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La Messe (Basel) est dite, et ce n’était pas une messe basse, même si ce n’était pas non plus la grand-messe triomphale à laquelle nous étions habitués après cinq années de bulle.
A défaut des statistiques officielles, quelques pronostics et quelques impressions.
Recru de fatigue, mais fidèle au poste…
… LE FRANC-TIREUR A…
••• TIRÉ UN BILAN LARGEMENT POSITIF DE BASELWORLD 2009, moins dans ses résultats statistiques [toujours controversés, puisque purement déclaratifs par les marques] que dans ses conséquences morales :
• Réarmement psychologique de la communauté horlogère dans sa globalité, puisque la catastrophe a été évitée, le soupir de soulagement résonant dans le monde entier.
• Professionnalisation forcée des détaillants, qui ont recommencé cette année à faire leur métier – sélectionner les meilleures pièces pour leurs meilleurs clients – au lieu de se transformer en simples robinets à montres.
• Attentions nouvelles des marques pour leurs réseaux, dont on a commencé à comprendre les difficultés au lieu de tenter de les noyer sous des commandes qui seraient très vite annulées, sinon aspirées par le marché parallèle.
• Méditations forcées des fournisseurs sur le changement de paysage économique d’une industrie qui fonctionnera désormais davantage sur le réel que sur le virtuel
• Interrogations des journalistes de presse classique sur les fondements de leur métier et leur valeur ajoutée, alors que tout ce qui s’est dit et montré à Baselworld est déjà ou presque sur Internet.
• Démonstration pour la direction Baselworld que le média salon garde toute sa pertinence et sa centralité, à condition que les concepts fassent aussi leur révolution culturelle (coûts moins pharaoniques, dépenses moins ostentatoires, initiatives conviviales et alternatives créatrices d’enthousiasme comme The Watch Factory).
••• BUSINESS MONTRES REVIENDRA LONGUEMENT SUR TOUS CES POINTS dans les semaines à venir, mais tout s’est joué autour de la notion de création de valeur pour tous les maillons d’une chaîne, dans laquelle chacun doit apporter ce qu’il a de meilleur sans vouloir écraser ou étrangler l’autre. Les vrais perdants de cette édition de Baselworld sont ceux qui auront négligé leurs partenaires, en amont ou en aval.
S’il y avait une vraie révélation pour Baselworld, c’est l’importance du « facteur personnel » et de la force du « lien relationnel » et de la « solidarité générationnelle » : l’horlogerie reste une affaire d’hommes et de femmes, d’être humains qui se font ou ne se sont pas confiance, de façon pas toujours rationnelle, mais on voit aujourd’hui où peut mener la seule et pure rationalité économique, dénuée de toute considération pour les personnes – aux licenciements massifs !
••• ÉTÉ LÉGÈREMENT TROUBLÉ PAR LES CONTRADICTIONS ENTRE LES DIFFÉRENTS ACTEURS DE L’INDUSTRIE et les l’importance de la subjectivité dans l’appréciation d’une situation économique :
• Contradiction entre l’impression que donnait l’affluence à Baselworld, très inégale selon les jours, et la perception officielle de la fréquentation, avec un compteur bloqué à peu près à – 10 % à quelques heures de la fermeture. On aurait juré moins, ne serait-ce que par la défection massive des détaillants américains et asiatiques, mais peut-être y a-t-il eu plus d’Européens plus furtifs…
• Contradiction entre les déclarations assez optimistes des marques et les constatations assez pessimistes des détaillants, les premiers affirmant que les seconds leur avaient généreusement passé commande – ce dont les détaillants n’avaient pas vraiment souvenir. Qui croire ? Pour l’instant, personne, même s’il est évident – preuves à l’appui – que certaines marques ont surperformé, d’autres s’étant carrément mises en péril économique en investissant à Baselworld sans résultats positifs à la clé…
• Contradiction entre la volonté affichée d’être plus réaliste sur les prix et les prétentions de nombreuses marques intermédiaires à persister dans une logique inflationniste. Si certaines grandes marques ont sorti de très percutants « produits de crise », d’autres challengers arrivent à proposer autour de 10 000 euros de vagues 7750 à peine retouchés. Du coup, les marques classiques paraissent presque bon marché : Omega et Longines en étaient cette année un bon exemple !
• Contradiction entre les perspectives des fournisseurs, qui pointent sur leur calepin les commandes annulées, et le bilan annoncé par les CEO qui se flattent de lancer de nouvelles productions : comme on n’imagine les marques commander ailleurs qu’en Suisse les composants de ces nouvelles collections à succès, on se demande à qui accorder du crédit ! L’avantage de The Watch Factory était ce rendez-vous permanent avec les acteurs de la profession : utile pour la profondeur de champ du cliché…
• Contradiction entre le moral des troupes – excellent si on en croit les folles ambiances des night clubs bâlois, très utiles pour prendre le pouls des troupes et recueillir quelques confidences – et l’inquiétude des analystes financiers et des détaillants qui n’ont pas commandé de montres auprès des marques réputées « chancelantes ». Quand on croise au Bar Rouge de Baselworld les équipes endiablées de ces marques qu’on dit les plus menacées, on se demande si l’on danse sur un volcan – le « syndrome du Titanic, avec musique techno pour accompagner le naufrage – ou si, par hasard, les affaires seraient pas plus florissantes que jamais !
