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La colère gronde chez les fournisseurs, qui supportent de moins en moins d’être traités comme la cinquième roue du carrosse horloger et qui vivent très mal le total manque de respect des marques pour leurs engagements.
C’est ce qui rend cette année le grand rendez-vous de l’EPHJ encore plus « savoureux » et encore plus stratégique : ce sera le premier « salon de la crise » pour des métiers qui souffrent encore plus que les marques de l’implosion des industries du luxe...
••• LE MEILLEUR INDICE DE L’IMPORTANCE CAPITALE DE L’EPHJ 2009 (Environnement professionnel de l’horlogerie-joaillerie, Lausanne, 12-15 mai, pour les non-initiés) est d’abord arithmétique : beaucoup plus d’exposants, côté horlogerie comme côté micro-technique, même si les statistiques officielles ne le montrent pas. Il n’y a effectivement que six exposants de plus dans l’espace horloger (360 entreprises), mais comme les machines ont été replacées dans l’espace micro-techniques, il y aura donc en réalité davantage de nouveaux stands.
Côté fréquentation, on devrait également crever le plafond de l’année dernière (10 200 visiteurs), avec beaucoup de nouveaux venus – le rendez-vous est devenu « incontournable » pour les marques autant que pour les fournisseurs – et des habitués qui resteront plus longtemps.
Pour l’EPHJ, c’est non seulement le temps de la maturité, mais aussi celui de la réflexion sur le concept même d’un salon qui s’est imposé à la fois par la pertinence de son positionnement (tous les acteurs de la chaîne horlogère en amont des marques), par sa date (pile après Bâle, alors qu’on garde les livraisons de fin de l’année en perspective) et par son ambition technologique (le volet micro-technique, qui sera cette année particulièrement étoffé).
••• APRÈS HUIT MOIS DE CRISE ÉCONOMIQUE MONDIALE, l’EPHJ 2009 est encore plus stratégique que les autres années. Avec l’« effet coup de fouet » bien détecté il y a plusieurs mois par Business Montres (28 janvier), les fournisseurs ont été les premières victimes de la crise, du fait des annulations brutales des commandes passées par les marques, et les premiers à être obligés de licencier. Ils ont également été les premiers à encaisser les mauvaises pratiques des marques en matière de trésorerie, les paiements de factures retardées et, d’une manière générale, le manque de respect qui s’est institué dans les relations commerciales ordinaires.
Considérés hier comme des « partenaires », ce qui est plus flatteur, les fournisseurs sont brutalement redevenus des « prestataires » taillables et corvéables à merci par ceux qui, hier, leur passaient des commandes en les obligeant à investir dans de nouvelles machines et de nouvelles équipes. Aujourd’hui, même la menace de l’Office des poursuites ou l’inscription à Infosuisse (renseignements commerciaux sur l’horlogerie) ne suffisent plus à forcer la main des donneurs d’ordre récalcitrants, qui sont parfois des grands noms de la place : on se situe de plus en plus dans un pur rapport de forces, et non plus dans une logique de coopération…
L’EPHJ sera donc, pour beaucoup de fournisseurs, une plate-forme de communication décisive – la première depuis l’éclatement de la bulle financière dont les éclats ont contaminé la planète. Le salon sera sans doute intéressant pour vendanger quelques commandes supplémentaires (tout est bon à prendre quand il faut faire tourner les machines et payer les salaires), mais ce sera surtout une occasion unique de se retrouver, d’échanger des informations et d’esquisser les contours d’une riposte plus solidaire.
••• C’EST CET IMPÉRATIF « COMMUNAUTAIRE » qui donne à l’EPHJ 2009 tout son sel et tout son impact stratégique : il n’existe aujourd’hui aucune structure capable de fédérer les doléances des fournisseurs, hormis ce rassemblement annuel, qui sert à se parler autant qu’à se montrer. C’est autour d’un café à l’EPHJ qu’on peut se rencontrer pour échanger des informations entre professionnels trop souvent isolés d’une vallée à l’autre : si la pression monte à Lausanne, ce ne sera pas que dans les demis de bière…
Le besoin de parole est pressant, dans tous les métiers de la chaîne industrielle horlogère comme à tous les étages de la pyramide des fournisseurs, qu’il s’agisse des petits ateliers de micro-mécanique du Jura aux plus grandes entreprises encore indépendantes : on le vérifie dans le fait qu’il y aura cette année deux publications horlogères spécialement dédiées à l’événement – un numéro hors-série de Movment (qui vient ici renifler un marché potentiel) et le numéro annuel du Journal suisse d’horlogerie (dont on regrette qu’il ne soit qu’annuel) – en plus des magazines ultra-spécialisés de la branche (Eurotech, etc.).
Besoin de sens, également, avec le cycle des conférences de haut niveau organisées conjointement avec l’EPHJ, pour la diffusion de connaissances fondamentales en nouvelles technologies. On aurait d’ailleurs aimé des conférences plus accessibles, sur des sujets plus directement reliés aux préoccupations managériales quotidiennes des sous-traitants
••• UNE DERNIÈRE BONNE RAISON DE VENIR À L’EPHJ : le frère jumeau du robot déjà en place sur la planète Mars, présenté à Lausanne par Maxon Motor. Six roues et 39 moteurs, avec des bras, des capteurs, des « yeux » et une architecture logicielle qui en font un cyber-savant exilé sur Mars, par des températures qui peuvent varier de 120°C sous zéro à 25°C positifs…
Un robot qui n’est pas qu’anecdotique : l’industrie horlogère maîtrise depuis longtemps des techniques micro-cinétiques (mouvements infimes sans pertes d’énergie) qui intéressent au plus haut point l’industrie aérospatiale ! Les chercheurs de la NASA aimeraient bien que les sondes qu’ils envoient dans toutes les directions de la galaxie fonctionnent aussi bien, et avec la même économie de moyens et d’entretien, que les tourbillons réglés il y a deux siècles par Abraham-Louis Breguet !
••• OUBLIÉS MÉDIATIQUES DE LA CRISE HORLOGÈRE, les fournisseurs sont aujourd’hui ceux qui lui ont payé le plus lourd tribut, à la fois en termes d’emploi (on ne compte les « suppressions invisibles », par pincées médiatiquement peu signifiantes) et en termes de survie des entreprises elles-même. Si pas loin de 2 000 emplois [estimation Business Montres] ont déjà disparus dans le seul tissu industriel des fournisseurs, il n’existe encore aucune donnée sur les défaillances d’entreprises de sous-traitance, avérées ou annoncées.
• L’EPHJ est aussi une promesse de nouveaux horizons économiques, avec des visiteurs extérieurs qui viennent y chercher de nouvelles techniques et un savoir-faire indispensable à beaucoup d’autres industries (médical, optique, robotique, aéronautique). De même, la présence d’exposants spécialisés sur d’autres métiers que l’horlogerie contribue à la fertilisation croisée entre branches parallèles.
• C’est à Lausanne que se préparent les révolutions nanotechnologiques qui révolutionnent déjà le futur horloger : combien de managers ont découvert à l’EPHJ, dans les années passées, les nouveaux horizons révélés par le silicium ou les alliages high-tech ?
• C’est aussi à Lausanne qu’on prendra, cette semaine, la température morale des fournisseurs et la mesure manométrique de leur ressentiment : ils ne veulent plus se laisser tondre comme des moutons, ni devenir la « variable d’ajustement » de directions que le stress de la crise pousse à surjouer la défensive – et donc les annulations aussi déconnectées de la réalité que les commandes précédentes l’avaient été !
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