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Les sous-traitants secoués par la crise sont à Lausanne, mais les groupes connaissent aussi quelques soubresauts, dans leurs comptes comme dans leur management.
Pendant ce temps, votre Quotidien des Montres reste à l’affût des bonnes idées et de celles qui le sont moins...
••• EPHJ 2009 :
Excellent score pour la fréquentation globale (il est vrai qu’elle est dopée par l’extension de la halle consacrée aux micro-techniques), mais augmentation nette de la seule fréquentation horlogère avec, dans les allées, une bonne humeur que ne semble pas entamer les carnets de commande plus déprimés que jamais. L’important est de garder le moral, ce qui paraît être le principal enseignement et le mot d’ordre majeur de ce salon : tous les fournisseurs – mais aussi les donneurs d’ordre – ont désormais mentalement pris en compte la crise, sa profondeur encore insondée et sa durée pour l’instant sans échéance réaliste. Faute de voir le bout du tunnel, le réflexe est de se mettre en position de survie et d’imaginer un autre futur...
D’où la prolifération des nouvelles propositions, des petites innovations et des améliorations techniques légères qu’on découvre sur la plupart des stands : le salut passe plus que jamais par la créativité, qu’on parle de procédés industriels, de matériaux ou d’expertises techniques. Moins spectaculaires que pour les nouveautés horlogères, ces nouvelles offres n’en dessinent pas moins des tendances lourdes pour les années à venir dans le domaine des bracelets, des cadrans, des boîtes ou même des écrins.
D’où, également, la volonté d’instaurer de nouvelles relations avec les marques, avec des pratiques plus équilibrées et plus respectueuses des intérêts communs : le besoin de respect est flagrant, surtout dans le contexte de brutalité qui a prévalu dans certaines annulations de commandes. Refusant d’endosser la responsabilité des surstocks qui paralysent durablement toute reprise des commandes, les sous-traitants ne veulent plus être considérés comme une simple « variable d’ajustement » dans la supply chain et les discours ronflants sur les « partenariats » les laissent désormais froids.
••• LA GRANDE CRISE DU QUARTZ AVAIT LAISSÉ DES TRACES dans le vécu des fournisseurs, si sévèrement touchés à l’époque qu’ils ont refusé de croire au redémarrage de l’horlogerie mécanique au milieu des années quatre-vingt dix et qu’ils ont retardé au maximum – sans doute beaucoup trop – leur prise de conscience des nouvelles donnes d’un marché en pleine explosion. Il était trop tard quand ils ont commencé à réinvestir dans de nouveaux outils de travail et ils se trouvent à nouveau pris à contrepied par la conjoncture : hier, les marques les tannaient pour qu’ils créent à n’importe quel prix de nouvelles capacités de production (hommes et machines) ; aujourd’hui, ceux-là même qui exigeaient ces investissements dénoncent les commandes déjà passées et renégocient sans vergogne les contrats existants. Demain, quand les affaires reprendront, les sous-traitants seront un peu plus méfiants : heureux les directeurs de production qui verrouillent aujourd’hui les bons contrats de demain...
••• RICHARD TIMEVISION :
Une vision de l’heure alternative, avec un style qui marie l’esprit des cadrans solaires, celui des horloges médiévales et l’esthétique des « ovnis » contemporains, avec un affichage de l’heure sur 24 heures et une aiguille des minutes rétrograde et « orbitale ».
Explications sur la base de l’image ci-dessus : à gauche, on distingue le chiffre 24 dans un guichet [il est donc minuit]. Pour se déplacer vers 1 h, le guichet va glisser sur la droite, dans un mouvement circulaire qui le ramènera à cette place en vingt-quatre heures. Pendant ce temps, l’aiguille des minutes [ici, à 7 h] entame sa descente le long de son segment en arc-de-cercle, alors que son pivot suit la rotation autour du cadran. Dans cette image de synthèse, tous les éléments en jaune sont en rotation, mono-aiguille comprise. Pour ceux qui n’auraient pas compris, le soleil et la lune complètent la signalétique des heures.
La montre est encore à l’état de projet, mais c’était un des concepts les plus décoiffants qu’on pouvait repérer à l’EPHJ 2009. Il est pour l’instant réservé par la nouvelle manufacture lausannoise Olivier Randin et il a été développé par l’atelier de conception-construction Richard TimeVision (Commugny), que dirige Frédéric Richard, que certains se souviendront avoir vu chez Franck Muller et chez Pierre Kunz (entre autres). Il s’agit en fait d’un module adaptable sur base ETA...
••• RICHARD TIMEVISION a beaucoup d’autres idées dans son sac à malices, mais cette heure médiévo-orbitale renvoie à une conception cosmogonique totalement invalidée par la science [la Terre au cœur de l’univers, comme pôle autour duquel tournerait le soleil et la lune], mais terriblement poétique : ici, l’aiguille rétrograde nous donne une autre vision du temps qui passe, alors que la ronde des heures marque ce rythme cyclique qui est celui de notre horloge biologique. Il faut croiser les doigts pour que cette magnifique idée horlogère aille jusqu’au bout !
