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Deux hommes se profilent comme principaux candidats: Richard Lepeu et Bernard Fornas. Léger avantage théorique au premier
Pour succéder à Norbert Platt, CEO de Richemont sur le départ, une candidature interne semble privilégiée. A ce stade, deux personnes paraissent avoir les faveurs de la cote. D’abord, le français Richard Lepeu, né en 1952, directeur financier. Excellent gestionnaire, les chiffres n’ont aucun secret pour lui. Un avantage de taille dans une société, qui malgré les nombreuses dénégations de la direction, apparaît encore souvent davantage comme une banque du luxe (à noter qu’elle s’appelait auparavant Compagnie financière Richemont) qu’une entité existentiellement et philosophiquement dévouée et arrimée à ce secteur. Cet argument risque de peser lourd à l’heure du choix final. Richard Lepeu est également un fidèle parmi les fidèles de Johann Rupert, milliardaire, fondateur et principal actionnaire du groupe. En période de crise aiguë, il appert en outre que les grandes entreprises privilégient plus que d’habitude l’approche financière, méticuleuse, voire austère.
Les récents changements de CEO survenus ces derniers mois en Europe l’ont démontré: c’est souvent le CFO qui a repris les commandes. Et comme Richemont poursuit un programme de réduction drastique des coûts, son savoir-faire serait hautement utile. Le CFO n’est de plus pas un personnage flamboyant, dit-on. Il ne risquera pas de faire de l’ombre au plénipotentiaire président. Relatif mauvais point toutefois pour lui, sa partielle méconnaissance et son manque d’affectivité par rapport à l’univers du luxe à proprement parlé, murmurent des personnes au siège de Richemont. Reste aussi à savoir s’il accepterait le poste.
Ensuite, des sources internes évoquent le nom de Bernard Fornas, président et CEO de Cartier. Car, même en pleine récession pour l’industrie, Cartier reste Cartier, le roi des joailliers, le vaisseau amiral et véritable machine à cash du groupe. Son âge, il est né en 1947, pourrait toutefois jouer en sa défaveur, si d’aventure Johann Rupert souhaitait insuffler du sang neuf dans l’organigramme. L’homme fort de Cartier est considéré comme un fin stratège, de surcroît patient. Son heure a peut-être sonné. Son passage chez Baume & Mercier n’était perçu que comme un tremplin pour reprendre la direction de Cartier. Cette progression qualifée d’opportuniste pourrait se répéter jusqu’au sommet de la hiérarchie. Un peu plus à l’écart, Alain Dominique Perrin, valeur sûre du groupe, demeure néanmoins en embuscade. Ancien président de Cartier et fondateur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, il a déjà dirigé le groupe et reste administrateur et conseiller de poids. Là aussi, son âge (67 ans) pourrait toutefois être un argument rédhibitoire.
Un spécialiste horloger verrait plutôt comme successeur au CEO un directeur de marque de la constellation Richemont. Une hypothèse que nous ne partageons pas mais qui n’est pas à exclure étant donné le côté «brut de décoffrage» de Johann Rupert. L’expert évoque les noms de Georges Kern (IWC) et Jérôme Lambert (Jaeger-LeCoultre). Ces deux jeunes loups ont tout fait ces dernières années pour plaire aux actionnaires, notamment en poussant au maximum la production de leur marque. Des carnassiers prêts à tout, selon un témoignage interne. Mus par de fortes ambitions personnelles, «ils ne semblent toutefois pas avoir le profil de l’emploi », selon un ancien cadre de Richemont qui a côtoyé les deux hommes. Il existe en effet un gouffre entre une marque horlogère qui génère un chiffre d’affaires de quelque 250 millions de francs et un groupe polymorphe générant des bénéfices de 1620 millions. Norbert Platt avait toutefois su très bien s’adapter à son arrivée.
En d’autres termes, le profil recherché pour le successeur est connu: une personnalité forte, mais pas trop, dotée de solides compétences financières, avec un ancrage et une expertise industrielle et de bonnes connaissances du milieu du luxe. Un homme qui devra apprendre à vivre avec un président omniprésent et proactif. Un capitaine sachant naviguer entre les icebergs du marasme actuel tout en délestant le navire de ses poids morts. Un commandant qui remettra sous le vent et dans la bonne direction la flottille de bateaux du groupe, et également capable de désamorcer les bombes à retardement internes. Et si l’homme providentiel, sorte de deus ex machina, était finalement trouvé à l’extérieur du groupe? L’avenir le dira. Une réponse est attendue le plus rapidement possible, par les analystes, allergiques au vide et au flou.
Bilan nuancé
Comme il est d’usage lors de la plupart des démissions dans une entreprise, Richemont a dressé un bilan élogieux du travail de Norbert Platt à la tête du groupe. Si sa contribution a été indéniable et déterminante pour le succès de l’entreprise, il convient d’apporter quelques bémols.
Certes, le numéro deux mondial du luxe a battu ses propres records tant au niveau des ventes, de la marge opérationnelle et du bénéfice, mais ces performance se sont inscrites dans une période de haute conjoncture. Difficile d’établir dans ce contexte son apport réel. Norbert Platt a bien sûr été l’artisan de nombreux rachats stratégiques, comme Minerva ou d’autres fournisseurs horlogers et, l’an passé, de la marque Roger Dubuis, qui a apporté une touche d’extravagance que le groupe ne connaissait pas. Mais cette dernière transaction a été surpayée, selon les spécialistes. Par ailleurs, Dunhill et Chloé se trouvent toujours dans les chiffres rouges malgré de multiples tentatives de redressement.
Toujours au niveau horloger, la dépendance face au Swatch Group reste énorme et on est encore très loin d’une quelconque autonomie, même partielle.
Nick Hayek, CEO de Swatch Group, semble de plus avoir déterré la hache de guerre en critiquant vertement, dans ces colonnes d’ailleurs, certaines décisions de Richemont. Une pratique jamais observée, alors qu’une sorte de gentleman’s agreement semblait régner jusqu’ici. Par ailleurs, les marques de Richemont continuent de souffrir de surstockage, résultat de cinq années d’euphorie, mais, en corollaire, de perte de contrôle. Une réalité que Norbert Platt ne pouvait pas ignorer. Certains de ses horlogers, aveuglés par l’argent facile, ont en outre dilué l’ADN de leur marque et souffrent désormais d’un positionnement que le client ne comprend plus ou que trop peu.
Mieux que craint
Richemont a publié sur son exercice décalé 2008/2009 (clos fin mars) des chiffres légèrement supérieurs aux attentes. Son bénéfice net a baissé de 31% à 1,075 milliard d’euros.
Le résultat d’exploitation a reculé de 12% à 982 millions, pour un chiffre d’affaires en légère hausse de 2% à 5,418 milliards. Ce que veut dire que les ventes n’ont régressé que de 5% durant le deuxième semestre et qu’elles ont étonnamment bien résisté au quatrième trimestre.
En avril, les ventes ont par contre reculé de 19% sur un an. La société a mis le cap sur les réductions de coûts tous azimuts. Elle fermera pas moins de 62 enseignes, dont 34 boutiques Montblanc. Les salaires ne seront en outre pas augmentés.
En raison de la crise économique, qui secoue également le secteur du luxe, Richemont ne peut pas prévoir quand une amélioration généralisée de l’activité se produira. Le groupe a prolongé son programme de rachat d’actions de 10 millions de titres jusqu’en mai 2011.
L'Agefi |