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Une belle leçon d’histoire avec Osvaldo Patrizzi
 
Le 11-05-2009
de Business Montres & Joaillerie

Sous le marteau, 70 horloges de la Renaissance à disperser fin mai.
Sur le papier, un superbe catalogue que les collectionneurs et les amateurs de montres apprécieront et garderont.
En réalité : un coup de projecteur sur l’aube de l’horlogerie européenne.
Et un constat étonnant : ils avaient déjà compris !

••• MERCI, M. PATRIZZI, de nous procurer encore de telles émotions ! On a beau aimer les objets du temps, il y a un monde entre la culture des amateurs de montres contemporaines et celle des collectionneurs d’horloges historiques. Un fossé culturel totalement absurde, mais évident quand on compare les prix des unes et des autres.

Pour Patrizzi & Co, sa nouvelle maison d’enchères, Osvaldo Patrizzi ne s’est pas embarrassé de considérations marketing sur l’existence ou non d’un marché de l’horloge historique. Il rêvait d’une vente de ce type depuis longtemps – sachant que le dernier regroupement de ces horloges datait, en salle des ventes, des années 1860 et il s’agissait d’un ensemble moins important et moins cohérent.

Le 24 mai prochain, à Milan, il dispersera donc une suite exceptionnelle de 70 horloges de la Renaissance, dont certaines n’ont jamais connu le feu des enchères, toutes étant des pièces uniques ou quasi-uniques presque toujours rarissimes, certaines étant de vraies pièces de musée [lesquels musées ont déjà fait valoir leurs préférences] et d’autres les seuls exemplaires connus.

••• TENIR ENTRE SES MAINS UN HORLOGE qui appartenait au roi de France Charles IX est une expérience intéressante, surtout quand on découvre que c’est la plus ancienne des « horloges royales » ainsi répertoriées à travers le monde. Découvrir qu’une horloge-crucifix était celle d’un pape change le regard qu’on pose sur l’heure digitale qu’elle propose. Admirer le cadran « heures du monde » d’une autre horloge-crucifix marie les plaisirs : ceux d’une leçon de haute horlogerie puisée à une science vieille de quatre siècles et ceux d’une leçon d’esthétique, puisque la position des bras du Christ en croix est reprise d’un tableau de Rubens riche de connotations métaphysiques [il s’agit du plus bel exemple connu d’horloge-crucifix, mais les « heures du monde » du cadran – Mexico, Sumatra… – font rêver et les phases de lune situées à la pointe de la croix stupéfient par leur audace technique].

On n’en finirait pas de citer les particularités de chacune de ces 70 pièces au pedigree impeccable. Les admirer quand elles fonctionnent, battent et donnent l’heure est un grand bonheur : dans les yeux des pièces animalières, les pupilles battent au rythme des secondes [est-là que Boucheron a puisé son inspiration pour son bestiaire enchanté de Baselworld ?]. Quand la montre sonne, les oiseaux s’ébrouent et les chiens aboient : fascinant spectacle, autrefois réservé aux élites de la société européenne, qui se faisaient tirer le portrait la main sur ces objets du temps hors du commun, révérés à l’époque comme nous chérissons nos micro-ordinateurs, nos grigris sonores signées B&O ou nos précieux home cinemas, voire, pour certains, nos Porsche vintage ou nos Jaguar XJK.

••• NE MANQUER SOUS AUCUN PRÉTEXTE le catalogue de cette vente, qu’on trouve on line sur le site de Patrizzi & Co, mais qui est également disponible en version papier, reliée et largement illustrée : un vrai livre de référence [excellente introduction de Philip Poniz], qui permettra de comprendre à quel point cette horlogerie renaissante est à la source même de l’actuelle renaissance horlogère.

Entre les montres de la « nouvelle génération » [les noms sont connus : De Bethune, MB&F, Harry Winston, Urwerk, Cabestan, pour ne citer que ceux-là] et ce qui était la nouvelle génération des objets du temps au moment de la Renaissance, les correspondances sont aussi étonnantes que multiples :

• Même souci d’esthétique à l’intérieur qu’à l’extérieur : une esthétique en rupture avec les codes de l’époque, qu’il s’agisse d’art religieux [rien de plus profane que ces crucifix rhabillés en horloges] ou d’arts décoratifs – sculpture, gravure, travail des volumes et des matériaux.

• Génialement inutiles dans des vies quotidiennes rythmées par les cloches et les rites, ces objets du temps donnaient une heure aléatoire et devaient choquer les esprits conservateurs autant que les « ovnis » des derniers printemps horlogers : prodigieusement inutiles dans leur fonctionnalité élémentaire [à quoi bon une heure précise quand on est le seul à en disposer ?], ils témoignaient surtout d’un parti-pris de liberté personnelle vis-à-vis du temps officiel des églises et des beffrois, ainsi que vis-à-vis des canons stylistiques imposés [on imagine ces horloges de table aussi dissonantes à l’époque sur les tables des grands de ce monde qu’un homard de Jeff Koons pendu dans la Chambre du roi de Versailles à notre époque]…

••• TOUT OU PRESQUE ÉTAIT DÉJÀ DIT OU PENSÉ dans ces objets du temps, avant même que Huyghens invente le spiral, Breguet le tourbillon et (Patek) Philippe la couronne de remontage. Toutes les « briques » de la génétique horlogère à venir sont là : elles permettront de construire, au fil des siècles, les plus étonnants doubles hélices d’ADN et elles permettront d’actualiser en les modernisant des savoir-faire très anciens.

