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Retour d’un passage à Lyon (France) pour y découvrir le stade Gerland et son nouveau parrain horloger : la manufacture Ebel, qui présentait officiellement hier son nouveau chrono Tekton dédié à l'Olympique lyonnais.
Un bon prétexte sportif pour un tour de piste du tout-Lyon horloger.
••• À LYON, on aime bien jouer à cache-cache : question de culture ! Sur la pelouse du légendaire stade Gerland, les footballeurs de l’Olympique lyonnais (OL) jouent à cache-cache avec la victoire, qu’ils n’ont toujours pas trouvée face au PSG alors qu’ils n’ont pas ménagé leurs efforts. Il s’en est juste fallu d’une distraction de l’arbitre (possible penalty devant les buts du PSG en fin de première mi-temps : l’arbitre jouait aussi à cache-cache avec les cartons jaunes) et d’un poteau qui n’aurait pas dû être là pour la seule vraie occasion de toute la partie.
Résultat : un OL qui voit s’échapper le rêve d’un huitième titre de champion de France, mais Ebel au cœur de l’action : « 5, 4, 3, 2, 1, 0 » avant le premier coup de pied de la partie ; « 57, 58, 59, 60 » avant le coup de sifflet final et quelques rappels intermédiaires dans les tribunes autour du stade – notamment l’horloge de chronométrage officiel – et dans les panneaux lumineux autour de la pelouse.
••• PUISQU’ON ÉTAIT LÀ pour le nouveau chronographe Tekton Olympique lyonnais, qui ne sera officiellement disponible qu’à l’automne [sans doute sa manière très lyonnaise de jouer à cache-cache], autant le présenter tout de suite. Il s’inscrit dans la lignée des Tekton dédiées par Ebel aux grands clubs de foot-ball, avec lesquels ont été noués des accords de partenariat qui commencent à faire des jaloux parmi les manufactures horlogères (Real Madrid, Arsenal, Bayern Munich, Ajax Amsterdam, Glasgow Rangers, en attendant l’Italie et l’est européen). Cette stratégie de marketing sportif avait été en son temps révélée, expliquée et détaillée par Business Montres (27 septembre 2008).
Une Tekton très discrètement lyonnaise (image ci-dessus), c’est-à-dire pas trop ostentatoire mais tout de même capable d’en dire long sur celui qui porte la montre :
• Sobriété des couleurs [noir et blanc, bleu et rouge – les deux couleurs du club des « gones »], tout juste soulignée par la piqûre sellier bleu du bracelet.
• Sobriété de l’identification OL [à part l’intéressante double bague rouge et bleue sous la lunette noire, aucun signe d’appartenance sur le cadran, tout juste un marquage OL sur la masse oscillante footballisée, sous le fond saphir].
• Sobriété du boîtier Ebel 1911, traité ici en titane satiné du meilleur effet.
• Sobriété du mouvement 245, conçu par Ebel pour décompter deux mi-temps de 45 minutes [d’où le 245 = 2 x 45 ! Astucieux, ces Suisses…] et les minutes du temps additionnel : une exclusivité manufacture (349 composants, certification COSC), capable de séduire tous les amateurs de football, au-delà même du cercle des amoureux de l’OL – qui ne cachent pas leur enthousiasme, comme leur président, Jean-Michel Aulas, assez fier de présenter ce chronographe à ses copains de table à L’Argenson, le restaurant du club situé devant Gerland [ne pas y rater les toilettes Messieurs, avec un exposition de footballeurs en tenue d’Adam qui mettrait le feu au quartier parisien du Marais]…
••• EBEL AYANT DÉCIDÉ de ne rien faire comme les autres, [ni dans le sponsoring sportif, ni dans la commercialisation], la distribution lyonnaise des collections Ebel passera désormais par la boutique Ferreira Joaillerie, où Marco Ferreira (formé chez Jean-Louis Maier, à Lyon : voir ci-dessous) s’est associé à Jean-Pierre Moreira (le créateur de la marque de joaillerie Joïa, elle aussi lyonnaise : elle exposait récemment dans le Hall 2.1 de Baselworld) pour ouvrir une vitrine horlogère au 104 de la rue du Président-Edouard-Herriot, cœur battant des commerces de luxe à Lyon.
