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Diversification, piège à c...s ?
 
Le 05-06-2009
de Business Montres & Joaillerie

Tentation forte de plusieurs managers horlogers : face à la déprime des ventes dans le réseau traditionnel,s’assurer un relais de croissance en explorant d’autres terrains de manœuvre. Une stratégie à hauts risques, surtout quand elle est décrétée et appliquée dans l’urgence, sans autre impératif que la réaction à une chute dramatique des revenus...
Jusqu'où peut-on aller pour ne pas désespérer ses actionnaires ?

••• SOUVENIRS, SOUVENIRS...
Qui se souvient encore des bijoux Rolex, lancés au milieu des années soixante-dix pour accompagner les montres de la collection Cellini, éternel « boulet » de la gamme Rolex ? Qui se souvient des téléphones Swatch, lancés dans les années quatre-vingt, qui avaient sans doute trop d’avance sur le marché [qui ne rêverait, aujourd’hui, du mariage d’une Swatch et d’un iPhone ?] et pas de réseau de distribution ? Toujours du côté des intuitions hayékiennes, qui se souvient de la Swatchmobile, idée détournée sans le moindre talent par DaimlerBenz et naufragée par la bureaucratie automobile ? Qui se souvient – c’est pourtant tout frais – que la manufacture Audemars Piguet se flatte d’un département de haute joaillerie ?

On pourrait allonger la liste des « diversifications » hasardeuses, en l’équilibrant des diversifications plus heureuses, comme la haute joaillerie imaginée par Piaget au début des années soixante [le double ADN horloger-joaillier de la marque prouve que la mutation a réussi], la stratégie globale de Chopard [joaillerie, parfums, maroquinerie, écriture]

Inutile de rappeler les incursions horlogères – donc, des diversifications – de marques spécialisées dans d’autres segments du luxe : Montblanc passant du stylo noir à la haute horlogerie de complications (Villeret), Chanel lançant un des best-sellers horlogers les plus inattendus des année zéro-zéro, Louis Vuitton s’imposant de façon crédible en « manufacture » ou Guess basculant de la fripe branchée à l’horlogerie de mode low cost.

Ne pas confondre, pourtant, ces diversifications stratégiques et les interventions opportunistes qui ne sont que des « coups d’image », souvent profitables, mais sans autres visées que l’élargissement tactique et ponctuel d’un territoire : les skis avec Hublot 5récemment, l’écriture], l’hôtellerie avec Bulgari ou Versace, les équipements pour motard chic pour Chanel, les hélicoptères de luxe chez Hermès ou encore la bijouterie masculine pour BRM (bracelets). On demeure dans les limites d’une acceptable « stratégie attrape-tout »...

••• STRATÉGIE, STRATÉGIES...
La vraie tendance, c’est aujourd’hui la « diversification territoriale » : il s’agit de prendre une option sur un segment inexploré par la marque, pour en faire un de ses repères identitaires pour accompagner les montres. TAG Heuer avait amorcé le mouvement en débarquant sur le terrain de l’optique, à tel point que la marque est plus connue dans certains pays asiatiques pour ses... lunettes que pour ses montres [le marché local ayant été ouvert par les premières avant les secondes ! Le même phénomène est d’ailleurs repérable pour Montblanc, plus connu comme horloger dans certains pays émergents que comme spécialiste du Meisterstück...].

Estimation Business Montres pour ce qui concerne la lunetterie TAG Heuer : 15 % du chiffre d’affaires de la marque, une croissance continue depuis six ans, un réseau crédible pour absorber 250 000 paires de lunettes par an et une place sur le podium dans le haut de gamme, en plus d’une politique soutenue d’innovations dans le domaine de la vision sportive. Ce mix sport-optique est d’ailleurs très intéressant puisqu’il permet de démultiplier l’image de la marque sur des terrains convergents [optimisation croisée des ambassadeurs].

L’idée reste toujours d’exploiter des niches inexplorées, sans devoir immobiliser trop de ressources dans l’apprentissage d’un nouveau métier. L’optique constitue un excellent miroir parallèle à l’horlogerie : beaucoup d’autres marques de montres s’y risquent aujourd’hui (Cartier, Chopard, toutes les marques de couture), avec des résultats très contrastés.

Nouvel Edorado pour les horlogers : la téléphonie mobile. C’est la ruée vers l’or cellulaire, avec une multiplication des téléphones plus ou moins griffés par les marques de mode et par quelques horlogers (TAG Heuer, Ulysse Nardin, en attendant des propositions plus originales associant plus étroitement remontage automatique et fonctions numériques, comme le « téléphone à rotor » dessiné pour Goldvish par Emmanuel Gueit (révélation Business Montres du 25 mars).

Là, c’est plus compliqué. Autant la rétro-diversification opérée par Vertu en terrain horloger a été réussie [l’idée était de faire vendre des téléphones de luxe par des détaillants d’horlogerie de luxe], autant la conversion des manufactures de montres en fournisseur du marché téléphonique est plus aléatoire. Question de réseau, mais aussi de marketing et sans doute d’image : avec une respiration technologique naturelle qui démode tout produit high-tech dans les deux ans qui suivent son lancement, le téléphone mobile n’est sans doute pas le meilleur vecteur d’une identité horlogère bâtie depuis des décennies sur la pérennité du produit...

