|
Le vent horloger tourne.
Votre Quotidien des Montres tente d’en deviner
les prochaines orientations : à n’en pas douter, de nouvelles esthétiques se dessinent, dans le plus contemporain comme dans le plus historique, avec une pression de plus en plus forte des nouvelles technologies.
Bienvenue dans un monde qui change !
••• MAX BUSSER & FRIENDS :
On a aujourd’hui une idée plus précise de ce que seront les montres du prochain catalogue Only Watch (Monaco, 24 septembre). Une des pièces les plus intéressantes de la vente organisée par Osvaldo Patrizzi au profit de l’Association monégasque contre la dystrophie musuclaire de Duchenne devrait celle que présentera Max Busser pour MB&F : une HM (Horological Machine) retravaillée avec l’artiste Sage Vaughn, qui est aujourd’hui considéré comme un des espoirs de la nouvelle scène américaine. Une double démarche généreuse, l’artiste donnant son temps et son talent à une jeune maison elle aussi apporteuse de matière première et de talent.
Le résultat est étonnant, puisqu’il mêle l’univers paradisiaque légèrement torturé de Sage Vaughn – ici interprété dans une sculpture en 3-D – au nouveau art du temps tel que le mouvement d’une HM de MB&F peut le magnifier.
Pas question pour l’instant de dévoiler le prototype, mais, ci-dessus, le style de l’artiste et deux de ses œuvres traduisent son approche compassionnelle de la souffrance des enfants et de l’innocence blessée par une nature impitoyable.
Sage Vaughn revient de loin et sa peinture le sait : descendu très bas dans la soumission à l’héroïne, il aime la nature et les enfants, mais il les peint sans mièvrerie en nous interrogeant sur la place que nous leur laissons à l’âge de fer des machines et de la technologie.
Pour mieux comprendre qui il est, ne pas manquer sa vidéo N.A.S.A. « Way Down », inscrite dans une sorte de fausse candeur pop-art acidulée par la cruauté darwinienne d'une perception tragique, celle du malentendu qu'est toute existence digne ou indigne de ce nom.
On se pousse ici très loin du luxe bien poli miroir de l’horlogerie conceptuelle, dont Maximilian Busser est un des chefs de file. Sous la passion micromécanique, la pulsion d’un art analgésique : curieux rendez-vous que celle d’un Vaughn et d’un Busser (c’était improbable, et tout a commencé par une batte de base-ball hérissée de clous, celle qui décore le bureau de Max Busser et qui est signée Sage Vaughn – c’était le premier des indices de ce jeu de piste !], mais la confrontation est loyale : coïncidence féconde de deux sensibilités, qui s’expriment ici sur une note dolorifique et sur des harmonies hypersensibles qu’on ne s’attendait pas forcément à trouver chez un jeune créateur horloger injustement soupçonné – par ceux qui ne le connaissent pas – d’être le simple metteur en scène d’un nouveau marketing égocentrique...
L’exercice a été poussé très loin par Sage Vaughn, qui peut demander aujourd’hui à peu près n’importe quel prix de ses peintures, mais qui a tenu à aller jusqu’au bout de son geste pour Only Watch, en peignant un écrin pour la montre conçue avec l’équipe de Max Busser.
Bref, cette MB&F HM Only Watch – émouvante de sensibilité et crissante d’émotion – va faire du bruit !
••• LA RENCONTRE DE L’ART CONTEMPORAIN ET L’HORLOGERIE CONTEMPORAINE est un choc culturel capable de provoquer des étincelles créatives qui mettront le feu à l’industrie : le décloisonnement mental est un impératif catégorique !
••• DE BEERS : Fin de l’aventure pour Jean Leymarie, ex-Richemont (il avait précédé Bernard Fornas à la présidence de Cartier] passé chez LVMH en 2004 pour manager la joint-venture De Beers-LVMH : il devrait quitter en fin d’année son fauteuil de CEO. Apparemment, les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances et les 40 boutiques déjà montées coûtent une fortune alors que le retournement du marché du diamant tarit les ressources. Il devrait être remplacé par François Delage, qui gérait jusqu’ici Forevermark, un autre réseau des « mineurs » de la De Beers...
••• UN NOUVEL INSCRIT SUR LA « LISTE DE MÜLLER », qui s’imposera demain comme le... Gotha de l’horlogerie des années zéro-zéro !
••• REAL TIME CONCEPT :
L’horlogerie virtuelle est aujourd’hui capable de créer des « -maîtres-horlogers virtuels » : démonstration numérique de l’équipe genevoise de Real Time Concept, qui présente son nouveau virtual watchmaker, un logiciel inspiré des jeux vidéo qui permet de monter et de démonter, pièce par pièce, sous-ensemble par sous-ensemble, chaque élément de la montre, de façon ludique et pédagogique. La souris remplace les brucelles et l’écran sert d’établi pour ranger l’assortiment : la modélisation reprend les dessins en 3-D et les animations déjà créées par les logiciels de CAO, en leur ajoutant une surcouche de réalisme dans le rendu. On y croit !