Un point de vente non conformiste, où la motivation des vendeurs devra compenser la relative faiblesse de la notoriété d’Ebel face aux « grandes marques » : Marco Ferreira – qui ne manque pas de punch ! – a choisi de prendre un risque et de miser sur le renouveau d’Ebel – qui se pose désormais comme une des plus « nouvelles » des « vieilles » maisons suisses. Le nouveau M. Ebel lyonnais m’a confié avoir dans son collimateur deux ou autres marques du même profil. Rendez-vous pour un prochain passage à Lyon, pour vérifier la réalité de cette volonté de jouer un rôle plus significatif dans la haute horlogerie lyonnaise. Les fans de l’OL sauront bien trouver l’adresse pour y commander leurs Tekton OL…
Justement, tant qu’à se promener dans Lyon, allons donc faire un tour dans le tout-Lyon horloger de la deuxième ville de France !
••• À TOUT SEIGNEUR, TOUT HONNEUR : première halte chez Maier Haute horlogerie, maison qui a appris les belles montres aux Lyonnais – le site actuel est en pleine rénovation, vous serez prévenus de la mise en place du prochain, nettement meilleur. On est au cœur de la rue du Président-Herriot, entre la place Bellecour et la place des Jacobins, dans ce qui pourrait être un mix de l’avenue Montaigne à Paris et de la rue du Rhône à Genève. Triple raison d’y passer : la sélection des meilleures marques de montres, Jean-Louis Maier lui-même et, désormais, Laura, sa fille, qui s’est décidée à apprendre le métier et qui n’a pas oublié d’avoir un tête bien faite – sans parler du reste ! En plus d’une équipe très professionnelle.
Non content d’avoir été le premier à se lancer dans la haute horlogerie entre Rhône et Saône [et de s’être hissé dans le peloton de tête des grands détaillants français], Jean-Louis Maier est aussi un des leaders le plus dynamiques des entrepreneurs lyonnais : à ce titre, c’est aussi un des membres du « Club des cent » qui soutient l’OL !
Ce n’est pas compliqué : on trouve tout ce qui se fait de mieux chez Maier, à quelques exceptions près, comme Ebel [dur, à Lyon, au pays de l'OL !], Patek Philippe [s’il n’y avait qu’un point de vente à ouvrir dans l’hexagone en dehors de Paris, ce serait ici tellement on sent d’affinités quasi-« philosophiques » entre la marque et les Lyonnais] ou Hublot [Jean-Claude Biver devait être dans la lune la dernière fois qu’il est venu à Lyon]. Quelques raretés au fil des vitrines : une belle série de A. Lange & Söhne ou un tourbillon GMT Panerai qu’on ne trouve pas souvent en Europe, ainsi que, du côté des fins de séries, un fonds Piaget à - 50 % et des téléphones Vertu à - 30 % – pour les Zenith, le discompte est du même ordre, voire mieux, mais tout dépend du client !
Nouvelle marque (depuis quelques jours chez Maier) : Breguet. Improbable à Lyon au premier regard, mais sacrément bien vu : déjà quelques pièces par semaine et, hasard lors de mon passage hier, un client Breguet en plus, jeune et apparemment connaisseur, traité au champagne comme il se doit. On l’a dit : les Lyonnais aiment à jouer à cache-cache, notamment avec les signes extérieurs de richesse et Breguet propose cette qualité d’understatement au poignet qui ne peut que plaire aux élites locales.
A un jet de pierre de sa boutique, sur la fameuse place des Jacobins, Jean-Louis Maier vient d’ouvrir une boutique Rolex, premier point de vente français de la marque hors de Paris. Concept classique, qui reprend l’habituelle décoration en loupe de platane et cuir, avec un mur de verre vert – comme à Milan, mais il est là-bas végétal – et un salon VIP à l’étage, qui cache également une cuisine privée et des toilettes tout confort, même pour les handicapés. Scène de la vie horlogère locale : un honorable commerçant vient s’y offrir, sous mes yeux, une nouvelle Rolex. Son choix est original : une Air King en… 34 mm [le monsieur, élégant, est pourtant de belle corpulence, mais il refuse « les gros boîtiers à la mode »], qu’il accompagne d’un cadran serti d’index en diamants. Sur une petite Air King en acier, ce n’est pas banal ! Mais c'est finalement très cache-cache lyonnais : un boîtier modeste pour ne pas se faire remarquer, mais des cailloux qui permettent tout de même de faire la différence et d’afficher son opulence sans pour autant la montrer !
