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Même les Arsène Lupin de la place Vendôme ont compris que les montres restaient la meilleure valeur refuge en temps de crise !
Dans une actualité horlogère en pente douce, tuée par l’infernale succession des jours fériés de mai, votre Quotidien des Montres n’en reste pas moins sous pression pour vous dénicher de quoi alimenter les conversations dans les morning briefs : hélas, même à Las Vegas, les grands shows horlogers ne sont plus ce qu’ils étaient...
••• SWISS SPACE (by CATENA)
Un clip vidéo amusant sur les télévisions italiennes (MTV et Sky): Swiss Space–Trime generation fait renaître un concept culte du design horloger de la fin des années soixante, la fameuse Spaceman, qui est exposée au Moma de New York. Swiss Space est une montre Swiss Made, comme les autres productions de la marque Catena [célèbre pour ses boîtiers exclusifs en fer à cheval], qui appartient au groupe français Ambre (Yema, Yonger & Bresson, Paco Rabanne).
••• DEUX ORIGINALITÉS DANS CETTE MONTRE, EN PLUS DU DESIGN : le film publicitaire lui-même, qui constitue une approche originale du marketing pour un groupe indépendant comme Ambre. Et aussi le verre saphir à douze faces qui protège le cadran (exclusif Ambre). Vivement la fin du test italien, qu’on découvre cette Swiss Space hors de la péninsule...
••• BELL & ROSS
Le bling, ce n’est pas le matériau lui-même (diamant, or, paillettes, etc.), mais l’abus de préciosité, la redondance verbeuse et la boursouflure esthétique poussée jusqu’au gongorisme le plus gongoriforme. Vous ne verrez pas la Bell & Ross Ingot [image ci-dessus] en Europe : pour de mystérieuses raisons, cette série limitée (250 pièces) a été réservée aux Etats-Unis [où la marque résiste parfaitement à la crise], à Hong Kong et à Singapour. Ce qui est dommage : de même qu’on a pu apprécier les concepts « All Black », ce concept « Full Gold » ne manque pas de pertinence. Cadran or, trois aiguilles or, boîtier or, couronne or, cornes or, index or et même vis de carrure en or : c’est la quintessence de l’or 18K associée à un boîtier BR 01 purement « instrumental ». Une impression de force et de plénitude se détache de cette idée très pertinente, qui est tout sauf bling-bling et qui laisse même percer une certaine insolence dans le défi au néo-misérabilisme de ce début de crise.
••• BIEN VU, COMME DÉCALAGE DANS LA NOUVELLE APPROCHE DU LUXE : l’or n’est pas tabou, ni sale, ni même maudit, il n’est qu’un moyen, pas une fin, ni jamais – en principe – un prétexte. Et l’or reste même un moyen très sûr pour démontrer sa richesse sans l’afficher, démarche qui a toujours été celle du vrai luxe...
••• JCK (LAS VEGAS)
Sensations mitigées au JCK, où les détaillants américains se retrouvaient pour la première fois depuis l’explosion de la bulle financière : l’ambiance était, comme à Baselworld, au « réarmement moral », même si la fréquentation était à la baisse (au moins 30 % par rapport à l’année dernière, avec un vendredi en panne et un week-end guère plus animé). Le tout était de savoir où il fallait être : au JCK Show du Venetian ou à Couture, au Wynn ? De l’avis unanime, c’était cette année au Wynn que tout se passait pour l’horlogerie digne de ce nom...
Quelques enseignements de cette grande parade horlogère aux Etats-Unis :
• Les détaillants américains – dont beaucoup n’avaient pas fait, pour la première fois depuis longtemps, le détour par Bâle – ont envie de se battre et de survivre. Avec un leitmotiv : « Ceux qui survivront seront les meilleurs parce qu’ils auront été les plus forts dans la plus forte des crises » [c’était le thème d’une des conférences les plus suivies du JCK Show, « Adapting and Evolving Your Business in a Changing World »]. Sous-entendu : les petits indépendants, plus souples et plus adaptables que les grands réseaux, s’en tireront mieux [vérification effectuée sur le terrain, où les indépendants ont plus commandé que les chaînes]
• Beaucoup croient à une reprise en fin de d’année [« The worst is over », pour Ken Gassman, analyste spécialisé] et ils s’y préparent, en donnant la priorité à des nouvelles marques indépendantes et capables de rendre leurs vitrines plus attrayantes grâce à des montres mieux placées en prix : il se développe une étrange phobie collective du prix élevé, qu’il ne faut surtout plus mettre en avant.
