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Week-end automobile pour beaucoup de professionnels du luxe et de l'horlogerie :
Monaco et quelques paillettes cannoises pour les uns ;
Pau et son Grand Prix historique pour les plus courageux, mais sans autres paillettes paloises que celle de l'art de vivre béarnais.
Deux visions du luxe et deux époques en symétrie.
La plus prometteuse d'avenir n'est sans doute pas la plus médiatisée.
Démonstration avec l'aventure paloise de Richard Mille.
••• À QUOI RECONNAÎT-ON LES GRANDES MARQUES ? Au fait qu’elles ne se trompent quasiment jamais [en tout cas, beaucoup moins que les autres] et qu’elles ont en général tout juste, même quand ce n’est pas gagné d’avance. On l’a vu récemment avec Richard Mille, dans sa communication autour de la RM 010 édition spéciale pour la boutique Chronopassion : une telle campagne décalée n’était pas évidente pour une marque du statut de Richard Mille, mais la proposition sonnait juste et Business Montres avait choisi de décaler à son tour son commentaire sur ce chef-d’œuvre de la création promotionnelle hors des sentiers battus.
Second épisode ce week-end avec le parrainage par Richard Mille du Grand Prix de Pau historique : là encore, rien n’était moins évident que de faire revivre, pour quelques poignées de passionnés un Grand Prix entré dans la légende et qui est le dernier qu’on puisse encore courir en ville sur le territoire français [pour ceux qui ne l’auraient pas noté, Monaco est un Etat souverain !. C’est même un des derniers grands prix au monde à se courir sur son parcours historique : 2,7 km dans Pau, selon un circuit fixé depuis 1935 entre le gave et les remparts de la ville [c’est le dernier dans ce cas en France].
••• L’AVANTAGE D’UN CIRCUIT PUREMENT URBAIN, c’est qu’on peut y boire son café en terrasse en regardant passer la légende du sport mécanique. L’inconvénient, c’est, bien sûr, un circuit où il est difficile de doubler, dénué d’échappatoires et qui se joue sur une série d’interminables courbes aveugles. Il faut du courage pour s’y imposer : les plus grands champions ont signé à Pau – un monument historique de la course automobile – des exploits mémorables, qu’ils s’appellent Tazio Nuvolari, Juan Manuel Fangio, Alberto Ascari, Hill, Jean Behra, Maurice Trintignant, Graham Hill, Jacky Stewart, René Arnoux, Alain Prost, Juan Pablo Montoya ou même Lewis Hamilton. Pour beaucoup de pilotes contemporains, Pau reste la nostalgie des premières victoires : si les hasards du calendrier n’avaient pas cette année condamné le Grand Prix de Pau historique et le Grand Prix de Monaco de Formule 1 à se courir le même week-end, beaucoup des stars de la F1 aurait fait le « pèlerinage » à Pau…
L’avantage d’un Grand Prix historique, c’est qu’il y a pas le poids terrible des enjeux financiers qui rendent si convenus les rendez-vous de la F1. Ce week-end, de l’avis unanime des témoins horlogers présents en principauté, on s’ennuyait légèrement à Monaco, avec des hôtels loin d’avoir fait le plein et des terrasses manifestement désertées par les sponsors habituels. Trop de souvenirs d’un passé bling-bling qui ne passe plus : du sport marchand sans magie, ni vibrations ! En revanche, on s’amusait ferme dans les paddocks de Pau où – miracle des événements à dimension humaine – une foule bon enfant pouvait admirer de très près les bolides historiques en discutant sans la moindre barrière avec leurs pilotes ou leurs mécaniciens. C’était la fête des sports mécaniques et des belles bagnoles : difficile de résister à l’appel d’un circuit où le rugissement des moteurs ne parvient même plus à affoler les canards qui survolent le gave, en contrebas de tribunes.
L’inconvénient d’un Grand Prix historique, c’est qu’il est… historique ! Les marques des voitures en compétition ont à peu près disparu de la scène internationale : qui se souvient de la Lagonda 12 cylindres, qui fut une des reines du Mans, des Brabham ultra-véloces qui ne faisaient guère que 1 000 CV, des Delahaye ou des Skoada 1101 (1949) ? Du coup, l’événement peut sembler secondaire et « provincial ». Il n’y a pas que McLaren dans la vie : à Pau, Ferrari est une part de la légende, pas une icône technico-commerciale. On peut applaudir sous le ciel palois une Renault 12 Gordini (!) aussi bien qu’un des plus fantastiques plateaux de Bugatti septuagénaires lancées à la poursuite de l’Era B Type d’un néo-champion irlandais.
••• IL SE CRÉE ET IL SE RECRÉE, DANS CES ÉVÉNEMENTS VINTAGE, UN NOUVEAU STYLE DE RAPPORT AU LUXE. C’est ce que Richard Mille a parfaitement reniflé et préempté, dans la foulée de sa main-mise sur Le Mans Classic. Le luxe est ici dans les paddocks et sur le pit lane : les gentlemen drivers qui s’offrent ces gouffres à essence, à main-d’œuvre ultra-qualifiées et à pièces détachées hors de prix, sont la clientèle naturelle des montres Richard Mille. Ses collections marient deux visions antagonistes – mais symbiotiques : l’infiniment grand et l’infiniment petit – de la philosophie mécanique.