••• SUITE DE LA PROMENADE chez Crésus, autre leader local, mais cette fois de la montre de seconde main : « Montres et occasions d’exception », nous annonce-t-on. C’est à quelques mètres de Maier, dans une rue parallèle. La vitrine mérite le détour, avec la fine fleur de la haute horlogerie, mais à des prix plus accessibles qu’en neuf : toutes les grandes marques y sont ! Au hasard : une Breguet Tradition à 14 000 euros, des Rolex Submariner « lunette verte » à 4 200 euros [la même qu’il y a trois ans, mais elle valait alors 6 900 euros : ce sera difficile de persuader le client que les montres sont une « valeur-refuge » !], des Rolex Daytona acier facturées 8 800 euros [contre 11 500 euros il y a un an – mais on les trouve aujourd'hui en vitrine, à Londres, affichées à 7 300 euros avant négociation] et beaucoup de BRM « portées deux jours », ce qui signifie qu’il s’agit de montres de démontration ou de retours de salon…
Apparemment, les prix d’entrée de gamme pour ces montres de luxe n’ont pas bougé, mais les étiquettes qui avaient trop grimpé ces dernières années ont été nettement revues à la baisse. Avec cet écrasement de la pyramide par le haut, le neuf redevient intéressant : pourquoi payer une Rolex Oyster de base d’occasion 2 800 euros, quand elle est facturée 3 300 euros dans la vitrine de la boutique Rolex à l’autre bout de la rue ? Les clients de cette vitrine style Grand Bazar d’Istambul – montres à touche-touche sans hiérarchie des marques – semblent heureux d’avoir l’impression d’y faire des affaires…
••• KRONOMETRY 1999 est un réseau de boutiques horlogères haut de gamme créé par un Lyonnais, Walter Ronchetti, qui dispose aujourd’hui de neuf vitrines en France et qui rêve de s’étendre hors de l’hexagone (liste des points de vente et des marques sur le site Kronometry 1999). C’est le premier voisin de Crésus dans la rue Gasparin et la boutique donne un coup de vieux aux points de vente horlogers classiques : design soigné, espace réarchitecturé dans un goût contemporain, lounge VIP et sélection de marques de niches ultra-pointues, comme Wyler, deLaCour, Graham ou Jaquet-Droz. Curiosité : une double vitrine de Jacob & Co comme on n’en voit plus guère en France – c’est encore plus décalé à Lyon, mais c’est sans doute voulu ! Une grande sélection de Bell & Ross et un assortiment Chopard absolument inattendu, avec des pièces réputées invendables ailleurs et des références à peu près jamais disponibles en Europe.
Autre curiosité : la modestie de la vitrine Hublot, avec trois Big Bang et une Classic qui se battent en duel, alors que Kronometry 1999 était un des grands spécialistes français de la marque, pour laquelle il a lancé de superbes éditions exclusives K 1999… A ce sujet, on ne trouve à Lyon que peu de ces séries spécialement commandées aux marques (Franck Muller, entre autres) pour le réseau Kronometry 1999 : manque d’appétit des Lyonnais pour des pièces forcément en rupture avec le « cache-cache » dont on a parlé ? Pas d’Hautlence, pas de MB&F, pas de Pierre Kunz, pas d’Urwerk en vitrine : une absence inattendue, pour un des spécialistes français des marques de niche…
••• LYON NE MANQUE PAS d’autres points de vente horlogers, comme la boutique monomarque Jaeger-LeCoultre (rue Gasparin, toujours : un choix qui relève du pari risqué et une boutique où on se sent bien seul), ou encore Tournaire (quelques montres originales), John Nathan, Augis, Tisseront ou le toujours sympathique Swatch Sore au carrefour de la place Bellecour.
Un des plus intéressants concepts reste, près de la place des Jacobins, Xanka, qui propose à une clientème jeune des « montres de mode » et des « montres de designers » (DKNY, Breil, Lotus, Officina del Tempo, Seiko, Police) qui permettent de se faire plaisir sans faire de peine à son banquier : une horlogerie « tendance » idéale pour susciter un minimum de passion pour les belles au sein de la nouvelle génération, dont les plus motivés viendront par la suite musarder devant les vitrines des grands détaillants horlogers.