• Contradiction entre la floraison des médias horlogers (print), qui vont bientôt obliger le media center de Baselworld à occuper toute une halle, et les perspectives affichées par les grands donneurs d’ordres publicitaires – qui ont choisi de trancher dans le vif et de concentrer le tir sur quelques titres à leurs yeux essentiels. Si on a remarqué la salutaire cure de minceur des grands suppléments, tout le monde a été frappé par la relative banalisation des contenus et la neutralisation de l’effet choc que constituaient il y a cinq ou sept ans ces « spéciaux Bâle ». Comme, en plus, la grande braderie publicitaire a commencé, avec des pages sacrifiées à - 75 % de leur prix officiel, y compris pour des titres qualifiés de « leaders », en Suisse ou ailleurs, le malaise est patent…
••• FAUTE D’INDICATEURS FIABLES ET CRÉDIBLES, on en restera donc au meilleur des baromètres, l’œil humain, tempéré par le meilleur des ordinateurs, le cerveau humain, et par le meilleur des outils culturels, la mémoire historique. En admettant, bien sûr, la relativité et la subjectivité du résultat. Les contradictions sont fécondes : elles aident à se faire une idée plus réaliste et contrastée de la situation.
••• REPÉRÉ UNE MONTRE ÉPATANTE CHEZ PERRELET, QUI PROPOSAIT CETTE ANNÉE UNE « TURBINE » EN TITANE : une trois aiguilles classique, avec un mouvement automatique à double rotor, dont la masse oscillante côté cadran (elle aussi en titane) est profilée comme une « turbine » de réacteur. La boîte elle-même est profilée comme un réacteur : les diverses exécutions de cadrans sont inégalement expressives [d’ailleurs, pourquoi ne pas concentrer le tir sur deux références, ce qui aurait permis d’abaisser le prix : voir ci-dessous], mais le concept est remarquable dans la catégorie « jouets de garçon » (image ci-dessus).
••• DOMMAGE QUE LA MARQUE N’AIT PAS EU L’AUDACE DE BAISSER SON PRIX SUR CETTE TALKING PIECE À NE RATER sous aucun prétexte : 4 900 euros, c’est pousser le coup de coeur un peu au-delà de ce qui est réaliste pour un caprice chez Perrelet. A 3 000 ou 3 500 euros, la pièce emportait totalement la conviction et devenait le gadget de l’année : il faut parfois s’asseoir sur sa marge quand on trouve une bonne idée !
••• NOTÉ L’HUMOUR DE MON AMI FRANÇOIS-PAUL JOURNE POUR DÉMENTIR LE POISSON D’AVRIL LANCÉ PAR BUSINESS MONTRES LE 1er AVRIL (au passage, voir Worldtempus rectifier un poisson d’avril de Business Montres aura enchanté les initiés)…
••• POUR CEUX QUI AURAIENT DES DOUTES SUR LES POISSONS D’AVRIL TRADITIONNELS DANS LA PRESSE, il suffira de se reporter au poisson d’avril lancé par un hebdomadaire genevois hier : le règlement d’une prime de 1 000 francs suisses aux contribuables, à toucher directement aux guichets du fisc genevois. L’Hôtel des finances de la rue du Stand a été submergé de candidats à la « prime anti-crise ». Apparemment, les Genevois ont eux aussi de l’humour !
••• OUBLIÉ DE PARLER DU STAND LE PLUS GUERRIER DE BASELWORLD, mais il est vrai qu'on le trouvait à la périphérie du salon, chez Marvin, à portée de Kalashnikov du Hall 4 : Cécile Maye avait pris prétexte d'une Marvin autrefois portée par Che Guevara et du quarantième anniversaire de la mort du guérillero pour reconvertir le loft privé de Marvin en PC militaire, avec filets de camouflage, murs d'équipements militaires, bureaux de campagne de l'armée suisse et – le meilleur pour la fin – cigares, plus un Roederer bien frais qui aurait plu à Ernesto.
••• RETOUR CES JOURS-CI SUR LA NOUVELLE COLLECTION MARVIN, mais il fallait saluer l'art de construire un décor expressif avec quelques éléments arrachés à un stock militaire...
••• CONTINUÉ À VOIR DÉFILER, À THE WATCH FACTORY, l’établissement horloger au grand complet, avec la famille Scheufele au grand complet, Karl et Karl-Friedrich ne manquant pas de saluer tout le monde et d’examiner de très près toutes les pièces, y compris la Cabestan de Jean-François Ruchonnet (dont on se souviendra qu’il a commencé sa carrière chez Chopard) ; l’état-major de Richemont était également au rendez-vous, avec Bernard Fornas, suivi ensuite de Norbert Platt et de quelques autres ; une délégation de l’Académie des horlogers indépendants (AHCI) a fait le déplacement pour exprimer son souhait de fêter son 25e anniversaire (2010) avec les copains de The Watch Factory ; trop pris dans leurs stands, de nombreux patrons de marque sont venus en fin de salon prendre une bouffée d’oxygène – mais aussi d’atmosphère tropicale – et ils ont aimé ce concept minimaliste d’exposition, assorti d’un maximalisme créatif dans les vitrines…
••• THE WATCH FACTORY RESTERA SANS DOUTE – LA PRESSE INTERNATIONALE L’A NOTÉ – UN DES MESSAGES LES PLUS POSITIFS de cette édition 2009 de Baselworld, à la fois par son impact sur le moral des marques, des détaillants, des journalistes et des amateurs et par la mise en évidence de nouveaux paradigmes de communication : si on en juge par le nombre de marques qui ont regretté de ne pas en être et par celles qui ont demandé à monter dans le prochain train, il y aurait largement de quoi coloniser une halle en dur ! Ce que ne souhaitent d’ailleurs les watchfactoriens, heureux d’être à la lumière du jour dans une chaude ambiance confraternelle…
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