••• BNB :
Surprise de Mathias Buttet, qui continue à miser sur sa Confrérie horlogère [dont les premières pièces commencent à sortir] : beaucoup de nouvelles marques et de manufactures en gestation font appel à ses équipes, avec des projets « révolutionnaires » pour Bâle et Genève 2010. Une preuve supplémentaire de la dynamique actuelle dans la démographie horlogère. Une demande qui s’exprime dans le goût le plus futuriste [la Concord Quantum Gravity aura bientôt à qui parler] comme dans le style des néo-complications post-crise [la folie créative sous une apparence sage, ce qui sera l’essence du nouveau luxe]. Installé dans son stand à l’EPHJ, avec Tiber, le fameux androïde horloger doué d'une insolence numérique, l’animateur de BNB a profité du salon pour revoir tous ses clients – et même ceux qui n’étaient pas (encore ?) ses clients. Ce qui commence à faire du monde...
••• EXEMPLE DE CES NÉO-COMPLICATIONS : la pièce offerte par BNB aux enchères, pour la vente Only Watch. Un tourbillon perpendiculaire et excentré, dont le mouvement est « débrayable » (demi-vitesse et double vitesse, en fonction de l’importance qu’on attache au temps qui passe), les aiguilles se remettant à l’heure juste – gardée en mémoire –dès qu’on « embraye » en mode normal. Pas spécialement spectaculaire au premier regard (encore que ça étonne !), mais tellement philosophique dans l’émotion comme dans la réflexion...
••• GRAND PRIX D’HORLOGERIE DE GENÈVE :
Un nouveau réglement et un nouveau jury pour de nouvelles catégories de prix, notamment le retour d’un récompense pour la montre électronique. Quelques surprises dans la liste des jurés 2009, comme l’arrivée de Gisbert Brunner (historien horloger, Allemagne), de Marcel Philippe (collectionneur, adjoint du procureur de la Ville de New York, Etats-Unis), d’Alexey Tarhanov (journaliste, Russie), de Goro Yamada (historien, Japon) ou de Jean-Claude Sabrier (historien, France). La présence de ce dernier est d’autant plus étonnante qu’il n’a jamais caché que les montres du XXe siècle... l’ennuyaient [on notera d’ailleurs que l’ensemble du jury, expert de la FHH (Dominique Fléchon), « commissaire » Cremers et François-Paul Journe compris, est plutôt culturellement sensible à l’horlogerie traditionnelle, plutôt qu’à la nouvelle génération] !
Pas de surprise dans le nouveau réglement, hormis un augmentation spectaculaire de la participation aux frais – 1 000 CHF – pour les marques sélectionnées...
••• LE PLUS SAVOUREUX RESTE CEPENDANT LA MENTION « Le jury est composé de spécialistes qui n’ont pas de liens directs avec l’organisateur de l’événement », qui n’apparaissait pas dans le règlement des autres années et qui répond directement aux critiques formulées en 2008 par Business Montres – ce qui m’avait valu une expulsion de ce même jury...
• Ah bon, il y avait un problème ?
• C’est un bon début, et il vaut mieux le préciser alors que le Grand Prix de Genève est géré comme un actif commercial par le groupe Edipresse [la notion de lien direct est d’ailleurs contestable pour quatre des membres de ce jury]. Il n’en demeure pas moins différentes zones d’opacité dans la régularité des opérations de vote, notamment la gestion informatique du système de notation lors de la première sélection. Il est pour le moins troublant que cette gestion informatique soit confiée à un proche d’un des plus éminents membres du jury, sans possibilité de contrôle ou d’audit extérieur.
• Pour ce qui est de l’article 6, à propos de la réunion du jury la veille de la cérémonie, on se souviendra que, en 2008, Nicolas Hayek avait reçu ce prix spécial du Jury quinze jours avant cette « réunion à huis clos » et qu’il avait prudemment décliné toute participation à cette mascarade, entraînant la réattribution automatique du prix à Franco Cologni (plaisante anecdote racontée en novembre dernier par Business Montres et impossible à démentir au vu des circonstances)...
••• EN VRAC •••
• DE GRISOGONO : pendant le festival de Cannes, où Fawaz Gruosi a quasiment dû se rendre en... easyJet tellement la tendance est aux économies [les avions privés feraient un peu désordre dans le tableau], le « nettoyage » des comptes de la société a commencé.
Aux manettes, un comité de réorganisation que préside – coucou, le revoilà ! – François Tissot, ex-directeur général de Chopard (démissionnaire à la mi-octobre), qui connaît bien de Grisogono du temps où la maison était sister-ship de Chopard. C’est désormais lui qui signe et il a lancé une tournée des créanciers pour les inciter à échanger une réduction de la dette contre un échéancier réaliste – ce que beaucoup ont accepté, avec des pourcentages variés de renoncement. L’autre objectif est de calmer les plus virulents des fournisseurs, c’est-à-dire à la fois ceux qui sont susceptibles de livrer les composants indispensables à la réalisation des commandes de Bâle [ce sera autant de cash dans les comptes de la manufacture] et ceux qui ont fait inscrire de Grisogono à l’Office des poursuites. Résultat de cet « assainissement » : le retour de la confiance !