Fin de la parenthèse horlogère à Lyon, marché finalement très représentatif de la réalité française – Paris étant un exception du fait des touristes qui parasitent les statistiques locales. Un marché assez timide, qui aime les valeurs sûres (Rolex, Breguet, Cartier, Panerai, A. Lange & Söhne et les autres) tout en acceptant parfois de… s’« encanailler » avec des marques plus disruptives (Hublot, Bell & Ross, etc.), même si c’est toujours avec modération…
••• RETOUR SUR EBEL, QUI TESTAIT DONC EN TERRE FRANÇAISE SON CONCEPT FOOTBALLISTIQUE : on ne redira pas ici tout ce qu’on peut penser de l’intelligence de cette stratégie de requalification de la marque par le football, Business Montres (27 septembre 2008) ayant déjà beaucoup donné à ce sujet…
• Ce n’est cependant pas une raison pour affirmer [dossier de presse officiel] que « Ebel est la première marque de montres à s'être sérieusement impliquée dans le sponsoring d'événements sportifs. Au début des années 80 et jusqu'au milieu des années 90, Pierre-Alain Blum et son équipe ont créé des associations solides dans le monde du tennis, du golf, de la Formule 1 et du football ».
• Pour mémoire, s’il y a une marque historiquement légitime sur ce terrain, c’est bien Rolex, avec Mercedes Gleitze (première traversée de la manche par une femme en 1927) qui donnera une renommée mondiale aux Oyster, puis avec Arnold Palmer pour le golf (1967), Jean-Claide Killy, Jackie Stewart et tous les autres, sans parler de Wimbledon pour le tennis ou des Vingt-quatre heures de Daytona…
• On gardera néanmoins en mémoire les stars du tennis parrainées par Ebel : « Stefan Edberg, Boris Becker, Andre Agassi, Yannick Noah et Gabriela Sabatini. Ebel a également participé comme chronométreur officiel aux tournois de Monte-Carlo, Rome, Hambourg, Paris-Bercy, de la Coupe Davis et du Swiss Indoor ». Et les relations officielles de la marque avec Niki Lauda, Alain Prost et John Watson…
• Le parrainage chronométrique d’une équipe de football a, même en France où c'était encore moins évident qu'ailleurs, beaucoup de pertinence : il suffit de comprendre à quel point l’OL est aujourd’hui une fantastique machine commerciale, capable d’émettre des messages de qualité en direction d’une cible populaire autant que de décideurs « haut de gamme ».
• Contrairement à ce qu’on en pense encore à l’école Richemont [où le polo européen reste le « sport de référence des élites » (?)], le foot a cessé d’être un sport « populaire » pour devenir un « loisir » et un « spectacle » transversal, multi-classe et transgénérationnel, capable de mobiliser milliardaires et prolétaires le temps d'une même émotion collective. Ceci sans détailler les valeurs communes qui peuvent rapprocher football et horlogerie (prestige, héritage, esprit d’équipe, émotions fortes, compétition, respect, etc.).
• Dans des stades de plus en plus souvent dessinés par les mêmes architectes que ceux des grands musées, les loges VIP sont aussi bondées que les kops des supporters : en Europe, mais aussi en Asie ou aux Etats-Unis, le football est sans doute, pour le luxe, la grande aventure du marketing sportif de ce début du XXIe siècle – l’équivalent de ce qu’a pu être le tennis dans les années soixante, le golf dans les années quatre-vingt ou la F1 dans les années quatre-vingt-dix. Les grands clubs de référence possèdent désormais des sites Internet traduits en cinq langues, dont le mandarin, et la chaine Arsenal TV a plus de téléspectateurs en Asie qu’en Europe…
• Avec une équipe de premier plan sous contrat par grand marché européen [on peut ici parler de « marque », Arsenal, l’OL et les autres étant désormais des « marques »], Ebel a préempté cet espace de communication pour ce qui concerne les montres de luxe. Il ne reste aux concurrents que les tournois (par définition ponctuels) ou les équipes nationales (aux interventions elles aussi ponctuelles), alors que les clubs jouent toute l’année dans des espaces continentaux homogènes.
• Reste aussi, dans le meilleur des cas, les footballeurs eux-mêmes, de plus en plus amateurs de montres rares, ce qui ne fait d’ailleurs que renforcer la force de l’association luxe horloger/football populaire.
• Il n’était pas évident d’oser ce pari pour une montre de marque de luxe. C'était inattendu, mais Ebel l’a fait, au nez et à la barbe de concurrents bien plus riches en budgets de communication.
• Ebel aussi sait jouer – et gagner – à cache-cache…
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