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DEBRIEFING BASELWORLD 2009 (4) : cinq idées reçues qui sont mortes et enterrées depuis Bâle
 
Le 09-04-2009
de Business Montres & Joaillerie

Quelques déceptions cruelles à l’issue de Baselworld :
la logique du marché échappe au wishful thinking des puissants de ce monde et la réalité dépasse inexorablement les attardés du peloton.
Retour sur quelques illusions perdues…


• PREMIÈRE CROYANCE ABSURDE : LA TAILLE DES MONTRES VA DIMINUER. Aussi incroyable cela soit-il, quelques managers s’accrochent encore à cette croyance régressive. Même les marques les plus conservatrices dans ce domaine – Rolex, entre autres – sont maintenant passées au stand de 41-42 mm pour les hommes : alors que les propositions les plus audacieuses dépassent maintenant les 50 mm, on voit mal comment et pourquoi la diamètre des montres masculines reviendrait à ce qu’il était – et qui est aujourd’hui une taille féminine !

Ne pas confondre ici taille et épaisseur : les montres les plus larges le paraissent moins quand elles ont gagné en minceur, même s’il existe une très forte tendance pour la création de montres réellement tridimensionnelles, que ce soit pour des raisons esthétiques ou fonctionnelles.

Des montres plus simples et plus sobres : sans doute. Plus « petites » : il faut cesser de prendre ses désirs pour des réalités quand on a raté le train des grands formats…


• DEUXIÈME ILLUSION MORTELLE : LE « RETOUR AU CLASSIQUE » PROTÈGE LE PRÉ-CARRÉ DES GRANDES MARQUES. Si le retour au classique se joue dans la réédition reliftée, c’est une aberration dangereuse. En revanche, s’il s’agit d’approfondir le message d’une icône pour en moderniser et en actualiser la force intérieure, c’est jouable.

Le marché – détaillants et amateurs – sanctionne clairement l’absence de risques de la part des marques : les montres depuis trop longtemps en vitrine ne se remarquent plus et les propositions trop classiques ennuient. Pourquoi les consommateurs recommenceraient-ils à acheter demain les montres dont ils ne veulent plus aujourd’hui ? A la faveur de cette crise, une page a été tournée : les « grandes » marques sont questionnées d’encore plus près que les « petites » sur ce qui fonde leur prétention à faire surpayer leur signature.

L’enjeu n’est pas de revenir à des montres plus classiques, mais d’exprimer de façon plus signifiante ce qui fonde la légitimité de ce classicisme quand il est clairement choisi et assumé par les marques. C’est précisément quand un marque envoie des signaux trop différents – classique dans une page de son catalogue, concept dans une autre, tendance dans une troisième – qu’elle brouille son image et décourage tout le monde.

Quand il ne procède pas d’un parti-pris technique [exemple : Beat Haldimann et son refus de toute CNC], le « classicisme » n’est pas une question de statut, d’héritage ou de taille de l’entreprise : c’est un positionnement marketing, choisi ou imposé par l’histoire. Ce n’est en aucun cas une assurance-vie pour les périodes de crise : au contraire, les crises horlogères ont la fâcheuse habitude de « nettoyer » les marques qui s’endorment et qui font les mauvais choix…

Il n'y pas d'armure anti-crise, qu'on soit deux ou deux mille dans une entreprise, qu'on fasse du trois-aiguilles ou de l'ovni horloger : il n'y a que des bonnes et des mauvaises initiatives !



• TROISIÈME IDÉE REÇUE : LES DÉTAILLANTS SONT DES PARTENAIRES INDISPENSABLES POUR LES MARQUES. Le croire, pour une marque, c’est sans doute passer à côté d’innombrables possibilités de créer des liens directs avec ses clients. Se flatter de ce statut privilégié, c’est, pour un détaillant, s’exposer à de terribles déconvenues. Ni les marques, ni les détaillants n’ont plus intérêt à vivre obligatoirement en symbiose, comme c’était le cas jusqu’au XXIe siècle.

Beaucoup de marques, grandes ou petites, ont – auraient – intérêt soit à développer leurs propres réseaux de boutiques [la tentation du tout retail est forte au sein des groupes, pour d’évidentes questions de marges], soit à imaginer de nouvelles tactiques d’approche du client final, en one to one ou par Internet. Il n’y a pas de solution miracle, mais seulement des cas d’espèce, au coup par coup, marque par marque, marché par marché.

Beaucoup de détaillants, grands ou petits, doivent – devraient – se poser des questions sur leur légitimité dans l’interface marque/client et sur les moyens de retremper cette légitimité dans la mise en œuvre de nouveaux concepts et de nouveaux services. L’éventail est large, de l’ultra-spécialisation [on pense surtout aux marques de niche] à l’ultra-diversification dans les accessoires annexes [esprit « jouets de garçon], en passant par toutes les nuances intermédiaires.