• Comme en Europe, le problème n° 1 est celui du cash, pour les détaillants [faute de trésorerie, ils ne peuvent pas commander les montres qu’ils pourraient vendre] comme pour les clients [ils aimeraient acheter, mais ils ne le peuvent plus faute d’argent disponible].
• D’où l’attention portée aux techniques de promotion low cost, au back to basics en matière de relation avec le client [un bon verre de bière vaut mieux qu’un petit café !], aux réseaux sociaux et à de nouveaux engagements sociaux, notamment dans la transparence vis-à-vis des lois sur les « diamants de sang » ou le blanchiment d’argent sale...
••• CHOPARD
Le retour d’Arsène Lupin et de quelques questions : braquage à Paris, place Vendôme, à une centaine de mètres du ministère de la Justice bourrés de policiers en faction. 6,6 millions d’euros pour douze pièces raflées en moins de deux minutes : Arsène Lupin est de retour et il n’a pas forcément l’accent slave des Pink Panthers.
Signe de reconnaissance : Arsène Lupin porte aujourd’hui un Borsalino à la place du haut-de-forme cher au gentleman-cambrioleur – qui ne rechignait pas, à l’occasion, à sortir une arme même s’il ne s’en servait pas...
••• DEPUIS UN AN, LES BRAQUEURS AURONT FAIT MAIN BASSE sur à peu près 120 millions d’euros en montres et en bijoux ! Ce qui commence à faire beaucoup : 10 millions par mois en moyenne...
• Une belle pub indirecte dont Chopard se serait bien passé [encore que, si ça ne traumatisait pas autant le personnel...], mais qui rappelle l’audacieux braquage de Bruno Sulak, qui avait dévalisé la boutique Cartier de Cannes en... short et raquette de tennis ! Pour le pragmatique et beau joueur Alain-Dominique Perrin, qui dirigeait alors Cartier, c’était « une mémorisation visuelle du nom Cartier comme aucune campagne ne pourrait la créer ». Parole d’expert...
• Une question tout de même : alors qu’on en est à vouloir scanner intimement tous les voyageurs dans les aéroports et à installer des portiques dans les écoles maternelles françaises, ne serait-il pas temps d’installer des scanners-détecteurs d’armes dans les sas des boutiques « sensibles » ?
••• ROTH, GEOFFREY, PAS DANIEL...
Le Roth de l’année n’est pas celui de la vallée de Joux, mais Geoffrey Roth, maître-horloger de l’Arizona ! Il a installé son atelier dans le désert de Sedona [excellent décor de western] et il y produit désormais, sous la marque Geoffrey Roth, des montres en séries limitées très exclusives, ainsi que des lignes de bijoux qui avaient assuré sa réputation de joaillier indépendant. Il produit lui-même, depuis cette année, la plupart de ses composants, tout en continuant à proposer un « tracteur » suisse comme le 2892 ETA pour la plupart de ses montres : on peut déjà le considérer comme la seconde manufacture américaine après celle de RGM, qui produit son calibre 801 à Lancaster, en Pennsylvanie. On peut donc parler de « manufacture Geoffrey Roth », puisqu’il dessine à peu près tout et qu’il le réalise lui-même sur sa CNC, cadran, couronne, aiguilles et bientôt cadrans compris. Il annonce ces jours-ci une montre tonneau (prix moyens entre 5 000 et 10 000 dollars, les montres n’étant vendues qu’en direct)...
