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Il y a 500 ans, Calvin inventait la ponctualité
Quand l’austère réformateur français s’installa à Genève, il exigea de ses nouvelles ouailles à la fois plus de modestie dans la tenue et plus de ponctualité à l’heure du service divin. C’est ainsi que le savoir-faire des joailliers et des orfèvres fut utilement recyclé dans l’horlogerie.
Gian Pozzy
En 1541, le réformateur Jean Calvin s’installe à Genève. Il va y dicter sa loi. L’une d’elles institue la ponctualité comme une vertu cardinale, d’autant plus facile à observer que, dès son arrivée, Calvin intime aux joailliers et aux orfèvres, qui faisaient la réputation de la petite ville de 12’000 habitants, de changer de métier : leurs talents ne serviront plus à la fabrication de « croix, calices et autres instruments servant à la papauté et à l’idolâtrie », ni même à ceindre les fronts ou à orner les cous des belles et riches frivoles. Non, leur savoir-faire doit se mettre au service de l’art noble de l’horlogerie.
Car à l’époque, les contrées pionnières en matière d’horlogerie ne se situent pas entre Alpes et Jura, mais bien en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre et aux Pays-Bas. Ce sont là des nations où les monarques et l’aristocratie cultivent un goût immodéré pour le luxe et où, par ailleurs, voient le jour des scientifiques, des marins et des explorateurs qui feront de la mesure du temps leur instrument de travail.
C’est donc la succession de divers événements – l’arrivée de Calvin, sa répulsion pour les objets d’ornement et sa manie de la ponctualité, puis l’afflux continu de huguenots parmi lesquels se recrutait l’élite professionnelle des horlogers français et, enfin, beaucoup plus tard, la Révocation de l’Edit de Nantes de 1685 et son flot de réfugiés – qui fit de Genève, en ce temps-là, la capitale mondiale de l’art horloger.
Une journée rythmée par les sermons
A peine arrivé, Calvin publie ses Ordonnances ecclésiastiques qui vont faire de Genève non pas une théocratie comme on l’a dit, mais une petite république policée par ses prédicateurs. Car les autorités laïques de la ville voient d’un bon œil ce surcroît de discipline. Dans ces textes, il distingue les quatre ministères de l’Eglise : les pasteurs, qui prêchent la parole de Dieu et administrent les sacrements ; les docteurs, qui enseignent les Saintes Ecritures et la Sainte Doctrine ; les anciens, qui veillent aux bonnes mœurs des fidèles ; les diacres qui s’occupent des pauvres et des malades.
Les Ordonnances de Calvin et le zèle de ses pasteurs allaient imposer aux Genevois un rythme de vie austère d’où la rigolade et l’oisiveté étaient exclues : sermon dans deux églises à 4 et 6 heures du matin, nouveau sermon dans trois églises à 8 heures, catéchisme à midi et quatrième sermon à 15 heures le dimanche. Dès 1541, Calvin institue une amende de 3 sous pour ceux qui manquent le service divin, arrivent en retard ou partent avant la fin. Car le maître mot est : ponctualité, une notion complètement étrangère aux Anciens, aux penseurs du Moyen Age et même à Erasme, Ronsard et Montaigne. « Mieux vaut une solide avance qu’une seconde de retard », illustre le théologien Max Engamarre, de l’Université de Genève. Pour Calvin, il n’y a pas de temps perdu. En chaire, il rappelle constamment qu’à l’heure du Jugement dernier, le bon chrétien devra rendre compte de chaque instant de sa vie. C’est lui, d’ailleurs, qui met en valeur la minute qui, jusqu’alors, n’avait aucune importance. « Un instant pour chaque chose et une chose pour chaque instant », résume Max Engammare dans son ouvrage « L’Ordre du temps – L’invention de la ponctualité au XVIe siècle » (Librairie Droz, Genève, 2004).
Pas de village sans horloge au clocher
En 1570, Calvin est mort depuis six ans mais Genève gère avec application l’héritage du grand homme tout en y apportant quelques aménagements : certes, les Genevois se lèvent toujours à 4 heures, écoutent les sermons de bout en bout, s’occupent minutieusement de leurs affaires et rendent ponctuellement des actions de grâce. Les prédications, quant à elles, sont minutées – il faudrait dire « secondées » – à l’aide d’un sablier. Mais la durée du sermon est réduite de 60 à 45 minutes et on évite de mettre en concurrence les heures de prière et les heures de marché. Reste que les citoyens sont priés d’intégrer l’heure exacte. Et ils le font d’autant plus facilement, raconte Vincent Monnet, rédacteur à la revue « Campus » de l’Université de Genève, qu’en 1561 on a installé des horloges aux points stratégiques de la ville. Cette nouvelle organisation du temps va rapidement se propager aux villes réformées de la jeune Confédération. Au point que Montaigne s’étonnera lors d’un voyage en Suisse vers 1581 : « Il n’y a pas de petit village qui n’ait son horloge. »
L’invention de la ponctualité a agi comme une révolution sur les mœurs. Jusqu’alors, seuls les couvents connaissent plus ou moins des horaires que sonnait le frère de service : matines, laudes, vêpres et complies. Pour le reste de la population, les horaires se limitent aux lever et coucher du soleil, avec un zénith à mi-chemin. La lumière (chandelle, lampe à huile) étant un bien rare, inefficace et cher, tout le monde se couche avec les poules. Pas question de déranger quiconque après 21 heures.
L’histoire ne dit pas si, avec sa manie du temps minuté, Jean Calvin fut un précurseur du sentiment moderne de stress. Ce qui est sûr, c’est qu’il favorisa l’installation à Genève de multiples horlogers huguenots, surtout français, dont l’industrie allait rayonner sur tout le continent. Etant bien entendu que les plus raffinés de leurs produits devaient être exportés vers les cours européennes puisqu’à Genève, le luxe avait toujours aussi mauvaise réputation que l’oisiveté. ■
Recherches iconographiques : Marc-Antoine Claivaz
Photothèque des Musées d’art et d’histoire de la Ville de Genève
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