Le luxe est aussi, l’espace d’un week-end, dans les yeux des spectateurs qui côtoient un univers de cuirs, d’aciers et de légendes que les ravages du sponsoring n’ont pas rendu inaccessible ou trop lointain pour être mobilisateur. Nostalgie d’un temps où les voitures avaient une âme, sans matière plastique pré-moulée, ni électronique d’assistance : les fourriers de la faillite General Motors devraient venir en stage sur les Grands Prix historiques pour prendre une leçon de marketing et de CRM…
Le néo-luxe, ce n’est pas la massification égalisatrice, qui ne permettrait à ces voitures exceptionnelles de n’exister que dans des musées, derrière des vitrines. C’est, au contraire, l’acceptation d’une différence qui donne à certains les yeux de faire vivre ces joyaux de l’automobile pré-industrielle et de les offrir en partage, à leurs pairs comme aux simples spectateurs. Pas de délires publicitaires, ni de départs en fonction de la retransmission télévisée sur les grands channels multi-continentaux. Pas de gardes du corps, ni de délires sécuritaires : les vainqueurs – souvent tempes grises et petit bedon dans la combinaison – courent pour l’honneur et on applaudit leur courage, pas leur logo !
••• CALCUL INTELLIGENT POUR RICHARD MILLE, QUI A MISÉ JUSTE. Il a deux passions : les montres modernes et les voitures anciennes. Il sert ces deux maîtresses autant qu’il se sert d’elles pour ses menus plaisirs. Sa double culture est vivante : il trouve triste les musées de voitures autant qu’il avoue n’avoir aucun atome crochu avec les montres classiques, qu’il respecte, mais de loin. C’est le grain de folie des voitures anciennes qu’il aime, la poussée d’adrénaline qu’elles procurent, au physique quand il conduit sa Lola T70 noire – une « bête » à ne pas mettre entre toutes les mains et qu’il commence à peine à apprivoiser – ou au mental quand il fait refaire la Delahaye d’avant guerre qu’il vient de racheter, non comme son propriétaire l’avait réalisée, mais comme son designer, Chapron, l’avait rêvée sans pouvoir convaincre le propriétaire en question…
La dimension plaisir est ici essentielle et elle souligne immanquablement un des caractères constitutifs de la nouvelle génération horlogère, dont Richard Mille a été un des fondateurs et un des inspirateurs, avant d’en devenir le « parrain » officieux, sinon le « père » de beaucoup d’enfants pas toujours légitimés. Plaisir de faire des montres qui donnent du plaisir et pas seulement l’heure – des montres qui réenchantent les heures par la stimulation d’émotions toujours renouvelles du fait de leur concept esthétique, mécanique ou artistique.
C’est dans cette perspective d’une nouvelle expression horlogère – largement ouverte à d’autres influences, comme l’art contemporain, la passion automobile, l’aventure sportive, la symbolique culturelle – qu’il faut comprendre l’invasion par les panneaux Richard Mille du Grand Prix de Pau historique : au-delà de la course elle-même et du travail d’image auprès des gentlemen drivers, il y a cette cristallisation d’un nouveau style dans l’approche du luxe horloger. Une sérieuse volonté de ne pas se prendre au sérieux en optant pour la garden party affinitaire plus que pour les paillettes pipolitaires. Une modestie savamment calculée, sans esbroufe ni show off, d’autant plus efficace qu’elle se vit et se partage dans une sorte d’ambiance vintage cars2.0 on ne peut plus tendance et contemporaine.
••• MIMILE SUPERSTAR : dans ce contexte de folies mécaniques, même le prix des montres ne choque plus les badauds, qui comprennent d’instinct la filiation avec les Aston-Martin octogénaires et les AC Cobra.
•L’important, c’est que le message passe : légitimité et consistance auprès du public naturel de ces montres, authenticité et pertinence de l’image auprès du grand public des spectateurs. On ne vendra sans doute pas une Richard Mille de plus à Pau [où la marque n’a d’ailleurs pas de détaillant], mais Richard Mille est désormais, aux yeux de tous, la marque d’un certain plaisir partagé, entre nostalgie rétro-futuriste et catharsis tachy-sociétale [dans la vie quotidienne, ces portions du circuit sont limitées à 30 km/h : ça fait du bien, le temps d’une course, de repousser les limites !].
• Vivre les montres autrement : mission accomplie. Les relier à d’autres univers que la pure virtuosité mécanique, de plus en plus clairement prisonnière de son vertige compliqué : démonstration faite. Les inscrire dans une nouvelle sensibilité au luxe et aux objets d’exception : signal envoyé.
••• CI-DESSUS : Richard Mille (remerciements à Stephan Ciekja, La Revue des Montres, pour la photo).
• Ce n’est plus en se poussant du col qu’on affermit son identité, c’est en restant soi-même et en se contentant de son propre système de valeurs. Encore faut-il être fort à l’intérieur ! Richard Mille ne manque pas de ressources – créatives, managériales ou personnelles – sur ce front intérieur... |