Une certitude est actée avec le récent « réarmement moral » des détaillants : à la faveur de la crise, le rapport de forces s’est rééquilibré en leur faveur – mais surtout en faveur des consommateurs. De la part des détaillants, tout comme du côté des marques les plus réalistes, il serait idiot de l’oublier dès que reviendront les vaches grasses…


• QUATRIÈME FOURVOIEMENT DANGEREUX : LES GRANDES MARQUES RASSURENT PLUS QUE LES PETITES. En théorie, ça se tient : il est bien connu que, quand les gros maigrissent, les maigres meurent. Dans la réalité, les leçons de l’histoire affirment le contraire : se sortent mieux des crises les meilleurs, quelle que soit leur taille – quand cette taille n’est pas, précisément, le handicap critique qui paralyse toute mobilité.

L’histoire horlogère a été faite par des marques qui n’ont pas cessé de naître, renaître, croître, prospérer, dépérir au fil des années. Rolex a trouvé sa stature dans deux crises successives : le remplacement de la montre de poche par la montre-bracelet [que de marques n’ont pas pris la bonne option au tournant des années 1910-1920, le plus souvent au no du « retour au classique »]. L’histoire de Cartier est exemplaire de pics et de gouffres – la récente ascension, entreprise dans les années soixante-dix par Alain-Dominique Perrin, reposant sur l seule base d’une géniale initiative tactique : le lancement des Must. Où était Breguet il y a quinze ans ? Qui se souvient de Lip, en son temps première marque de montres citée par les Français, devant Rolex ou Omega ?

La clé du succès n’est pas la dimension purement économique de la marque, mais la vision stratégique de son équipe dirigeante, de sa motivation et de sa cohésion. Qualités qui sont souvent mieux partagées dans les petites structures qu’à la passerelle des grands paquebots.

Enfin, les clients eux-mêmes ont changé. Ceux qui ont un minimum de culture horlogère savent que les montres sont tout sauf des accessoires pérennes et ils vont privilégier la transmission de la passion horlogère exprimée par la montre plutôt que sa marque. Ceux qui sont moins éduqués seront par nature moins sensibles au message institutionnel de marques qu’ils connaissent mal – ou qu’ils perçoivent de travers [exemple récent du dénigrement de Rolex]…

Ce qui rassure le plus les amateurs, c'est de savoir que leur montre vaut vraiment le prix qu'on en exige, que la marque en produise une douzaine ou un million par an...


• CINQUIÈME ERREUR TRAGIQUE : TOUT VA REPARTIR TRÈS VITE COMME AVANT. Sous-entendu : il suffit d’attendre, sans prendre de risques, et de faire le gros dos. Deux certitudes complémentaires pour battre en brèche cette mystification : 1) tout repartira un jour, mais certainement pas dans la même direction que précédemment ; 2) plus rien ne sera comme avant, aucune crise de l’importance de celle-ci [nous vivons la Première Crise mondiale] n’ayant jamais accouché d’un statu quo ante.

Ceci posé, rien ne garantit vraiment que « tout va repartir très vite ». On peut, au contraire, considérer que les gouvernements ont eu le mauvais réflexe en prétendant guérir l’excès de crédit (aux particuliers) par l’excès de crédit (aux bureaucraties étatiques). C’est tout simplement mortel, à court comme à long terme, et – en toute logique économique – cela devrait retarder le redécollage de l’avion plutôt que de le faciliter. Nous risquons de vivre une inversion des polarités économiques [la fin du dollar comme monnaie internationale, l’émergence de néo-puissances industrielles, l’urgence des solutions environnementales] qui va démantibuler les schémas classiques de l’anticipation économique.

Se préparer à une crise longue et profonde relève aujourd’hui de l’hygiène mentale la plus élémentaire : on parle déjà de « dépression » et non plus de « récession » – seuls les gouvernants semblent ne pas s’en apercevoir. Miser sur une sortie de crise rapide – avant l’été, après l’été, en fin d’année ? – est un quitte ou double ultra-périlleux, sachant qu’une mutation profonde des mentalités et des valeurs est au travail dans le corps social.

L’évolution du vivant, des cultures et des mentalités procède par « bonds » et par « sauts créatifs » : croire que l’horlogerie peut s’abstraire de toute influence sociétale est au mieux puéril, au pire criminel pour ses équipes et ses réseaux…


CI-DESSUS : Boucheron, de retour à Bâle, nous proposait cette année une série de « complications oniriques » pleines de « secondes folles », capables de faire loucher un hibou (ci-dessus) ou de faire tirer la langue à un camélon. Peu importe la taille – de la marque et de la montre – pourvu qu’on ait le plaisir d’un objet de passion conçu par des passionnés. Ce bestiaire enchanté était une des plus belles collections joaillières présentées à Baselworld 2009.

 



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