Recherche avancée
A propos
Emplois

Achat - Vente

Relations d'affaires

Contact
 

Que fume donc Yvan Arpa (RJ-ROMAIN JEROME) ?
 
Le 09-03-2009
de Business Montres & Joaillerie

On passe vite de la légende au mythe, et du mythe à la mystification : comme tout bon communicateur,
Yvan Arpa adore les raccourcis et ne s’encombre pas de détails inutiles pour aller à l’essentiel.
Avec RJ-Romain Jerome, il milite pour une horlogerie plus ludique, bien en phase avec le goût contemporain du clin d’œil insolent et de la dérision : c’est parce qu’Yvan Arpa ne se prend pas au sérieux qu’il faut le prendre au sérieux.
Et se demander ce qu’il fume avant de lancer des idées comme son dernier tourbillon, qui crée une nouvelle « affaire Roswell »…

••• LE NOM DE ROSWELL EST MAGIQUE : POUR LES UNS, C’EST LE COMPLOT DU SIÈCLE. Pour les autres, un canular pris au sérieux par les « conspirationnistes ». Peu importe, puisque, en langue de bois marketing, c’est un sujet clivant et polarisant – comprenez par là que ça ne laisse personne indifférent.

Pour mémoire, et avec tellement de guillemets à chaque mot qu’il faut tout mettre au conditionnel, Roswell est un petite ville du Nouveau-Mexique près de laquelle une « soucoupe volante » se serait écrasée. Les débris auraient été récupérés dans une base américaine de l’US Air Force toute proche, dont des restes d’êtres extra-terrestres sur lesquels auraient été pratiqués des autopsies. L’aspet de ces humanoïdes – grosse tête livide et membres grêles – est d’ailleurs devenue un standard de l’esthétique science-fictionnesque.

La rumeur aidant et gonflant au fil des années en dépit des enquêtes officielles, qui ont conclu à des causes aussi naturelles et explicables que purement terrestres, le dossier Roswell est devenu le symbole d’un savoir caché – « La vérité est ailleurs » – que les adeptes du « conspirationnisme » prennent à cœur de dévoiler. Inutile d’en dire plus sur ce thème hautement polémique, mais on trouvera une présentation relativement objectif de l’affaire Roswell sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Incident_de_Roswell (si vous ne parvenez pas à accéder à cette page, veuillez copier l'URL précédente et la coller dans votre navigateur).

••• L’IMPORTANT POUR YVAN ARPA N’EST PAS DANS LA RÉALITÉ DES FAITS, MAIS DANS LA CHARGE ÉMOTIONNELLE LIÉE AU SEUL NOM DE ROSWELL : à peu près tout le monde a entendu parler de ce qui a/aurait eu lieu à Roswell. C’est ainsi que naissent les légendes, qui se muent rapidement en mythes contemporains – même s’ils reposent sur une mystification. C’est la fantastique capacité d’accélération des flux d’informations modernes qui est en cause : hier, le dossier Roswell se discutait dans d’obscures revues entre membres de la secte des croyants et gardiens du scientisme rationaliste. Aujourd’hui, Roswell passe à la télévision et voit ses échos démultipliés sur toute la planète grâce à Internet.

Yvan Arpa l’a bien compris et – sans grand respect des canons de la foi roswellienne ou anti-roswellienne – il mélange allègrement les impacts météoritiques, les traces de roues laissées par le MET (Mudularized Equipment Transport) dans la poussière lunaire et les éléments de ce qui aurait pu être un crash de vaisseau extraterrestre sur cette même Lune. Voici donc la Moon Dust Roswell, avec son grouillement de débris humanoïdes et de rouages supposés évocateurs d’un accident de soucoupe volante.

••• ON PEUT ÉGALEMENT CRÉDITER YVAN ARPA D’UN REMARQUABLE SAVOIR-FAIRE DANS LA MANIPULATION DES PULSIONS ÉDITORIALES. Il en a joué avec brio pour lancer sa Titanic-DNA, en avouant d’ailleurs que ce coup d’éclat médiatique palliait l’indigence de son budget marketing : à l’époque, Business Montres avait été le seul média à aimer la montre en détestant l’exploitation morbide du naufrage le plus spectaculaire du XXe siècle.

Business Montres avait sans doute moralement raison, mais commercialement tort puisque RJ-Romain Jerome a vendu ses différentes séries de Titanic-DNA par wagons. A peu près 130 tourbillons l’année dernière, pour ne donner que le chiffre du très haut de gamme : c’est à la fois complètement fou pour une non-marque et parfaitement explicable par les vertus réunies du shock marketing et du smart branding.

Il est évident que le dernier tourbillon « La vérité à propos de Roswell » a de quoi ranimer tant l’indignation des ligues de vertu matérialistes que celle des bien-pensants de l’horlogerie, avec une pointe supplémentaire de sparkling médiatique – la preuve, Business Montres s’en émeut une fois de plus ! On ne joue pas un tourbillon, diront les horlogers, un peu inquiets de cette disneylandisation d’un cadran, qui plus est plein de poussière lunaire et de figurines en 3D ! On ne joue pas avec le penchant naturel des humains à l’obscurantisme, diront les vigilants du rationalisme, qui n’auront pas compris que cette série limitée de neuf pièces était un pied-de-nez aux deux camps.

