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La communauté horlogère était heureuse de se retrouver hier dans une ambiance assez positive :
beaucoup de nouveautés (à digérer dans les jours qui viennent), beaucoup d’inquiétudes (naturelles) et beaucoup de questions sans réponse sur l’avenir le plus immédiat.
HIER, LE FRANC-TIREUR A…
••• SENTI CIRCULER UNE ÉTRANGE ÉNERGIE À BASELWORLD : si la crise est désormais bien inscrite dans les raisonnements de chacun, elle pousse aussi tout le monde à réfléchir au-delà de ce salon et au-delà de son carnet de commandes. Personne n’espère de miracle sur le marché de l’horlogerie, mais chacun se situe désormais dans une logique de survie qui induit de nouveaux réflexes et une nouvelle ouverture d'esprit. Aucune désespérance, même chez les CEO les plus menacés, mais une sorte de lucidité tragique dans la volonté d'affronter le pire avec courage...
••• COMPRIS QU’ON ALLAIT LONGTEMPS REPROCHER À LA DIRECTION DE BASELWORLD ses propos sur une industrie « durement touchée par la crise ». C’était réaliste de l’avouer aussi franchement, mais les marques restent trop victimes de leur propre langue de bois pour être déjà habituées à un langage de vérité. Premiers à recevoir le message, les journalistes présents à Bâle sont aussi les premiers à être « durement touchés » : ils seront un peu moins nombreux à circuler dans les couloirs et ils resteront un peu moins longtemps à Baselworld. Les médias horlogers sont aussi un peu moins chargés en publicités qu’ils facturent de toute façon beaucoup moins cher…
••• LOIN D’AVOIR ENVOYÉ UN MESSAGE NÉGATIF, ce constat de la direction de Baselworld et de son comité des exposants n’a fait que confirmer tout haut ce que tout le monde dit tout bas dans les couloirs du salon. Pour les messages positifs, il suffit de circuler devant de nombreuses vitrines pour comprendre que la crise a stimulé les énergies créatives…
••• DÉCOUVERT QUE PHILIPPE STERN (PATEK PHILIPPE) QUITTERAIT EN FIN D’ANNÉE SON FAUTEUIL DE PRÉSIDENT pour laisser la place à son fils, Thierry. Un bon exemple de transmission du flambeau au sein d’une entreprise familiale indépendante qui entend le rester. Formé par son père depuis de longues années, Thierry Stern aura donc la difficile mission de maintenir le cap dans une période qui s’annonce agitée. En tout cas, il a bon moral…
Confidence de Philippe Stern : « Nous allons forcément vendre un peu moins de montres et nous allons donc adapter notre production à ces nouvelles conditions de marché. Comme j’ai toujours assuré le développement de l’entreprise sur ses fonds propres, sans recours aux banques, nous avons les moyens de faire face en redéployant nos équipes pour rendre notre outil encore plus efficace. 1 400 employés à Genève, c’est une responsabilité, mais nous avons encore beaucoup de pain sur la planche pour livrer nos commandes, améliorer notre SAV et renforcer nos équipes de recherche. Comme ça, on sera meilleurs dès le marché se reprendra ».
••• FORCÉ LES PORTES DU STAND CONCORD, AVANT MÊLE L’OUVERTURE OFFICIELLE, pour voir de plus près la C1 Quantum Gravity enfin terminée. Pas de doute, c’est une des pièces maîtresses non seulement de Baselworld 2009, mais aussi de l’art horloger contemporain : design irréprochable, architecture intérieure stupéfiante, multi-innovations dans la complication, accumulation des « premières horlogères » et portabilité inattendue de l’ensemble. Au poignet [images au porter à venir], ça ne laissera personne indifférent et la fascination opèrera sur tout individu porteur d’un minimum de curiosité. Vincent Perriard et son équipe (comme celle de BNB, qui a conçu le mouvement) avouent qu’ils se sont beaucoup amusés à réaliser cette pièce : on ressent cette motivation créative dans la montre…
••• COMPRIS QUE LA CRISE HORLOGÈRE NE TOUCHAIT PAS LES CONTREFACTEURS, APPAREMMENT PLUS ACTIFS que jamais, sur Internet et sur les marchés. Jean-Claude Biver propose de doter toutes les montres suisses d’un « passeport » : toutes les Hublot livrés auront désormais un « document d’identité » et celles qui sont déjà sur le marché pourront en bénéficier. Ce « passeport », activable sur Internet, permettra de tout savoir d’une montre tout au long de sa vie, à tout moment : livré sous forme d’une carte de crédit insérable dans un lecteur de même format et à peine plus épais, il suffit de le brancher sur un ordinateur grâce à une clé USB incorporée pour avoir accès aux informations concernant la pièce.
••• C’EST AUSSI, POUR LES MARQUES, UN EXCELLENT MOYEN DE TRACER à la fois leurs montres, leurs détaillants et leurs consommateurs. L’horlogerie se met ainsi à l’heure de ce qu’on appelle l’« Internet des objets » : les nouvelles technologies ouvrent la voie à une connaissance ultra-fine de ce qui circule sur le marché, pièce par pièce. En ligne de mire derrière les contrefacteurs, de plus en plus habiles pour produire des « répliques » parfaites, c’est aussi le marché gris qui est menacé…
••• ÉTÉ FRAPPÉ DE VOIR FONCTIONNER UNE HORLOGERIE À DEUX VITESSES : au rez-de-chaussée de Baselworld (Hall 1.0), beaucoup de classicisme et de prudence créative, à quelques exceptions près dont nous reparlerons ces jours-ci. Dès qu’on monte au niveau 1.1, passé le rideau des « grandes marques », on s’amuse davantage, pour s’éclater franchement au fond de ce Hall 1.1 avec toutes les marques de mode. De même, dans les halles périphériques, la crise est défiée par l’audace et la prise de risque. Retour à la tradition et célébration des classiques d’un côté, explosion des formes, des matières et des couleurs de l’autre : constat à approfondir ultérieurement.
