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Une leçon de simplicité horlogère en compagnie de Jean-Marc Wiederrecht (Agenhor)
 
Le 23-04-2009
de Business Montres & Joaillerie

Rencontre informelle avec un Jean-Marc Wiederrecht sacré « vedette horlogère de l’année » par la rumeur journalistique et la multiplication internationale des articles consacrés à son Opus 9.
Sauf que le vedettariat n’est pas vraiment, et de loin, son terrain d’expression favori : derrière ses lunettes, le pétillement malicieux de ses yeux bleus en dit souvent plus long que ses paroles, toujours très posées et distanciées.
Même s’il a plus de vingt ans de métier, le Wiederrecht 2009 a toujours vingt ans dans sa tête et plus de rêves qu’il n’en réalisera jamais…

••• FAIT TROUBLANT : PERSONNE NE DIT JAMAIS LE MOINDRE MAL DE JEAN-MARC WIEDERRECHT… Au point que c’en est presque inquiétant dans un milieu horloger qui a hissé la calomnie au rang des repères infaillibles de notoriété. Non seulement il a de bonnes idées de nouvelles complications, mais en plus elles fonctionnent !

Moyennant quoi son entreprise, Agenhor, fait son petit bonhomme de chemin et prépare actuellement son déménagement de Bernex, dans la banlieue de Genève, vers un bâtiment de 400 mètres carrés à Meyrin, dans le voisinage immédiat de grandes manufactures. Dès juillet, sa trentaine d’employés s’y sentira plus à l’aise, mais n’en connaîtra cependant pas cette inflation démographique qui flattait hier les egos managériaux, mais qui menace aujourd’hui la survie des entreprises victimes d’hypertrophie immobilière…

••• CONSTAT TOUT AUSSI ÉTONNANT : LA DIVERSITÉ FONCIÈRE DES CLIENTS DE JEAN-MARC WIEDERRECHT… Il travaille avec les marques du groupe Richemont (Van Cleef & Arpels, notamment) et du groupe LVMH (Chaumet, entre autres) comme avec les marques indépendantes, quelle que soit leur taille, des productions courtes pour MB&F aux plus importants volumes comme Harry Winston, de Grisogono, Guy Ellia ou Milus. Spécialiste des séries comprises entre 100 et 1 000 pièces, l’atelier Agenhor doit produire à peu près 7 000 à 8 000 modules par an [estimation Business Montres non officielle], dont les deux-tiers sont réalisés sur place, les marques se chargeant des séries plus importantes (livrées en kit par Agenhor). En somme, une sorte de génie artisanal – l’art de faire au mieux avec des petits moyens techniques ou humains – accolé à un grand souci de rigueur sub-industrielle : mariage pas facile à réussir que celui de la réactivité imaginative et de la fiabilité productive !

En amont, il a développé de chaleureuses relations avec tout un essaim d’ateliers et de fabriques spécialisées dans l’univers des composants horlogers. Mot d’ordre : respect, surtout s’il s’agit de composants faussement « simples » mais ultra-techniques, comme, par exemple, des aiguilles ! Des copains, voire des amis, plus que des partenaires commerciaux, et surtout des vraies « pointures » dans leur métier : « Pas question pour nous de verticaliser ce que d’autres sauraient mieux faire que nous. Pas besoin de réinventer ce qui existe déjà. Pourquoi refaire en moins bien et en moins vite ce que des fournisseurs peuvent nous livrer de meilleur plus rapidement. D’une part, nous n’avons pas envie de grandir à tout prix. D’autre part, il faut laisser faire “ceux qui savent“ : à chacun son métier et son art. Ce n’est pas le tout d’avoir une machine à commandes numériques, encore faut-il avoir le savoir-faire et l’expérience qui vont avec. Ce qui ne s’achète pas… »

Le modèle idéal ? « Les cabinotiers de Genève au XVIIIe et au XIXe siècle ! Un réseau de spécialistes indépendants qui savaient se regrouper pour donner le meilleur d’eux-mêmes : côté haute horlogerie, ils produisaient autant de montres que les entreprises genevoises contemporaines et avec une même réputation internationale, mais sans les machines dont nous disposons. Un pivot chez l’un, un roulage chez l’autre, et une nuée de commissionnaires pour livrer et emporter dans tout Genève. Quand je constate à quel point ce système fonctionnait, je me demande si nous avons vraiment fait des progrès… »