••• CETTE VIRTUALITÉ NUMÉRIQUE est un fabuleux outil d’initiation et de formation : on peut en imaginer de nombreuses applications, pour la découverte d’un nouveau calibre ou pour le SAV. On peut ainsi, à distance, aider un jeune horloger à démonter un calibre, à la remonter ou à comprendre quelle pièce pose problème.
• Vivement que ce genre d’animation – pour l’instant purement professionnelle (plusieurs marques ont mis une option) – soit disponible, en ligne, pour tous les amateurs et les apprentis-horlogers du dimanche...
••• PATRIZZI & CO AUCTIONEERS :
La renaissance d’une passion pour les pendules de la Renaissance : le monde des enchères horlogères avait attendu depuis 150 ans une telle suite d’horloges et de montres de la Renaissance. Les 70 pièces ont été vendues à des amateurs du monde entier, présents sur place ou enchérisseurs en ligne : s’il y a eu 100 % de lots vendus, le résultat en valeur est de 160 % de l’estimation initiale, pour un montant total de 2,645 millions d’euros (un peu plus de 4 millions de francs suisses), dont un lot (n° 27) à 205 000 euros.
Adjudications qui s’entendent nettes de toute commission, Patrizzi & Co ayant décidé de persévérer dans ce concept qui commence à être mieux connu et compris par les amateurs : pour comparer avec ce qui aurait pu être obtenu sous le marteau des concurrents, il faut ajouter environ 30 % au montant de chaque enchère – les collectionneurs sentent tout de suite la différence !
Observation sur cette « belle leçon d’horlogerie donnée par Osvaldo Patrizzi » (Business Montres du 9 mai) : on décèle l’excellente santé d’un marché qui restait jusqu'ici marginal et qui intéresse manifestement une nouvelle génération d’amateurs. Estimés avec beaucoup de clairvoyance en dépit d’un manque flagrant de références dans un passé proche, les lots de cette vente ont subi une évolution inverse à celle du marché : les pièces plus « modestes » ont souvent crevé le plafond, alors que les raretés sont restées à des niveaux d’appréciation corrects – voire un peu au-dessous ce qu’on aurait pu en attendre, mais la crise touche aussi les musées qui ont vu se réduire leurs budgets. Ceci posé, les trois lots les plus importants de la vente ont été raflés par un même collectionneur italien, qui rêvait d’une dispersion de ce genre pour décrocher enfin son « Graal »...
Cette polarisation sur les pièces les moins chères – qui ont, pour l’occasion, suscité les plus belles batailles entre amateurs – est la preuve d’une attention soutenue de la part de nouveaux collectionneurs, venus se faire les dents sur des pièces qui les touchent et qu’ils subodorent lourdes d’un fort potentiel, mais sur lesquelles ils hésitent encore à se risquer.
Corollaire : la quasi-absence en salle ou en ligne des acheteurs asiatiques, qui n’ont pas encore acquis la « maturité culturelle » nécessaire pour apprécier ces pièces d’horlogerie dignes des meilleurs musées. Ils vont immanquablement réfléchir aux adjudications de cette vente et réaliser qu’il y a une vie hors des montres-bracelets de marque et des pièces historiques royales – au sens propre du terme – à rafler pour une fraction du prix d’une « complication » contemporaine...
••• CONFIRMATION PARALLÈLE de la place désormais occupée par Milan dans les enchères horlogères : Genève n’est plus la seule capitale européenne pour les objets du temps !
••• ZAPPING •••
Quelques petits riens sur un peu de tout ce qui concerne les montres…
• CARTIER : le fait que Cartier ait retiré sa plainte contre Apple en échange d’une « épuration » par l’App Store des ludiciels incriminés (Business Montres du 23 mai) ne règle que partiellement le problème de ces applications horlogères virtuelles : a-t-on ou non le droit de pasticher à des fins ludiques – et pour des applications gratuites – les icônes horlogères des marques de montres ?
• RICHARD MILLE : selon une confidence – crédible – de l’horloger au cours du Grand Prix de Pau historique, dont il était ce week-end ce principal parrain (Sur les traces de Fangio, un tour de circuit avec Richard Mille, les commandes auraient augmenté de 17 % au printemps 2009 (par rapport à 2008), alors même que la marque n’a été présente ni à Genève, ni à Bâle...
• JAEGER-LECOULTRE : la Super Yacht Cup annoncée ces jours-ci en baie de Cannes (elle se présentait comme la « première régate dédiée aux super yachts en France ») a été tout simplement et très brutalement annulée. Jaeger-LeCoultre et Aston Martin en étaient les cautions de luxe, avec Pommery pour le champagne. Village, sirées et dîner de gala charity étaient au programme. Tout vient d’être démonté, sans prévenir, à trois jours de l’épreuve : mystère !
