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Même si la situation est grave, et parfois désespérante,elle n’est pas non plus désespérée : on remarque, ici et là, bon nombre de « signaux faibles » qui annoncent sans doute des lendemains moins sombres.
Revue de quelques facteurs plutôt encourageants dans cette watchpocalypse, avec quelques remarques impertinentes au passage…
••• C’EST LA CRISE, BIEN ENTENDU, mais on peut dénombrer quelques poignées de bonnes raisons pour ne pas perdre tout espoir !
Dès septembre dernier, Business Montres avait décrété « 2009, année de tous les dangers et de toutes les renaissances », en précisant bien que, dès la fin de la crise qui se profilait [nous y sommes désormais englués], plus rien ne serait plus comme avant, ni les montres, ni les marques, ni les clients, ni les raisons pour lesquelles ils convoitent les produits de luxe.
Autant il était urgent et indispensable de pointer les facteurs de risques, autant il est désormais intéressant et passionnant de déceler les « signaux faibles » qui peuvent consolider la reprise.
L’environnement économique mondial reste plus incertain que jamais [l’actuel mieux ne pouvant être que le classique « rebond » d’avant la rechute], mais il y – au moins ! – 10 bonnes raisons de ne pas trop désespérer…
••• 1 ••• LA FORCE DES MARQUES HORLOGÈRES. Contrairement à la situation qui prévalait lors de la crise du quartz (crise structurelle due au quartz), les marques de montres ont profité de ces quinze dernières années – marquées par une croissance régulière – pour se faire du muscle et renforcer la puissance comme la valeur de leurs marques. L’horlogerie est un territoire hérissé de bastions marketing capables de résister aux aléas du climat économique international : les marques fortes s’érodent moins vite que les autres quand elles sont rongées par la crise aussi bien que par le doute…
••• 2 ••• LE MAINTIEN D’UN HAUT NIVEAU DE CRÉATIVITÉ. Bâle et Genève 2009 ont prouvé qu’on pouvait sortir de la logique de crise par le haut, c’est-à-dire par un surcroît de créativité, d’audace et de propositions alternatives. Le bon niveau de la démographie horlogère en 2009 – à peu près 40 nouvelles marques annoncées – et les bonnes prévisions pour 2010 – pas loin de 30 projets dans les tuyaux – témoignent de cette dynamique. Les montres dont on a le plus parlé dans les salons n’étaient pas les rééditions défensives, mais les innovations offensives, voire agressives, à tous les niveaux de prix (Concord, Harry Winston, Cabestan, Christophe Claret, Tissot, Seiko, Hamilton et tous les autres)…
••• 3 ••• LE COMPORTEMENT HÉROÏQUE DES DÉTAILLANTS. Pour l’instant, les AD (« Authorized Dealers ») tiennent bien le coup ! Au moins en Europe. Dangereusement surstockés par les marques, privés de trésorerie par des banquiers à courte vue, délaissés par leurs meilleurs clients, ils attendent avec une surprenante patience le retour à bonne fortune, sans (trop) brader à vil prix des montres qu’ils savent pourtant vouées à se démoder rapidement sous l’effet de la crise et sans (trop) pourrir le marché par des déstockages au profit des parallélistes. La solidité de ce réseau européen des AD permet de penser qu’ils seront le môle sur lesquels les marques s’appuieront quand il faudra relancer la machine…
••• 4 ••• LE REPOSITIONNEMENT PRIX DES MARQUES LES PLUS AVISÉES. Les amateurs et les détaillants parlent désormais ouvertement du prix – trop élevé – des montres « classiques ». Et donc du rapport qualité/prix ou image/prix de certaines marques, dont les prétentions financières finissent par faire trouver Rolex trop bon marché ! La stratégie est aujourd’hui au repositionnement des gammes : les marques les plus attentives à leurs marchés ont proposé pendant les salons des « produits anti-crise » assez convaincants (Cartier, Ebel, Longines, entre autres). Le tout est maintenant de rester… raisonnables assez longtemps pour que le marché reprenne confiance !