••• LE « SYSTÈME WIEDERRECHT », C’EST AU FOND BEAUCOUP D’HUMILITÉ, une qualité morale devenue à peu près intraduisible dans le langage horloger des années zéro zéro. Ne pas faire n’importe quoi pour se faire mousser, ni travailler avec n’importe qui en croyant qu’on peut tout faire dès qu’on a un peu de succès. Ne pas craindre de faire simple quand tout le monde se pique d’ultra-complication : quoi de moins technique que l’Opus 9, avec sa double chaîne mécanique directement auto-entraînée par les rouages de la montre ? Pas de renvoi complexe, ni de pignon conique : un simple engrenage latéral pour animer une « crémaillère qui n’est au fond qu’une roue à diamètre infini » ! Même le vocabulaire sait rester accessible. « Plus c’est simple, plus c’est bon : cette Opus est sans doute ce que j’ai fait de plus achevé de toute ma carrière », avoue Jean-Marc Wiederrecht…

Une étonnante quête de la « pureté » et une démarche proche d’une philosophie orientale teintée de zen, qui dissuade ainsi Agenhor de produire son propre mouvement – ce qui ne serait pas difficile – puisqu’il « suffit de piocher dans les catalogues des meilleurs manufactures haut de gamme pour avoir des calibres plus que satisfaisants » [c’est ainsi qu’un Frédéric Piguet équipe la nouvelle Opus 9]. Le QP d’Agenhor est aussi un des moins complexes du marché.

C’est peut-être cette humilité sans ostentation qui donne à Jean-Marc Wiederrecht cette capacité à s’étonner et à s’émerveiller tous les ans de ce que peuvent inventer ses concurrents et ses copains : « On croit toujours qu’on a tout inventé et on s’aperçoit qu’il y a toujours une nouvelle idée encore plus géniale ! »



••• LE VRAI SECRET DE JEAN-MARC WIEDERRECHT, C’EST PEUT-ÊTRE QU’IL N’EN A PAS, ou du moins que c’est un secret bien connu des entrepreneurs à succès et que sa formule tient en trois mots : sérieux, sérieux et sérieux. Vaste programme, moins sexy dans son apparente frugalité que les envolées lyriques des grands managers médiatiques, mais sans doute promesse plus fiable et plus crédible par les temps qui courent…

• Sérieux dans la relation avec le client : il y est un peu forcé par les contrôles de qualité que ses clients lui imposent. Le laboratoire de Richemont est autrement plus impitoyable que le Chronofiable et le banc-test imposé par LVMH recale le moindre défaut : c’est en amont que l’expertise est à prouver, pas au poignet du client. D’où la réputation des complications Agenhor : retour SAV minimum et fiabilité éprouvée. « On ne vend que des produits qui fonctionnent ». Pour la première fois dans l’histoire des Opus, la totalité des Opus 9 devrait être livrée aux clients avant la fin de l’année ! C'est peut-être pour ça que, pour la première dans l'histoire d'Agenhor, on trouvera le nom de Wiederrecht gravé au dos d'une montre...

• Sérieux dans la réalisation des projets : pas question de s’en tenir à des propositions virtuelles. Si c’est en boutique, c’est que ça marche, que des contrôles approfondis l’attestent et que ce sera réparable. C’est comme ça depuis la fin des années quatre-vingt, quand Jean-Marc Wiederrecht avait inventé avec Roger Dubuis (le maître-horloger) les premiers affichages rétrogrades et les premiers quantièmes perpétuels bi-rétrogrades [design Jean-Claude Gueit, le père d'Emmanuel, pour ceux qui ont de la mémoire, le premier client étant Harry Winston]. Depuis, d’autres marques en ont fait un fond de commerce…

• Sérieux dans la mise en œuvre de son art horloger, dans le pilotage de son équipe et du développement de son entreprise : « On ne peut quand même pas faire n’importe quoi en horlogerie, domaine mécanique où tout se joue sur d’infimes transferts de force. La réalité nous rattrape toujours dès qu’il s’agit de faire afficher l’heure à une montre : on s’imagine toujours que ça marchera, mais c’est rarement le cas. C’est pour ça qu’il faut rester calme, ne faire que des exclusivités et se recentrer en permanence sur ce qu’on sait faire : Agenhor, c’est avant tout deux ou trois brevets – affichages rétrogrades et « roues fendues » – dont la simplicité et la généralité nous permettent de nous adapter à la demande de nos clients, même quand la question posée soulève de gros problèmes techniques. Nous ne sommes après tout que les équipementiers des marques et des designers » !



