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En dépit du marasme conjoncturel, la marque de Swatch Group résiste à la crise et va inaugurer quatre nouvelles boutiques en propre cette année
Petite leçon horlogère distillée par Nicolas Hayek. Prenez une marque endormie, sous-capitalisée, à peine à l’équilibre. Vous lui instillez la formule magique du patriarche de l’horlogerie et président du conseil d’administration de Swatch Group et une décennie plus tard elle renaît de ses cendres. Mieux, elle retrouve sa place dans le panthéon horloger. Une place qu’elle n’aurait jamais dû quitter d’ailleurs. Surtout avec un pareil patronyme: Breguet. Car c’est de cette marque fondée par l’horloger de génie neuchâtelois Abraham- Louis Breguet qu’il s’agit. A qui l’on doit entre autres l’invention du tourbillon, de l’échappement à ancre ou encore de la montre sans clef.
Reprenons. En septembre 1999, Investcorp, société d’investissement du Bahreïn, veut se séparer de son pôle d’horlogerie, comprenant Ebel, Chaumet, Breguet et le fabricant de mouvements Nouvelle Lémania. Nicolas Hayek n’est intéressé que par les deux dernières. «Maintenant qu’il y a prescription, je peux dévoiler que nous avons acheté les deux marques pour à peu près 250 millions de francs, reprise de dette comprise. Sans parler de la recapitalisation de la caisse de pension», explique Nicolas Hayek, qui fête cette semaine ses 81 ans. Le président du Swatch Group prend lui-même la direction de la société Montres Breguet, lointain successeur de l’entreprise du même nom créée par Abraham- Louis Breguet en 1775 à Paris. Nicolas Hayek restructure tout, renouvelle entièrement la direction, revoit à 80% les collections, réoriente le marketing, applique le mode de distribution de Swatch Group, ranime et remet à niveau Nouvelle Lémania, fournisseuse de mouvements non seulement pour Breguet mais aussi pour les Omega Speedmaster (la montre qui est allée sur la Lune). «J’avais donc besoin des deux entreprises. Mais c’est seulement plus tard que je me suis rendu compte de la perle que j’avais entre les mains avec Breguet, l’objet parfait pour lequel on pouvait se passionner. Plus personne ne connaissait le nom, hormis les historiens horlogers et quelques érudits. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce génie était tombé dans l’oubli.»
80 millions investis
Une petite décennie plus tard et quelque 80 millions de francs d’investissements pour les agrandissements, rénovations, extension de l’outil de production, etc., Breguet a totalement changé de visage. Sans toutefois renier le passé de son fondateur. Le tourbillon est porté au pinacle et la collection se décline en quatre familles. Résultat, la marque est passée d’une offre presque uniquement sportive à une collection de hautes complications. Les chiffres ont suivi le même mouvement ascendant. On pourrait presque dire exponentiel. Sous Investcorp, Breguet réalisait des ventes de quelque 40 millions de francs pour environ 4000 montres. Aujourd’hui, tout a été décuplé, voire plus. «Nous dépassons les 500 millions de francs de chiffre d’affaires annuellement et écoulons 42.000 montres et mouvements par an», selon Nicolas Hayek, qui continue de tout superviser, de la création à la commercialisation. Les difficultés financières ont été supplantées par une profitabilité impressionnante. Près de 35% de marge opérationnelle, selon nos estimations.
De quoi très largement autofinancer les investissements, autre marque de fabrique du Swatch Group. Les effectifs ont suivi, avec aujourd’hui 685 personnes qui travaillent entre les sites de la Vallée-de-Joux, de L’Orient (production) et L’Abbaye (siège administratif). Le nombre de boutiques en propre atteint désormais les quatorze unités, contre aucune auparavant. Quatre nouvelles seront inaugurées cette année, malgré une économie cacochyme. Justement, quel est l’impact de la crise sur le très haut de gamme?
Féminisation de la marque
«Breguet fait mieux que résister. Bien sûr, dans certains pays, nous reculons, mais dans d’autres, des hausses surprenantes sont constatées. » L’année 2008 n’a laissé presque aucun stock. En dépit du marasme, Nicolas Hayek n’a en outre pas réduit la production. Les machines CNC, flambant neuves, travaillent toujours en trois fois huit, et les horlogers et artisans oeuvrent à plein temps. «Nous avons désormais un peu de stock, environ pour deux mois et demi. Mais pas dans les grandes complications. Là, nous n’arrivons pas à honorer la demande. Cela dit, ces stocks sont tout à fait gérables. Breguet n’a pas inondé ses détaillants pour doper artificiellement les statistiques, contrairement à certains de nos concurrents.» La société s’est aussi diversifiée. Les montres femmes comptent désormais pour 20 à 30% de l’ensemble des ventes, avec entre autres le modèle Reine de Naples qui reste un bestseller alors qu’elle a été lancée en 2002 déjà. La famille Tradition continue de porter la marque et la demande pour la nouvelle montre double-tourbillon régulateur reste très soutenue, malgré son prix d’environ 400.000 francs, et le double avec diamants.
Parallèlement, Breguet continue de chiner dans les ventes aux enchères. Nicolas Hayek investit quelque 10 millions de francs par an pour racheter des Breguet de collection ou des modèles historiques. C’est Emmanuel Breguet, représentant de la septième génération de la famille du fondateur, qui est chargé de parcourir le monde et d’acheter les montres sélectionnées par Nicolas Hayek. Du coup, le petit musée de la marque, au premier étage de la boutique Breguet sur la place Vendôme à Paris, voit ses collections régulièrement étoffées. Nicolas Hayek ne veut pas s’arrêter en si bon chemin et voit nettement plus grand. Un projet de musée en Suisse est en train de mûrir. Une fois tous les détails arrêtés, la marque en dévoilera davantage.
Nouveaux agrandissements
Au niveau de la production, Breguet et Nouvelle Lémania ont fusionné par souci de rationalisation, pour donner naissance à la Manufacture Breguet. Cette dernière, encore pas rassasiée, va continuer de croître, après quatre phases d’agrandissement en une décennie. Des terrains adjacents au deux sites ont déjà été rachetés. Des plans sont à l’étude. Au-delà de la Swatch, c’est peut-être avec Breguet que la clairvoyance et la lucidité de l’industriel Nicolas Hayek se sont le mieux exprimées. «Honnêtement, je ne pensais jamais pouvoir en arriver là.» Il y a dix ans, une partie de la direction du groupe avait pourtant émis les plus grandes réserves lors du rachat, mettant carrément en péril la transaction, car il aurait fallu demander à l’avance, avant de signer le contrat d’achat, l’accord du conseil d’administration. Ce que Nicolas Hayek n’avait pas fait. Aujourd’hui, la marque est valorisée à plus de 2,2 milliards de francs par un institut américain, soit une hausse de 780% en une décennie. Qui a dit plus-value?
Bastien Buss
L'Agefi
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