••• LE CLIVAGE EST PAR EXEMPLE ÉVIDENT AU ROYAUME DU SWATCH GROUP, installé au cœur du Hall 1.0 : rigueur et classicisme chez Tiffany & Co, Blancpain, Omega ou même Breguet, mais propositions pleines de santé chez Hamilton [qui pousse même très loin l’humour créatif], Tissot ou Jaquet Droz.
••• SÉLECTIONNÉ, POUR LE PLAISIR DES YEUX, UNE DES PIÈCES « ACCESSIBLES » QUI TÉMOIGNE DE LA CRÉATIVITÉ DANS LA GAMME MOYENNE : elle est signée RSW et c’est une montre féminine baptisée Moonflower. Assez mystérieure à vrai dire, avec ses heures, minutes, secondes sur disque (base ETA 2824) et son affichage troublant de la lune et des étoiles. Image ci-dessus : détails et explications à venir…
••• RÉUSSI À METTRE LA MAIN SUR LA NOUVELLE MONTRE CRÉÉE PAR JEFF KOONS POUR IKEPOD. La pièce fera son apparition aujourd’hui à The Watch Factory, où les journalistes ont pu découvrir hier un des plus beaux tirs groupés jamais tentés dans l’horlogerie.
Avec Marc Newson pour le design de la boîte et Jeff Koons pour la conception du cadran, on peut rêver de pires fées pour se pencher sur le berceau d’un nouveau modèle. Pour Ikepod, c’est un coup assez énorme et un pied-de-nez aux marques qui affirment avec l’art contemporain des affinités jusqu’ici plus financières que créatives. Marc Newson et Adam Lindemann, le grand collectionneur contemporain et nouvel actionnaire d’Ikepod, seront à The Watch Factory ces jours-ci.
••• QUE PENSER DE CETTE IKEPOD BY JEFF KOONS ? Elle est à la fois iconique et artistiquement importante – c’est la première fois que Jeff Koons travaille sur un support aussi réduit qu’un cadran de montre. Elle est aussi un peu déroutante, tellement on attendait de Jeff Koons un singe, un homard ou un gag. Au contraire, son dessin est ultra-travaillé, de façon presque classique et parfaitement équilibré. C’est une vraie montre, très portable et très reconnaissable, en plus d’être une pièce de la légende artistique contemporaine.
Et, ce qui ne gâte rien, ce sera une pièce en édition limitée pour une toute petite partie [dix pièces en platine], mais sans limite pour les montres en acier, dont le prix ne sera pas augmenté en dépit de la « jeffkoonisation » du cadran. Les grands détaillants de la planète ont bien compris le message et on les voit beaucoup à The Watch Factory…
••• DÉPLORÉ QU’ON AIT AGGRAVÉ LES MAUVAISES HABITUDES DE MÉLANGE DES GENRES : non seulement on voit de plus en plus de journalistes se présenter systématiquement auprès des marques avec les responsables publicitaires de leur média, mais ce sont de plus en plus ouvertement ces « chasseurs de primes » publicitaires qui font l’agenda des journalistes ! Certains « délégations » comprenaient même plus de commerciaux que de rédacteurs ! C’est d’autant plus choquant que la journée d’hier était une « journée presse » et non une journée business…
••• ON A BEAU LE RÉPÉTER, LE MESSAGE NE PASSE PAS : Bâle n’est pas un lieu pour vendre de la publicité, mais une exposition de nouveautés pour les détaillants et pour les journalistes. Dilemme pour les marques : comment faire comprendre au journaliste qu’il est indispensable, mais que son chargé de mission commercial n’a rien à faire là ?
••• RETROUVÉ AVEC PLAISIR FAWAZ GRUOSI (DE GRISOGONO), QUI ÉTAIT TRÈS HEUREUX DE RETROUVER TOUT LE MONDE sur son magnifique stand et, surtout, de montrer sa Meccanico enfin fonctionnante, avec son double affichage mécanique – digital et analogique – de l’heure. Amélioration de la saison : on peut désormais régler différemment les deux trains horaires, ce qui permet d’avoir deux fuseaux horaires très exacts, y compris dans les confins népalo-indiens qui pratiquent le quart d’heure UTC. De Grisogono présentait aussi d’autres nouveautés sur lesquelles nous reviendrons.
••• REPÉRÉ CHEZ CHRONOSWISS UN EXTRAORDINAIRE MOUVEMENT À SECONDE MORTE, réalisé par Karsten Frasdorf (Fabrication de montres normandes), qui fait par ailleurs acte de présence à The Watch Factory : balancier géant, mise en évidence esthétique du mécanisme de la seconde morte, finitions de haute horlogerie et respect rétro-futuriste de la grande tradition mécanique. Tout ce qu’on aime !
••• CE KARSTEN FRASDORF COMMENCE À BEAUCOUP FAIRE PARLER DE LUI : plusieurs marques lui ont déjà passé commande de développements horlogers et ses créations fascinent les visiteurs de The Watch Factory. A suivre de près…
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