••• PARCE QU’ON PEUT ÊTRE SÛR QU’YVAN ARPA L’A RÉSOLUMENT FAIT EXPRÈS, EN RIGOLANT À L’AVANCE DES HOQUETS D’INDIGNATION de tout le monde. Il s’était déjà bien moqué de nous avec sa rouille, promue œuvre d’art contemporain ou son charbon récupéré dans les soutes du Titanic. Il a récemment remis le couvert avec sa poussière de cailloux sélénites mélangés à des morceaux rouillés de vaisseaux Soyouz de capsules Apollo (Moon Dust, Legend II). On l’a retrouvé tout aussi espiègle avec son Crisis Tourbillon, aux cratères lunaires plein de symboles monétaires écrasés. Toujours aussi « sale gosse de l’horlogerie contemporaine », il nous nargue à présent avec sa version horlogère du dossier Roswell – ici totalement fantasmé sur la Lune entre deux empreintes de roues terrestres.

De quoi redonner du piment à une légende Moon Dust sans doute moins « impactante » que la légende Titanic, pour maintenir autour de la marque RJ-Romain Jerome une délicieuse et sulfureuse aura de transgression. Le cocktail néo-horloger mis en piste par Yvan Arpa est ici plutôt bien travaillé :

• Mécaniquement : un tourbillon BNB, techniquement irréprochable et aujourd’hui parfaitement maîtrisé, idéal pour justifier une facture élevée et une production en série limitée.

• Esthétiquement : le boîtier Legend, avec ses superbes détails et quelques coquetteries supplémentaires, comme les aiguilles en antennes de Spoutnik russe.

• Artistiquement : au sens breughélien et médiéval du terme, une mouture assez grotesque de cratères sableux, d’humanoïdes disloqués, de traces de pneus et de rouages horlogers. Tout cela n’a aucun sens, mais c’est parfaitement évocateur d’un univers mental. A prendre comme un « geste artistique »…

• Mercatiquement : une politique subtile de la série limitée, qui permet de multiplier les piqûres de rappel tout en focalisant l’attention des marchés sur un seul produit emblématique.

• Médiatiquement : la puissance déflagrante du concept Roswell, véritable accélérateur de particules émotionnelles et puissant générateur de commentaires passionnels.

C’est une autre manifestation de la « nouvelle génération horlogère », qui s’exprime ici dans le délire thématique et polarisant – c’est la première fois que l’horlogerie verse du « côté obscur » des légendes contemporaines – plus que dans la sophistication mécanico-stylistique.

Je sais qu’Yvan Arpa a plus d’un tour dans son sac à malices et qu’il nous prépare d’autres happenings dans ce genre controversé qu’est devenu la « montre-sculpture à message historico-prophétique ».

••• PREMIER BON POINT POUR CETTE NOUVELLE « AFFAIRE ROSWELL » : on en parle, et c’est le but recherché [la preuve : ce que j’ai écrit et ce que vous venez de lire]. En parler ou ne pas en parler, là n'est plus la question ! On peut en tirer d’autres enseignements pour dépasser le stade purement réactif face à cette proposition :

• La montre est plus que jamais un « jouet de garçon » et il y a dans le monde au moins neuf cinglés absolus pour flamber 150 000 euros dans une pièce aussi disruptive – histoire de faire rigoler les copains !

• La montre se prend moins que jamais au sérieux et c’est désormais sa capacité à mobiliser des affects puissants qui lui donne un pouvoir de séduction, plutôt que la compilation rationnelle de ses avantages mécaniques et de ses qualités techniques. Constat qui reste valable pour les néo-amateurs avancés – et néo-friqués – de tous les continents. En ambiance Roswell, on est effectivement assez loin du Poinçon de Genève et des canons de la bienfacture…

• Tout est légende dans une société de communication et tout peut faire de l’usage à un manipulateur intelligent de « signes ». L’horlogerie contemporaine est un logiciel sémantique assez riche pour qu’on démultiplie les territoires d’expression, y compris dans le goût bizarre et non-conformiste. Les uns multiplient les recharges et les surcharges symboliques de leurs marques en les liant à des labels automobiles, des clubs de football ou des parades sur tapis rouges : est-ce illégitime de tenter une percée symbolique dans l’épaisse couche de non-dits et de croyances informulées qui structurent l’inconscient collectif. L’ufologie – domaine parascientique qui marie le conspirationnisme et les Unidentified Flying Objects – est une de ces tendances lourdes…

• Ce n’est pas en optant pour un retour aux traditions – le Back to classics ne serait-il pas un mythe incapacitant ? – et au statu quo ante que l’horlogerie se refondera, mais plutpot en suscitant dans le cœur des amateurs de nouvelles bouffées de désir et de désirs. C’est sa prédisposition pulsionnelle qui est en jeu. Le goût des belles mécaniques ne s’est pas assoupi, il est juste en train de se déporter : d’une part, vers le passé, avec les signaux faibles qui traduisent un retour vers les montres de poche dont les mouvements compliqués sont plus « lisibles » ; d’autre part, vers des lendemains encore flous, qu’on déchiffrera plutôt du côté des créateurs rétro-futuristes que des conservateurs. Le marché se resegmente en se repolarisant : malheur à ceux qui resteront dans la faille !

• Quand Business Montres décrivait 2009 comme « l’année de tous les dangers et de toutes les renaissances », c’était sans doute exact, mais bien au-dessous de la vérité : avec le tourbillon Roswell, nous entrons maintenant dans l’ère de la métaréalité horlogère…

Alors, venons-en au fait : que fume donc et que biberonne Yvan Arpa avant de nous servir ce genre d'objet tourbillonnant non identifié (OTNI) ? Pas forcément des choses interdites : on peut rester créatif en carburant au havane et au malt d'Islay. Le tout est de bien se dégager les méninges et d'oser penser en dehors des clous. RJ n'a pas fini de nous surprendre...

 



Copyright © 2006 - 2024 SOJH® All Rights Reserved

Indexé sous  WebC-I® - Réalisation Events World Time