• RICHEMONT : pendant qu’on amuse les analystes avec le départ de Norbert Platt (à très court terme ou en fin d’année ? Le débat est ouvert !), les questions fusent sur les résultats publiés ce matin par le groupe. Chacun aura noté la chaleur des compliments adressés à Norbert Platt par son actionnaire, ainsi que le thème de ce satisfecit – notamment la « forte discipline imposée au groupe », thème original en milieu managérial. C’est peut-être ce ton qui a redonné quelques menus espoirs aux analystes...
• RICHEMONT (2) : Les questions portent plutôt sur les comptes : + 2 % sur un an, c’est effacer les six premiers mois de l’année par un correction de six mois de ventes en chute libre. C’est inquiétant pour l’avenir : on comprend mal pourquoi il se vendrait plus de montres au cours du trimestre à venir, d’autant que les commandes du SIHH ont été très parcimonieuses. 19 % de chute pour le seul premier mois de l’exercice 2009-2010 (avril), c’est révélateur : côté chiffre d’affaires, on est de retour à 2006. L’enthousiasme des analystes semble donc très surfait. Surtout dans un contexte d’augmentation sensible des frais de fonctionnement administratif et des dépenses de communication. Sans parler des 800 boutiques à faire tourner en gestion directe (l’analyse des coûts de l’immobilier chez Richemont est en soi un indice probant) !
La ventilation des ventes pose également problème. Passons sous silence l’échec patent de l’intégration dans de bilan annuel de Ralph Lauren et de Roger Dubuis : impossible d’en sentir le moindre effet dans les comptes, ce qui n’est pas bon signe ! D’autant qu’on nous précise que Roger Dubuis a plombé la profitabilité du groupe et que les ventes Ralph Lauren n’ont eu aucun impact positif [on n’ose guère imaginer le ratio dépenses/recettes de cette marque au SIHH].
Pas un mot de maisons comme A. Lange & Söhne, Baume & Mercier, Panerai ou même Piaget : certains silences sont impitoyables et ils confirment l’opinion commune des connaisseurs du milieu. On imagine que le fait de citer IWC en tête des marques horlogères a une signification positive...
D’un part, on voit gravement plonger les ventes chez les détaillants : autant de stocks qui ralentiront la reprise et qui laissent planer le doute sur le ratio sell in/sell out. D’autre part, on s’inquiète pour Van Cleef & Arpels : s’il s’agit d’une année record pour Cartier, alors que les ventes du pôle joaillerie ne progressent que de 4 %, c’est que l’exercice 2008-2009 n’a pas été brillant pour la maison de la place Vendôme. Les autres activités du groupe (écriture, mode) sont elles aussi à la peine, avec de nouvelles pertes pour Dunhill et Lancel.
••• RICHEMONT DÉCONSOLIDE SON PÔLE ÉCRITURE EN REVENDANT MONTEGRAPPA, qui n’était plus que le private label expérimental de Montblanc. La nouvelle ne bouleversera personne, mais elle sonne le glas d’une politique de rachats tous azimuts. Elle annonce peut-être même d’autres reventes...
• HEURE DIGITALE : puisque A. Lange & Söhne a décidé de surfer sur la mode des montres à heures numériques, les propositions pleuvent. Le modèle le plus stupide de l’année est à découvrir sur YouTube : ça, c’est de l’ovni horloger surréaliste !
• RECYCLAGE : pour les Yvan Arpa de l’avenir et tous ceux qui seraient tentés de se relancer dans une aventure analogue à celle de Titanic ou de Moon Dust (RJ-Romain Jerome), il existe un fantastique gisement d’« épaves » qui combine les deux concepts. On découvre sur le site ScienceRay que la Lune est devenu une sorte de dépotoir : une poubelle pour engins spatiaux et déchets aéronautiques abandonnées depuis un demi-siècle. A quand des boîtiers en débris de Luna, de Surveyor et d’Apollo ?
• JULIEN DRAY : il s’explique à fond et en détail sur son amour des montres, sa passion des stylos et ses goûts de luxe dans une interview-vérité au blog Diner’s Room. Rolex, Patek Philippe, Hermès et les autres au programme : « Ce n’est pas parce qu’on aime les belles choses qu’on n’est pas de gauche. Ce n’est pas parce qu’on a des montres et des stylos qu’on perd ses qualités de combattant de la gauche. Faut-il être pauvre pour être de gauche ? (...) On m’accuse d’avoir dépensé des sous en horlogerie. Si j’avais acheté un studio, personne n’aurait rien dit. Mais on se scandalise de mes achats de montres anciennes. Qu’y a-t-il de scandaleux ? On ne peut pas imaginer de mettre autant d’argent dans une montre ? C’est une question de choix et de liberté individuelle. Et je suis intensément de gauche en défendant la liberté individuelle »...
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