••• PLATE-FORME COOPÉRATIVE
Les designers – bons et mauvais – sont-ils menacés par les nouveaux intermédiaires collaboratifs ? Business Montres posait la question ce week-end et les réactions ont été vives : « A quand des montres co-designées par les (vrais) amateurs du monde entier ? ». Réponse globale : si menace il y a, elle est financière plus que créative [à intensité créative égale, le moins-disant ne sera pas forcément suisse !]. Corollaire : la création horlogère est un métier ultra-pointu et très exigeant dans les moindres détails [il est évidemment plus facile de dessiner la coque extérieure d’une mobile high-tech plutôt que la complexité interdépendante d’un boîtier, d’un cadran, d’un mouvement et d’un bracelet]. Le savoir-faire des designers spécialisés n’est donc pas remis en cause, du moins à court terme.
••• INQUIÉTUDE, POURTANT, AVEC LA TENTATION DES MARQUES d’optimiser leurs coûts tout en améliorant leur image avec un bonne rasade de 2.0 largement médiatisée : quand LG ou MTV passent au low cost créatif, il y a du souci à se faire...
••• ZAPPING •••
Quelques petits riens sur un peu de tout ce qui concerne les montres…
• BREGUET : la montre Breguet qui appartenait à Alexis Bouvard (Business Montres du 28 mai) a finalement été adjugée par Bukowskis (Stockholm) pour 170 000 euros sous le marteau. Ce qui prouve que les « bonnes » pièces dotées d’un pedigree intéressant ont toujours des amateurs...
• ROGERS LONDON : lancée par Greg Rogers, cette nouvelle marque anglaise apporte une nouvelle preuve de l’insolente santé affichée par la démographie horlogère. Rogers Lonfon entend s’imposer sur le créneau de la nostalgie, du vintage et du « retour aux classiques », qu’il s’agisse de l’horlogerie design des années trente [boîtiers « curvex »] ou de la fascination pour les montres gravée et l’ornementation la plus extravagante [typique d’un goût londonien, qu’on retrouve dans la gravure des célèbres fusils créés par MM. Purdey & Sons]. Séries ultra-imitées et personnalisation de rigueur.
• SUUNTO : les montres Suunto ne sont plus seulement ces boîtiers synthétiques bourrés de fonctionnalités fascinantes mais dénuées de tout glamour. Disponible sur boîtiers acier, la nouvelle collection Elementum, déclinée en Aqua (lunette vissée du meilleur effet et couronne moletée), Terra (beau bracelet) et Ventus (look chrono intéressant pour une montre nautique) prouve qu’on peut en faire beaucoup avec un tout petit peu de design, sans le moins du monde renoncer à son parti-pris d’hyper-fonctionnalisme. Un excellent film corporate marque cette refondation de Suunto (à découvrir sur le site Elementum).
• LACERTA : cette marque hongkongaise est à peu près inconnue en Europe, mais elle s’est spécialisée dans les montres mécaniques, du chronographe au tourbillon, évidemment China Made (clones variés des grands calibres suisses). Le design n’a rien d’original, sauf ceux qui sont franchement repompés sur des standards européens : sous le manteau, on présentait ainsi à Baselworld (Hall 6) une quasi-Bell & Ross Instrument, qui n’est bizarrement pas en accès libre sur le site de la marque...
• HORLOGERIE-SUISSE : Pascal Brandt souligne dans son billet horloger – « Chiffres d’affaires déficients et déficit de mémoire » – à quel point l’industrie fait aujourd’hui « preuve d’un déficit de mémoire et d’une faculté d’incapacité d’anticipation » en fermant à la hâte ses écoles d’apprentissage et en mettant en veilleuse ses plans de formation tant internes qu’externes – certaines initiatives genevoises prévoyaient des recrutements en France et dans toute l’Europe. « Sans évoquer les marques “écran de fumée“ aujourd’hui exsangues qui ont largement exploité la crédulité d’une certaine clientèle avec ce genre d’objets et qui ne disposent d’aucun service après-vente, l’avenir à terme sera fait – pour les marques responsables –de personnels très bien formés, au fait des subtilités les plus fines et les plus complexes d’un mouvement autre que simple et ne comportant que trois aiguilles ». Jean-Daniel Pasche, le président de la FH rappelait récemment : « Au niveau de la formation, il est impératif de travailler sur le long-terme ».