••• A TROP VOULOIR SINGER LE (VIEUX) LUXE, les organisateurs avaient tout simplement oublié qu’il existe, depuis longtemps, une Superyacht Cup qui organise en Méditerranée une série d’événement véliques très courus. On s’étonne quand même que les sponsors ne soient pas plus regardants...
• ROLEX : pendant la crise, les travaux continuent, puisque la marque vient d’ouvrir sa seconde boutique propre en Malaisie (Swiss Watch Gallery, dans le centre de Kuala Lumpur). Décor classique en platane et moelleuse Rolex touch : c’est la seconde boutique purement Rolex de Malaisie...
• TAG HEUER : les supporters italiens de l’Inter Milan, équipe de football qui vient de remporter son dix-septième championnat d’Italie (le quatrième consécutif), considèrent que cette victoire des Nerazzuri est due au chrono TAG Heuer Sixty Nine (réversible analogique-digital au 1/1 000e de seconde) de José Mourinho : José Mourinho l’a portée pendant tout le Scudetto (championnat) et il l’a offert au président du club, Massimo Moratti, pour son 64e anniversaire, qui tombait pile le jour de la victoire finale...
• CANDINO-PLANET SOLAR : le défi de l’équipe regroupée autour de Gérard d’Aboville et Raphaël Domjean commence à prendre. Le partenaire horloger sera Candino (groupe Festina), qui prépare pour ce premier tour du monde nautique en multicoque mû par l’électricité solaire une « complication inédite ». La construction du bateau a commencé à Kiel, avec une livraison prévue pour la fin 2009. On pourra découvrir le projet Planet Solar dans quelques jours, à Paris, au Salon européen de la recherche et de l’innovation. Le départ est toujours prévu pour 2011, avec un grand road show européen de sensibilisation en 2010...
• CERCLE DE L’HORLOGERIE DE MONACO : Franco Cologni, président de la Fondation de la haute horlogerie, sera le prochain invité (3 juin, hôtel Métropole) de ce cercle de passionnés monégasques (renseignements : +377 97 98 22 44)...
• OR : la demande d’or pour l’horlogerie-joaillerie a reculé d’un quart en volume depuis 2008, avec une consommation de 339 tonnes qui est désormais dépassée par celle de l’or-placement (600 tonnes, 400 % d’augmentation depuis 2008). Cet or-refuge représente désormais à peu près 80 % de la demande...
• GOÛTS DE LUXE : le gouvernement chinois part en guerre contre les... « goûts de luxe » de ses généraux, les cadres de l’Armée populaire de libération étant appelés à « abandonner toute forme d’hédonisme et d’individualisme ». Un rappel à l’ordre moral qui accentue l’actuelle campagne anti-corruption. Dans son blog du Figaro, Arnaud de Lagrange raconte : « Des sources militaires ont indiqué au China Daily qu'il s'agissait d'un signal fort envoyé à certains officiers pour qu'ils stoppent des dépenses extravagantes. Un système doit être mis en place pour renforcer les sanctions d'officiers qui bénéficient souvent d'une trop grande impunité. Le professeur Mao Shoulong, chercheur officiel de la Renmin University of China, explique que “l'opinion publique a l'impression que certains officiers ont un style vie dispendieux et de promènent dans des voitures de luxe“. De fait, on voit régulièrement des internautes chinois s'interroger sur la manière dont certains hauts gradés chinois se promènent dans des 4X4 hors de solde avec plaque militaire, garés plus souvent devant le karaoké que le champ de tir ».
••• LES ALLUSIONS PUBLIQUES À LA CORRUPTION DES OFFICIERS sont extrêmement rares en Chine, cet appel à la vertu laissant présager un sérieux changement dans l’actuelle vision marxiste-léniniste du luxe.
• Un signal d’autant plus fort pour les horlogers européens que les montres sont le « cadeau de corruption » préféré des Chinois, qui les achètent souvent pour la richesse perçue qu’elles concentrent sous un minimum de volume autant que pour les porter...
• STATISTIQUES : inquiétudes syndicales à l’approche des vacances et de la fermeture d’été, que beaucoup d’entreprises horlogères ont demandé cette année à... prolonger ! Ce qui ne ravit pas forcément les employés, qui ne savent pas trop comment leur « boîte » passera l’été et qui voient se multiplier les recours au chômage partiel. Dans le Jura, pour la première fois depuis 17 ans, on a dépassé la barre des 100 000 heures de travail perdues pour cause de chômage partiel (150 entreprises en ont fait la demande depuis janvier). La branche horlogère est responsable de 80 % de ces heures perdues...
|