téléphone, un appareil photo, un baladeur et un GPS...
Après tout, qui aurait jamais parié – par exemple à l'époque où Apple imaginait cette TimeBand – qu’on trouverait un jour un transpondeur électronique dans une Jaeger-LeCoultre qui servirait de clé de contact à une Aston-Martin ?
••• « E PUR SI MUOVE », COMME LE RÉPÉTAIT GALILÉE À SES JUGES PONTIFICAUX ! Effectivement, elle tourne, et vite, la roue de nos illusions sur l’intemporalité de nos montres ! Ces dernières n’échappent pas à un monde qui tourne à peine moins vite que les balanciers des meilleurs calibres. Quand on voit cette TimeBand, surgie des archives d'Apple, on se dit que les plus avancés de nos concepteurs horlogers sont encore bien sages...
C’est justement en changeant tout qu’on réussit à ne rien changer (hommage au prince Salina, le Guépard), c’est-à-dire qu’on parvient à maintenir intact la capacité de séduction et d’émotion de ces montres hors normes, qui sont les dignes héritières des cabinets de curiosité que devait avoir un « honnête homme » du XVIIe siècle ou des premiers laboratoires scientifiques privés des « hommes de progrès » du XIXe siècle.
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