Pascal Brandt appelle les marques à un minimum de responsabilité, pour ce qui concerne « l’engagement pris avec le client, de même qu’il en va d’un engagement à prendre et à confirmer avec une génération, celle de la relève. Cette génération que l’on a encouragée à s’orienter vers l’horlogerie durant toutes les dernières années, et à laquelle on dit aujourd’hui de repasser un de ces quatre »...
• TEST OCÉANIQUE : pour l’instant, la montre Gamma de la marque californienne Reactor tient le coup ! Elle a été immergée par 100 m de fond, accrochée à un cargo coulé au large de la Floride, pour une durée de trois ans, en situation réelle d’exposition à la pression, aux courants et à l’eau salée. La Gamma (boîtier acier de 45,5 mm) est la seule montre de plongée du marché à proposer 24 heures de luminosité sans tritium, grâce à une application spéciale de Superluminova...
• HAUTE FRÉQUENCE : un oubli de taille dans le récent article de Business Montres sur la précision et les échappements à haute vitesse. Une des marques qui a récemment travaillé le 6 Hz (42 200 A/h) est Audemars Piguet, avec son impressionnante Jules Audemars à échappement spécial non lubrifié (calibre 2908)...
• TITANIC : quelle est la vraie montre du Titanic – en dehors de celles de RJ-Romain Jerome, évidemment ? L’histoire en connaît plusieurs, mais une des plus émouvantes a été vendue ces jours-ci par Bukowskis (maison d’enchères de Stockholm, Suède), avec différents souvenirs du naufrage. Cette montre de poche est d’autant plus chargée d’histoire qu’elle appartenait à un des naufragés, passager de troisième classe, qui avait alors réussi à se jeter à la mer en enfilant une brassière pour tenter de monter à bord d’un des canots de sauvetage. La montre, de la marque suédoise John Maurd (Vernamo), s’est arrêtée au moment où il a sauté dans l’Atlantique, avec sa montre dans sa poche. Il était 01 h 37 du matin, le 15 avril 1912. Malheureument, ce passager, victime d’une hypothermie, n’a pas survécu à son passage dans l’eau glacée : la montre a été retrouvée sur son cadavre, repêché trois jours plus tard et enregistré comme le « corps n° 37 »...
• LUXE D’OCCASION : crise oblige, le luxe de « seconde main » se porte presque mieux que le luxe neuf. Un nouveau site, Instantluxe, propose de nombreux articles de marques (Louis Vuitton, Chanel, Dior) d’occasion : les vendeurs sont d’autres internautes, qui règlent une commission à Instantluxe. Cet eBay « Montaigne » est le premier site de ce genre en France et les réductions peuvent aller, sur des articles très prochcccccees du neuf, jusqu’à 70 %. Ces produits ont (normalement) une garantie d’authenticité, puisque Instantluxe se charge de les réceptionner après la vente et de les certifier avant de les renvoyer...
• CARRIE BRADSHAW PRIVÉE DE SACS LOUIS VUITTON : l’héroïne de Sex and the City (Sarah Jessica Parker à la ville) doit montrer qu’elle souffre de la crise et, pour le second film (sortie en 2010), elle se contentera de stilletos d’occasion et de sacs achetés en solde. Il faut montrer que même les fashionistas de New York sont des victimes ! Des futures clients pour Instantluxe (ci-dessus) ?
••• ON N’IMAGINAIT PAS CARRIE IGNORER LA RÉCESSION MONDIALE : il était donc logique qu’elle verse son tribut personnel à la crise. Comment va-t-elle survivre sans Prada et sans Louis Vuitton ? Le suspense est atroce...
• HORLOGE PARLANTE : on la croyait inventée dans les années dix et popularisée dans les années trente. Pas du tout : la première horloge parlante aurait été conçue en 1878 par Frank Lambert, un Français établi aux Etats-Unis. A découvrir : les images de ce phonographe horloger et même la « bande-son » de cette horloge parlante expérimentale... |