••• 5 ••• LA MULTIPLICATION DES ESPACES MÉDIATIQUES CONSACRÉS AUX MONTRES. C’était un facteur coûteux en période d’abondance, puisqu’il fallait alimenter toutes ces rubriques et tous ces suppléments en ronflantes publicités, mais il en reste quelque chose, même maintenant que la manne publicitaire tend à se tarir : des plages horlogères dans les magazines non spécialisés [bonne question : jusqu’à quand les éditeurs investiront-ils sans « retour » des annonceurs ?] et assez de revues purement horlogères pour maintenir un minimum de pression médiatique dans les deux ou trois ans à venir [bonne question : combien de titres tiendront-ils le coup si le « dégraissage » publicitaire de ces derniers mois s’institutionnalisait ?]. Il reste assez de surfaces éditoriales pour « chauffer » les amateurs à propos des nouveautés et leur donner envie de s’arrêter devant les vitrines horlogères…
••• 6 ••• LE NOUVEAU RÔLE D’INTERNET. Autant la machine éditoriale avait tardé à se relancer dans les années quatre-vint-dix, [il avait fallu à peu près cinq à sept ans pour que les médias européens d’abord, internationaux ensuite, comprennent le nouveau rôle des montres dans l’industrie du luxe], autant tout peut repartir au quart de tour grâce à Internet, non seulement d’une manière très ciblée sur chaque « tribu » de client, mais surtout à une échelle internationale devenue indispensable. Internet propose, à un coût tendanciellement à la baisse, une réactivité immédiate sur les marchés et la possibilité de consacrer des budgets supplémentaires à la communication sur le lieu de vente ou directement auprès du client final…
••• 7 ••• LA RÉVOLUTION SOCIOLOGIQUE DU LUXE. Inutile d’insister : le bling-bling est définitivement enterré et les valeurs du luxe affichent une mutation accélérée. Une nouvelle éthique collective apparaît, mariant des tendances [quête essentielle de l’être, respect de l’environnement, générosité sociale] qui ne sont pas du tout incompatibles avec l’hédonisme personnel, la recherche du bien-être et le goût de la parure qui accompagnent les grandes cultures depuis l’aube de notre histoire. On a changé les polarités de la planète luxe [qui tourne désormais pour d’autres raisons de vivre], et donc ses différentes traductions, mais on n’a pas détruit la planète elle-même, qui reste à reconstruire et à recoloniser : l’amour des belles montres est sans doute plus fort que jamais, mais encore faut-il l’exprimer différemment et en justifier autrement les fondements…
••• 8 ••• LA SURPRENANTE RÉSISTANCE DES ENCHÈRES. Contrecoup classique d’un prix catalogue devenu trop cher : le report sur les occasions… Le marché des enchères valorise aujourd’hui les montres neuves à leur « vrai » prix (30 % à 40 % de baisse par rapport aux prix catalogue) et rend les pièces vintage encore plus désirables, puisqu’elles portent les mêmes valeurs que les montres neuves, mais avec l’alibi culturel valorisant de la collection et de l’investissement judicieux. On se souviendra ici que le marché de la montre mécanique avait été relancé, à la fin des années soixante-dix, par les enchères, grâce à des maisons comme Antiquorum, dont Gabriel Tortella ou Osvaldo Patrizzi tenaient alors le marteau…
••• 9 ••• LES BULLES NE SE REGONFLENT PAS, ELLES RENAISSENT… AILLEURS ! Ce qui tombe bien, les montres étant un des objets les plus remarquablement séduisants quand on a de l’argent fraîchement gagné à dépenser ! Bien entendu, ce ne seront pas les mêmes clients, ni les mêmes marchés qui dicteront demain leur loi aux manufactures de montres – donc ce ne seront plus les mêmes marques, ni les mêmes médias qui profiteront de la prochaine reprise et de la renaissance d’une nouvelle « bulle horlogère ». Peu importe : l’important est d’avoir sauvé le goût des belles montres et l’appétit pour les « jouets de garçon » qu’on porte au poignet [à part les montres et les boutons de manchette, y en a-t-il d’autres ?]…
••• 10 ••• LA RÉSILIENCE SUISSE. Au cœur de l’Europe, la Suisse a pris son temps pour entrer dans la crise, peut-être parce qu’elle bénéficie d’un climat politique, économique et culturel peu propice aux changements brutaux. Alors que les pays voisins liquident des pans entiers de secteurs industriels obsolètes ou condamnés, les Suisses pratiquent la stratégie de l’édredon qui amortit les chocs : les entreprises y mettent plus longtemps à mourir et il y a toujours un investisseur derrière les sapins pour reprendre le tout avant la dispersion à l’encan. Rançon de cette résilience : l’industrie horlogère suisse prendra au moins autant de temps pour sortir de la crise, mais, comme d’habitude, elle s’en sortira…
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