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Les anniversaires sont une aubaine pour les marques horlogères. Omega, qui a accompagné l'épopée lunaire, ne pouvait rater l'occasion de ressortir la célèbre Moonwatch.
La tendance à mettre en valeur les modèles emblématiques et historiques est générale. Aux folles années 2000 succède un Salon de crise, où domine le repli stratégique sur le classicisme et la sobriété
En période de turbulences, grande est la tentation d'appuyer sur «pause» et de s'offrir un arrêt sur image. Histoire de freiner un peu la course du temps, surtout lorsqu'elle s'emballe. Amorcé en 2008, confirmé lors du Salon international de la haute horlogerie (SIHH) de janvier dernier à Genève, le repli stratégique sur les modèles historiques est de mise. Baselworld 2009, qui s'ouvre ce jeudi, en apporte la confirmation. Une nécessité, clament les uns, un vrai bol d'air, soufflent les autres, du réalisme économique, analysent certains observateurs, comme Yves Vulcan, de l'agence Darwel, spécialisée dans la communication des marques horlogères suisses: «Produire des montres déjà connues, même toilettées, revient moins cher que produire des nouveautés. Et ça compte!» Ça compte d'autant plus que la fréquentation de Baselworld devrait baisser, comme ce fut le cas du SIHH (-20%). Les commandes, elles, devraient accuser une chute égale à la baisse des exportations de -22% pour les deux premiers mois, selon la Fédération horlogère.
Erreur stratégique?
Gregory Pons en revanche, journaliste libre qui tient le site Internet Business Montres, crie à l'erreur stratégique: «On privilégie les vieilles recettes au détriment des modèles de rupture; or les gens ne veulent plus de classique, les détaillants en regorgent. Ce qui s'est le mieux vendu au SIHH était les modèles originaux!»
A condition que l'innovation ne vire pas à l'hystérie. La course effrénée aux nouveautés à tout prix? C'était bon pour les folles années 2000, observe Vincent Lapaire, directeur d'Universal Genève: «Pour beaucoup de marques, le recentrage a commencé à s'opérer en 2008 déjà; finie la mode bling-bling, finis les modèles extravagants pour nouveaux riches qui affichaient leur fortune au poignet. En 2008, clients, détaillants, journalistes disaient que mes montres ne faisaient pas assez «riche», et c'est le contraire qui se passe aujourd'hui.» Tradition, le maître mot: lorsqu'il a repris Universal Genève en 2003, Vincent Lapaire a baptisé l'ensemble de sa collection «Okeanos», le dieu grec des origines. Tradition est également le nom de la collection emblématique de la marque Raymond Weil. Son CEO Olivier Bernheim note que «le superflu n'a plus sa place», et que «ce phénomène va durer». Passé les années fastes, «qui ont vu une explosion des modèles», le public se rend compte que «ce qu'il pensait être des valeurs intangibles, Swissair ou UBS, s'effritent, et il recherche de l'expérience et de l'expertise.»
Adrian Bosshard, patron de Certina: «Il est nécessaire de présenter quelques nouveautés, mais il ne faut pas inonder le marché.» Le luxe ostentatoire ne fait plus recette. En cela, la branche horlogère suit l'air du temps et le climat politique, où soufflent des velléités de morale et d'austérité.
Les manufactures au passé prestigieux entendent donc se distinguer de tous les nouveaux venus des années 2000, ces private labels sans légitimité historique, mais dont personne ne peut nier le dynamisme et l'inventivité, du moins en termes de design.
Retour à la sobriété
Le slogan lancé par le site Swiss Exhibitors, qui regroupe les exposants suisses à Baselworld, est explicite: «Culture horlogère plutôt qu'habillage flamboyant». Et qui dit culture dit retour aux modèles phares de la marque, ceux qui en constituent l'ADN. CEO de Mido, Franz Linder mise sur «le design intemporel» de la Commander, créée en 1959, qu'il ressort pour ses 50 ans. «C'est une montre connue de nos clients, qui savent que l'acheter n'est pas une dépense, mais un investissement, qui peut rester des générations dans une famille. Nous sommes là pour durer.»
Président des exposants suisses à Bâle, et aussi CEO de Tissot, François Thiébaud renchérit: «En 2009, le marché est devenu plus dur, et les clients sont davantage attentifs aux valeurs sûres, aux valeurs intrinsèques d'une montre.» Mettre en lumière les collections historiques, souligner le savoir-faire parfois séculaire d'une marque ne signifie pas bégayer, corrige Vincent Lapaire: «Faire du vintage ne servirait à rien, il s'agit de remettre un modèle au goût du jour.»
La tendance existe dans tous les segments, du milieu au haut de gamme: Patek Philippe revisite sa Chronometro Gondolo, mise sur le marché en 1921, et Breitling, pour fêter ses 125 ans, ressort une Navitimer calquée sur celle de 1952. Les anniversaires sont l'occasion rêvée de revisiter son patrimoine. Ainsi chez Certina, qui ne pouvait laisser passer le cinquantenaire de sa DS1, et sort la version chronographe, «dans le genre sport classique, où l'on retrouve l'ADN de cette collection, y compris dans les proportions d'origine», explique Adrian Bosshard.
Et, lorsque la commémoration est collective, l'impact est encore plus grand: en sortant une version 2009 de la Speedmaster Moonwatch, Omega célèbre en même temps les 40 ans des premiers pas sur la lune de Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Pour le CEO Stephen Urquhart, «lorsqu'on a un produit aussi connu que la Speedmaster ou la Constellation, avec une telle pérennité, il serait fou de ne pas le soutenir. Du reste, nous nous sommes rendu compte que, lorsque Omega sort une montre qui s'éloigne des codes de la marque, elle se vend moins bien.»
Un espace pour l'horlogerie du futur
Et la recherche, aux oubliettes? Cofondateur de De Bethune en 2002, Denis Flageollet le déplore: «J'ai un grand respect pour le savoir-faire, mais il est important d'y intégrer de nouveaux matériaux, de nouvelles technologies, de nouveaux dessins de boîtes; on se sent étriqués dans un monde horloger qui n'ose pas y aller franchement... Beaucoup de designers voudraient bien innover, mais ils se heurtent à des générations de techniciens enfermés dans leurs traditions.»
Ce n'est pas un hasard si De Bethune fait partie des douze petites marques invitées à la première Watch Factory, accueillie par Baselworld, et initiée par... Gregory Pons. «C'est le minisalon de l'avenir, explique-t-il, car les marques les plus créatives sont justement celles qui ne s'appuient pas sur une légitimité historique. La machine horlogère est malade, elle ne voit qu'une crise conjoncturelle là où il y a une révolution sociologique. Si, en 1929, on s'était replié sur les classiques, nous porterions encore des montres de poche... En 1789, Breguet ne se crispe pas, mais invente le tourbillon! C'est cet état d'esprit là qu'il faut privilégier.»
Le Matin Dimanche
Ivan Radja
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