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Dévoilés lors de la présentation des résultats 2008 du Swatch Group, les deux nouveaux calibres
chronographes automatiques ETA sont une arme anti-crise pour le groupe, non seulement pour reprendre la main sur le terrain des mouvements d’entrée de gamme, mais aussi pour « nettoyer » le terrain au profit des marques du groupe…
••• LE PREMIER DES DEUX CALIBRES EST UN CHRONOGRAPHE AUTOMATIQUE ROUE À COLONNES référence ETA A08.231 : caractérisé par une roue à colonnes, il ne remplace ni le 7750, ni le 2894, mais il les complète avec une offre « industrielle » très attrayante, puisque toutes les études (conception, réalisation, production) ont été menées avec le souci d’un time to market réduit au minimum.
Principaux atouts de ce nouveau chrono automatique roue à colonnes, qui équipera en priorité la gamme Longines, Tiffany & Co et Hamilton : design et architecture qui mettent en valeur les mobiles [les amateurs adorent voir battre leurs mécaniques préférées], un enclenchement plus doux et plus précis des poussoirs, des profils de pièces optimisés pour réduire l’usure tout en améliorant la performance chronométrique (susceptible d’être certifiée sans difficultés), une raquetterie originale, roue à colonnes mise en valeur par un « puits de lumière », une réserve de marche de 60 heures, des procédures de production qui mobilisent l’ensemble des établissements concernés au sein du groupe [autant faire travailler ses propres usines !] et qui ont permis de mettre en place la plus grande ligne de production jamais construite en Suisse.
Promesses de ce 13 lignes ¼ , qui ne compte pas moins de 260 composants et qui se pose en chef-d’œuvre de la nouvelle ingénierie horlo-industrielle : robustesse, fiabilité, précision et… rentabilité extrême pour le groupe, une fois qu’on aura digéré les lourds investissements consentis. Autant dire que ce calibre ETA A08.231 est une arme de guerre pour le Swatch Group, c’est-à-dire à la fois une arme de dissuasion massive pour les éventuels concurrents asiatiques [qui prennent là une génération industrielle de retard, Swiss Made en moins, ce qui est stratégiquement décisif] et une arme de destruction massive pour les concurrents des marques du groupe, qui ne pourront pas « tirer » leurs prix faute de contenus horlogers adaptés au nouveau profil de crise du marché…
••• LE SECOND CALIBRE EST UN CHRONOGRAPHE AUTOMATIQUE D’ENTRÉE DE GAMME, QUOIQUE SWISS MADE : référence ETA C 012.211 : il s’inscrit dans l’héritage génétique des anciens calibres Astrolon de Tissot (premiers mouvements à avoir intégré des matériaux de synthèse) et dans la descendance du Lémania 5100, dont il reprend la logique.
La maîtrise de l’injection industrielle par le Swatch Group a permis ici de produire un vrai calibre chronographe automatique Swiss Made, équipé d’un échappement synthétique à haute performance, qui soit capable de verrouiller la porte d’entrée sur le marché des mécaniques accessibles. Tous les laboratoires d’études du groupe ont été mobilisés pour répondre au cahier des charges présenté par Tissot, qui a financé l’ensemble des développements, avec, là encore, un time to market remarquablement raccourci [en fait, le mouvement était annoncé chez Tissot depuis plus d’un an, mais il sort maintenant pour des questions d’opportunité stratégique]. Quelques astuces en plus des mérites de la techno-injection pour réaliser ponts et platines : une platine en laiton sur un seul niveau (temps d’usinage réduits) et une masse oscillante elle aussi très facile à fabriquer.
Promesses de ce 13 lignes ¼ doté de 46 heures de réserve de marche et conçu pour être augmenté de multiples fonctionnalités ultérieures (184 composants) : un excellent rendement, une grande légèreté, un entretien plus facile et une formidable… profitabilité industrielle ! On aura donc le parfum et le style des grands calibres mécaniques, sans en payer le prix. Impossible de faire plus sobre et plus économique, en dépit d’une valeur perçue très supérieure. On le trouvera dès ce printemps sur la nouvelle gamme Tissot (chronographe Couturier ci-dessus) et, plus tard, sur les Swatch automatiques…
••• CES DEUX INITIATIVES D’ETA SONT ULTRA-STRATÉGIQUES, non seulement à cause de la crise, qui reconfigure tous les paramètres du marché, mais aussi dans la conquête de nouvelles parts de marché sur des segments élémentaires et intermédiaires négligés par des marques trop pressées de faire remonter des dividendes vers leurs actionnaires.
Le Swatch Group verrouille un peu mieux son marché Swiss Made et bloque par une offre attrayante toute initiative parallèle ou alternative des concurrents asiatiques : c’est finement joué. Pour Swatch, c’est peut-être même le socle idéal pour une reconquête après un repositionnement de la marque sur des bases plus contemporaines que celles qui ont permis à la marque de vendre près de 350 millions de montres en un quart de siècle. Même pour Tissot, qui peut proposer un chronographe automatique indubitablement Swiss Made à moins de 600 euros prix public, c’est un booster commercial de première importance.
On peut regretter le choix d’un 13 lignes ¼, sur un marché qui ne semble pas décidé à s’orienter vers des tailles masculines plus réduites : sauf si le Swatch Group a des études qui tendent à lui prouver qu’on reviendra bientôt à des tailles « classiques » [aucun signal n’est envoyé dans ce sens par les marques ou les clients, au contraire !], on a sans doute manqué là l’occasion de proposer le chronographe 16 lignes qui manque aujourd’hui pour compléter l’offre Unitas. De bonne source chez ETA, c’est dans les tuyaux, mais il aurait mieux valu sortir le C 01.211 l’année dernière, pour présenter le chrono 16 lignes cette année…
On pourra également regretter l’extrême traditionalisme de l’architecture de ces calibres, sinon l’intégrisme de leur conception : on sent la pesanteur de la culture ETA et du rigorisme lémanien. Dommage ! Il y a aujourd’hui d’autres solutions techniques qui, sans remettre en cause les nécessités industrielles d’une production de masse, donnent aux mouvements un peu plus de glamour aux yeux des amateurs. Il faut qu’un mouvement mécanique sente l’huile et les copeaux : c’est parfait de ce côté. Il faut aussi qu’il soit sexy : j’ai l’impression que la mariée a encore du poil aux pattes et qu’elle récite un peu trop son bréviaire horloger. On aurait pu s’amuser davantage avec les différentes expressions stylistiques que permet la techno-injection [Il suffit de regarder un mouvement BNB ou un calibre Roger Dubuis pour comprendre qu’un supçon de design ne nuit jamais à la rigueur micro-mécanique] !
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