••• VISIONS, VISIONS...
La difficulté reste de maintenir une image en la diluant sur des territoires non légitimes. Ecriture et montres : c’est du complément et un souci d’accompagner le client au quotidien, en se risquant au besoin sur des concepts avancés [la plume high-tech de Cabestan, le roller escamotable de F.P. Journe, le stylo techno-industriel de BRM, etc.]. Optique et montres : on reste dans l’objet d’appoint personnel et dans la sphère d’intimité, donc de légitimité.

Changement de perspective avec ce qui touche à l’électronique, qui relève soit de la simple labellisation d’un gadget [amusant, mais pas dangereux si c’est bien compris], soit de la création d’une gamme et de la volonté d’investissement à plus long terme[plus risqué, surtout avec des plans à cinq ou dix ans]. C’est tout le danger de la téléphonie mobile, notamment pour TAG Heuer, dont on attendait un concept de rupture [quelque chose comme un téléphone sportif à énergie cinétique auto-générée – définition high-tech du bon vieux rotor horloger] et pas seulement un design cutting-edge.

Passons ici pour mémoire les autres diversifications évoquées par TAG Heuer, comme l’informatique nomade [le temps de finaliser un projet qui ne serait pas de la simple labellisation, le segment des notebooks aura éclaté ou muté] ou le textile sportif, voire la chaussure high-tech. On pourrait en dire autant des marques de luxe qui se soucient, en temps de crise, de redorer leur blason sur le terrain du cuir [tentation très forte chez Richemont], de l’habillement [dans son volonté de créer une « marque globale », Victorinox signe aujourd’hui des galoches plus ou moins éthiques et des chemises] ou

Se méfier ici des fausses transpositions analogiques, du type marque sportive = légitimité sur le terrain du sport. Ce qui ne fonctionne généralement pas, l’esprit des consommateurs n’étant pas formaté, ni cloisonné comme celui des marketeurs. De même, une « marque globale » n’est pas globalement légitime, et une « marque de mode » ne n’est pas dans tous les compartiments du jeu.

Attention également aux erreurs de vision et à la parallaxe marketing : le fait d’être leader sur un terrain de diversification dans un pays ne garantit qu’on le sera dans tous les domaines d’une diversification logique sur le papier. L’extrapolation rationnelle à partir d’une niche n’a pas toujours la cohérence commerciale attendue. Surtout en période de crise, avec des consommateurs plus mutants, versatiles et mieux informés que jamais : voir, sur Internet, la multiplication actuelle des occurrences optique et téléphoniques pour TAG Heuer, au détriment du core business horloger, oblige à se poser des questions sur le dépositionnement de fait, particulièrement périlleux en temps de crise et d’incertitudes économiques.

Tout se joue en effet sur le terrain de l’image et de la pertinence des initiatives de diversification. Experts en manipulations marketing, les conso-experts occidentaux – au moins, ceux des pays traditionnels du luxe – repèrent très vite les grosses ficelles d’une stratégie purement opportuniste qui se donnerait des allures de globalisation identitaire : s’il est facile d’abuser des néophytes dans les pays émergents, la méconnaissance des nouvelles valeurs qui structurent les pays matures est une pratique à risques.
Une marque – quelle qu’elle soit – ne peut pas faire n’importe quoi n’importe où et n’importe quand. En se diversifiant avec des propositions sans consistance, elle diversifie ses faiblesses et ses déficits immunitaires : les cimetières horlogers sont pavés de diversifications hasardeuses, dont certaines ont directement affecté la survie de l’entreprise. Puisqu’il a beaucoup été question de TAG Heuer ici, rappelons que Jack Heuer avait eu l’intuition, dans les années soixante-dix et avant tous les acteurs de l’horlogerie, du rôle stratégique qu’allait jouer le quartz dans l’industrie des montres : sa diversification dans les puces et les composants électroniques lui a coûté sa maison familiale et emporté une marque qui était leader suisse sur le marché de la chronographie !

••• POUR SORTIR DE LA CRISE, ON PEUT TOUT ESSAYER : par le haut, par le bas ou par les côtés ! Diversifier, c’est changer d’échiquier pour trouver de nouvelles sources de revenus, stimuler la croissance de son chiffre d’affaires et améliorer sa visibilité sur les marchés [les médias n’aiment rien tant que ce qui est « nouveau et intéressant »]. C’est aussi prendre des risques dans une situation brouillée dont personne ne maîtrise les échéances de retour à bonne fortune : dans ce domaine comme pour tous ceux qui touchent à l’horlogerie, les effets d’annonces sont encore loin d’être des annonces d’effets positifs...

• A SUIVRE : « Diversification, pièces à c...s ? Séquence 2 : Les cinq règles pour réussir sa diversification.

 



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