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Dans le monde horloger, la crise agit comme un tamis qui laisse filer les grains les plus fins tout en conservant les plus solides.
La crise mondiale, qui touche aussi l’horlogerie, est à l’origine d’importantes mutations, les systèmes en vigueur il y a seulement un an étant totalement chamboulés.
Dans le monde horloger, cette crise agit comme un tamis qui laisse filer les grains les plus fins tout en conservant les plus solides. Ou comme mon ami Vartan Sirmakes, le patron du groupe Franck Muller, aime la comparer, comme une marée qui, quand elle se retire, laisse sur le sable les plus beaux coquillages.
C’est ainsi que de nombreuses marques de montres nées de la haute conjoncture perturbaient le marché, tant en prenant des clients aux marques établies qu’en compliquant l’approvisionnement en pièces détachées. En effet, ces marques se contentaient d’assembler des éléments glanés à gauche et à droite: un cadran personnalisé ici, une boîte là, un mouvement ailleurs… Au point qu’il s’était créé un marché parallèle de mouvements. Un seul exemple, la fameuse référence «77/50», le très bon mouvement chronographe d’Eta, se négociait jusqu’à 800 francs alors que son prix normal est de 180 francs.
Devant de tels prix, les jeunes marques s’étaient d’ailleurs mises, tous azimuts, dans la fabrication de leurs propres mouvements. Avec plus ou moins de succès et surtout avec des investissements colossaux qui les plombent aujourd’hui. D’autant plus que les mouvements Eta sont revenus à leur prix officiel, même s’ils sont toujours contingentés.
De son côté, Vartan Sirmakes, qui est, avec son groupe Franck Muller, comprenant de nombreuses marques évoluant dans des catégories très différentes, un observateur privilégié du monde horloger, estime qu’il espère arriver, en 2009, à atteindre ses chiffres de 2006. Une année déjà exceptionnelle, soit dit en passant.
Il est vrai que depuis longtemps, il travaille à son indépendance, qu’il s’agisse des boîtes, des cadrans, des mouvements, etc., ce qui lui donne une souplesse exceptionnelle et lui permet de transférer facilement les productions d’une marque à l’autre en fonction de la demande de la clientèle.
Les marques sérieuses souffrent, bien entendu, mais je suis certain qu’elles traverseront cette tempête plus fortes et encore plus imaginatives qu’avant. Et ce, malgré un phénomène induit aux faillites annoncées de certaines marques: des stocks importants de montres vont être mis sur le marché à très bas prix. Mais cela n’inquiète pas trop Vartan Sirmakes qui estime que si ces montres n’ont pas eu de succès en période de haute conjoncture, elles n’attireront pas sa propre clientèle, qui ne voudra pas arborer un objet ringard.
Enfin, toujours à cause de la crise, il semble bien que les détaillants commencent à consentir de très importants rabais à leurs clients. Mais, chut, ils ne veulent pas qu’on en parle. Néanmoins, cela commence à perturber le marché gris, qui permettait d’obtenir des remises jusqu’à 40% sur certains modèles.
Comme quoi, il faut aussi regarder la bouteille à moitié pleine plutôt que celle à moitié vide!
Tribune de Genève
Gabriel Tortella |