Est-ce vraiment un hasard si de nombreux mouvements de cette époque ressemblent à ceux d’une Cabestan ? Est-ce une coïncidence si on décèle, dans telle protubérance, le phylum génétique d’une HM3 (Max Busser) ? N’est-il pas intéressant de noter que cette lune sphérique perchée en haut d’une croix [et reliée par une tige au mouvement] est à peu près celle de De Bethune en 3-D. Au hasard de ces horloges, un précurseur de l’échappement à force constante ou des stackfreeds qui égalisent l’énergie du ressort : un ahurissant exploit technique quand on songe à la qualité des aciers disponibles en 1600 et aux outillages dérisoires dont disposaient ces créateurs horlogers…

Pas de dérive génétique par-delà les quatre siècles qui nous séparent de ces pièces. Au contraire, un pont naturel se crée par-dessus les phases utilitaristes et fonctionnelles des objets du temps : après la Renaissance, la quête de la précision, puis la conquête de l’infiniment petit ont directement rendu service à la science et au progrès des machines qui ont libéré les hommes. Aujourd’hui, le changement de paradigme est flagrant : les nouvelles dimensions des boîtiers prouvent que la montre n’est plus un objet usuel et que les mouvements ne sont plus des projections miniaturistes des standards de l’ère industrielle. Les nouveaux affichages affirment clairement que lire l’heure sur un cadran n’est plus une priorité vitale, mais une valeur ajoutée esthétique. Donc, retour à la Renaissance et cure de jouvence dans cette horlogerie qui ressemble au paradis d’avant la faute industrielle et les dérives marchandes !


••• RÉSERVOIRS D’IDÉES ET DE CONCEPTS NOVATEURS, ces horloges forment un « pool génétique » essentiel à la refondation des nouveaux beaux-arts de la montre. On songe encore au conseil de Jean-Claude Biver à ses équipes : « Si vous voulez savoir quelle montre lancer demain, allez donc au musée voir celles qui marchaient hier » (citation apocryphe, mais en substance). En visitant l’exposition Patrizzi & Co, on se sent transporté à travers le temps, dans un voyage qui télescope nos idées reçues en les passant au filtre de l’histoire.

C’est aussi une leçon d’humilité : les estimations moyennes nous parlent de prix inférieurs à ceux des montres contemporaines. A quelques exceptions près, ces estimations [mais ont-elles une valeur, ce genre d’objets manquant totalement de références récentes ?] tournent autour de 20 000 euros, avec des pointes à 200 000 euros pour des objets historiquement décisifs et presque aussi sûrement uniques. C’est abordable, mais que de réflexions sur des pièces qui ont dû à leur époque coûter si cher qu’on se sentait obligé de les faire figurer sur ses portraits d’identité : quatre siècles plus tard, l’investissement doit être décevant.

Ce qui ne veut pas dire que ces horloges partiront au prix de l’estimation. Quatre siècles d’histoire au même prix que quatre ans de « nouvelle horlogerie » : on verra le 24 mai où se situe l’équilibre – à l’intérieur même du mouvement de rééquilibrage généré par la crise… En attendant, plaisir des yeux pour tout le monde et visite obligatoire pour les heureux amateurs présents à Genève ce week-end.

••• TOUTE LA QUESTION DE LA VENTE PATRIZZI TOURNE autour d’une problématique très simple : existe-t-il encore, un siècle et demi après la précédente grande vente d’horloges de la Renaissance, un nouveau public pour ce genre de pièces ?

• En toute logique, non ! Les collectionneurs de pendules ne sont pas des amateurs de montres – et vice versa. Les premiers sont plutôt âgés, conservateurs et férus de culture historico-horlogère. Les seconds sont plus jeunes, non-conformistes et plus sensibles à l’esthétique qu’au message purement technico-historique d’une pièce.

• La cloison étanche qui s’est élevée entre ces deux univers pourrait néanmoins tomber. Les montres de l’avant-garde contemporaine sont de plus en plus des talking pieces éventuellement capables de donner l’heure, mais essentiellement susceptibles de donner la mesure du statut économique et culturel de celui qui les porte : cette fonction « démonstrative » était semble-t-il celle des objets du temps de la Renaissance, que les puissants exhibaient sur leurs portraits pour prouver leur sensibilité à la modernité, aux avancées techniques et aux beaux objets de luxe. Un terrain d’entente est donc possible…

• Vérification in vitro dans deux semaines de l’existence d’une nouvelle génération d’amateurs – assez fortunés pour s’offrir ces coûteux témoignages de l’histoire horlogère et assez avisés pour investir dès maintenant sur des objets manifestement sous-cotés. On devine déjà les contours de ces nouveaux amateurs : une horloge de la Renaissance, c’est aussi décoratif qu’une lithographie d’Andy Warhol, mais autrement moins risqué qu’un paquet d’actions de General Motors, tout en étant physiquement beaucoup plus satisfaisant et signifiant.

 



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