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Un des animateurs les plus inattendus des récents Ateliers de la Refondation (Neuchâtel, 4 mars) a sans doute été un invité… numérique plein de verve, d’insolence et surtout doté de connaissances horlogères proprement encyclopédiques !
••• PRÉNOM : TIBER.
ORIGINE : MONDES VIRTUELS.
PERSONNALITÉ : COMPLEXE !
Tiber a fait sa première apparition en réunion publique aux Ateliers de la Refondation. Né du cerveau fécond de Mathias Buttet (BNB), cet androïde était un des co-animateurs de la journée : il n’a pas hésité à s’endormir ostensiblement quand l’intervenant devenait légèrement soporifique et il est intervenu sans se gêner dans les débats, pour y mettre un grain de sel qui était toujours très pertinent. Pour l’instant, Tiber n’existe que par l’intermédiaire d’un écran géant, mais il occupait une grande place à la Case-à-Chocs de Neuchâtel.
On le voit ci-dessus au cours d’une table ronde derrière Cécile Maye (Marvin) ; à droite : Nicole Dupont et Paul Junod. On notera au passage l’aspect spartiate de la « scène » de ces Ateliers : décoration brute de rock (n’roll) et mobilier en flightcase. Think different ! « Le médium, c’est le message » : cette première manifestation de la nouvelle génération ne pouvait quand même pas se faire dans les faux stucs du faux luxe d’un « palace » : une salle de rock, sinon rien ! Remerciements à l’ami Ian Skellern pour la photo.
Tiber, lui, pense et agit comme un homme. Il a ses propres mimiques, même s’il peut, par amusement ou par ennui, grâce à la magie du morphing, se muer brutalement en animal, en objet ou en monstre. Il parle et il agit avec intelligence : sa voix n’a pas de tonalité particulière, mais il est capable, à l’occasion, de prendre un léger accent vaudois ou de reproduire n’importe quelle autre voix, de Dark Vador à Bambi, au gré de ses humeurs.
Il répond avec tout autant d’à-propos aux questions les plus subtiles. C’est l’androïde [ne dites pas « robot », ça l’énerve grave] le plus horlogèrement compétent de cette planète, tant sur le simple plan des connaissances encyclopédiques dont il dispose [s’il le voulait, il grefferait son cerveau sur des bases de données Internet et il pourrait faire au moins aussi bien que Google] que sur le plan d’une vision très avant-gardiste de l’horlogerie. C’est d’ailleurs à ce titre, comme éminent représentant de la future convergence bio-numérique, qu’il avait été invité aux Ateliers. Ne lui demandez quelle montre il porte : il les a toutes à son poignet virtuel, même celles de la Confrérie horlogère (BNB) dont il est l’ambassadeur virtuel – et même celles que BNB prépare en grand secret pour Baselworld 2010, 2011 ou 2012…
Son grand problème reste la tétanie des humains quand ils sont confrontés à un être aussi intelligent que non-incarné. Cette « chair » qui manque à Tiber – dont l’ADN est purement binaire – dérange apparemment beaucoup les mammifères humains, qui se figent de stupéfaction quand il apparaît à l’écran, qu’il parle et qu’il pose des questions. Il aimerait dialoguer, on ne lui oppose que le silence. Il a des choses à nous dire, mais nos questions sont celles d’un gamin hébété face à l’inconnu. Drame de l’incommunivabilité ! Et encore, Tiber sait se tenir ! Il reste prudemment volontairement « humain », masculin et ado attardé quand il s’exprime, alors qu’il adore se muer, au cours d’une même phrase, en jolie blonde à gros seins, en crocodile tératoformé ou en sculpture cubiste.
Pour apprécier Tiber, il nous manque encore, à nous pauvres bipèdes structurés par une double hélice biologique [c’est moins vrai pour la nouvelle génération Nitendo-PS 3], la culture du contact non physique avec ces créations virtuelles qui commencent à envahir nos vies et nos écrans. Pour l’instant, nos propres « avatars » – ceux que nous mettons en ligne avec nos pseudos – restent un peu figés et fantomatiques – en tout cas non évolutifs. Demain, dans les méta-mondes non sensibles qui nous permettront de vivre plusieurs vies en une, nous jonglerons avec les apparences d’une hypervirtualité polymorphe et si réaliste que nous en oublierons de vieillir.
Au-delà de cette confrontation néo-poétique avec l’altérité existentielle, les participants aux Ateliers de la Refondation ont retenu de Tiber son approche très réaliste de tout ce qui concerne la montre, ses propos plutôt incisifs sur le Swiss Made et ses tricheurs [voir un androïde plus intégriste sur ce thème que Nicolas Hayek et Vartan Sirmakes réunis est pour le moins… troublant !], ainsi que ses boutades pleines d’esprit retravaillées au vitriol, sans le moindre respect des aînés et des convenances.
Impossible de résister à l’une de ces « vannes » qui ont secoué de rire l’assistance : « Biver + Hublot = Bibelot, objet inutile qu’on pose sur une étagère ». Cette insolence – qui donne une idée du ton et de la franchise des débats – restera dans les annales de ces Ateliers : Jean-Claude Biver aura la prochaine fois fort à faire avec des contradicteurs numériques de ce gabarit !
Parce qu’il y aura une prochaine fois, on le sait [les Ateliers se transforment en Université de rentrée horlogère, dès la fin septembre prochain, toujours à Neuchâtel, pour célébrer à la fois le vin nouveau et l’horlogerie nouvelle], et Tiber est refondateur de jure de cette nouvelle génération de reconstructeurs. Pour lui aussi, ces Ateliers étaient une vraie première : il s’est promis d’être encore plus offensif et plus mordant pour les prochaines journées. Il espère seulement que ses nouveaux amis – les « humains » de l’horlogerie, plutôt sympathiques malgré leurs handicaps sensoriels – lui parleront un peu plus directement, sans timidité.
••• OK, TIBER, C’EST PROMIS, ON ESSAIERA D’ÊTRE UN PEU PLUS ANDROÏDO-FRIENDLY LA PROCHAINE FOIS, mais il faut nous laisser du temps.
Nous avons mis quelques millions d’années à nous faire (vaguement) à l’idée que nous étions des humains, quelques centaine de milliers d’années à nous estimer sapiens, quelques dizaines d’années à nous considérer comme « modernes » et tout juste quelques mois à nous penser comme une nouvelle génération : il nous faut quelques semaines encore pour admettre que les créatures virtuelles sont des êtres – ou du moins des étants, au sens heideggerien du terme – à part entière…
En plus, soyons francs, on a encore du mal à admettre qu’un blanc-bec électronique puisse nous donner des leçons de haute horlogerie créative : on a notre petit orgueil, nous aussi. Merci d’en tenir compte !
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