••• RANÇON DE CE SÉRIEUX CRÉATIF : AGENHOR N’A PAS VRAIMENT BESOIN DE NOUVEAUX CLIENTS ! La tendance serait même plutôt à contenir l’ardeur des clients existants, qui en réclament toujours plus. Le refus n’est pas ici une rebuffade, mais un simple et banal « non possumus », pour d’évidentes raisons de préservation du caractère familial de l’entreprise et du maintien des relations privilégiées avec chaque client.

Ne pas en déduire cependant qu’il est interdit de parler à Jean-Marc Wiederrecht d’une belle idée, même si on est un nouveau client : si son œil clair s’allume et s’il entrevoit dans le dossier une réponse à un des défis personnels qu’il ne cesse de se lancer, sans oser l'avouer à personne, tout est possible ! A condition que Catherine, sa femme [celle qui lui a appris à dire non, ce qu’il déteste], donne son feu vert par un simple et beau sourire…

En attendant, heureux les managers qui ont fait le « bon choix », voici quelques années, en confiant quelque développement à l’équipe d’Agenhor : la fidélité est ici une valeur sûre…

••• J’AI VRAIMENT DÉCOUVERT JEAN-MARC WIEDERRECHT avec ses premières « complications poétiques », développées pour Van Cleef & Arpels. Il fallait beaucoup de métier et en même temps beaucoup d’humilité pour créer des « complications » horlogères aussi féminines qu’intensément Van Cleef & Arpels : pas facile de capter l’esprit d’une marque pour l’exprimer avec autant d’élégance grâce à quelques rouages mécaniques…

Quand il a décroché le premier Prix du concepteur/constructeur que j’avais créé pour le Grand Prix d’Horlogerie de Genève [avant que ce concours ne soit pollué par de scandaleuses négociations marchandes], j’ai été ravi de voir un vrai « maître » – totalement indépendant de surcroît, fier de l’être et encore plus décidé à le rester – solennellement récompensé devant l’élite de la profession. C’était la première fois que le GPH saluait ainsi un homme – avec toute son équipe – plutôt qu’une montre ou une marque. Évolution notable…

C’est dire à quel point j’ai apprécié le concert de louanges et d’applaudissements qui ont, cette année, accompagné – ici même, on ne s’en est pas privé – le lancement de son Opus 9 chez Harry Winston. Cette pièce exprime sans doute le mieux sa philosophie personnelle de la haute horlogerie compliquée (hommage dans Business Montres le 6 avril, après un premier repérage dès le 27 mars).

Tout en relançant la crédibilité de la collection Opus, un peu déstabilisée par quelques récentes propositions peu convaincantes, cette Opus 9 a repositionné Harry Winston au meilleur niveau de la nouvelle génération horlogère, tout en sacrant Jean-Marc Wiederrecht et son équipe comme des leaders naturels dans l’univers des ateliers horlogers suisses réellement experts en complications innovantes.

On est loin, désormais, du simple « spécialiste des aiguilles rétrogrades » qu’il est trop longtemps demeuré dans l’opinion commune – sans doute à cause de sa modestie naturelle, qui tranche sur les chevilles volontiers dilatées de ses concurrents. C’est maintenant un « grand seigneur » de la refondation horlogère, qui ne s’interdit plus le moindre champ de réflexion et qui peut travailler sur un spectre créatif allant de l’« ovni » busserien (MB&F HM3) à la quintessence du trois-aiguilles néo-classique (la prochaine Dandy de Chaumet).

A bientôt, M. Wiederrecht, c'est toujours un grand bonheur de rencontrer des (vrais) grands horlogers…

 



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