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La gaffe de MONTBLANC : La marque rend officiellement hommage à un haut-dignitaire pangermaniste de l’Allemagne hitlérienne
Qui était Max von Oppenheim, archéologue amateur allemand auquel Montblanc rend hommage dans sa série de stylos dédiés aux « mécènes d’art » ?
Le baron von Oppenheim est-il vraiment digne de figurer aux côtés de Louis XIV, Alexandre le Grand, Charlemagne, Copernic ou le pape Jules II ?
On peut en douter : la carrière d’archéologue du « baron maudit » n’a souvent été que la couverture des opérations pangermanistes, puis nazies dans les pays arabes.
D’origine juive, le « baron maudit » était « Aryen d’honneur » !
Gaffe historique de Montblanc ou erreur d’appréciation choquante ?
••• LE CROISSANT ET LA CROIX GAMMÉE
Signé par Roger Faligot et Rémi Kauffer, c’est une des ouvrages historiques de référence sur la politique arabe de l’Allemagne dans la première partie du XXe siècle : il révèle les secrets de l’« alliance entre extrémistes islamiques, militants nationalistes arabes, diplomates et agents secrets nazis ».
On rangera plutôt le baron Max von Oppenheim, archéologue découvreur de Tell Alaf et redécouvreur de la civilisation hittite, dans la catégorie des « agents secrets nazis ». Dans Le Croissant et la croix gammée (Albin Michel, 1990), qui raconte « l'incroyable obstination des hommes qui ont mené la politique arabe d'Hitler puis celle de l'après guerre dans les deux Allemagnes », on parle de Max von Oppenheim aux pages 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28. 29, 30, 31, 32, 33, 40, 41, 43, 47, 125, 172, 178, 179.
A peine moins de citations que Hitler, mais beaucoup plus que Franz von Papen, le ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich, que l’amiral Canaris, qui dirigeait l’Abwehr, ou même que le célèbre Lawrence d’Arabie. Ce que confirme un ouvrage quasi officiel comme Faszination Orient. Max Freiherr von Oppenheim. Forscherm Sammler, Diplomat, de G. Teichman et G. Völger (Cologne, 2003).
••• « MÉCÈNE D’ART »
D’où l’étonnement de certains en découvrant que Montblanc vient de rendre un hommage appuyé à Max von Oppenheim, en le classant parmi les « mécènes d’art » [« Patron of Art » en... allemand et en anglais] auquel la marque de Hambourg a dédié un stylo en édition limitée. Les Patrons of Art ainsi commémorés sont Laurent de Médicis, Pierre le Grand, François Ier, Frédéric II ou Alexandre le Grand aussi bien la marquise de Pompadour, Nicolas Copernic ou J.P. Morgan.
Si certains de ces Patrons of Art n’étaient certainement pas des saints, qu’on pense ici à Louis XIV, à Charlemagne ou à Catherine II, il est pour le moins inquiétant de voir que le premier Allemand contemporain auquel Montblanc rend hommage est un archéologue distingué, certes, mais aussi un diplomate parallèle qui rêvait de soulever le Proche-Orient contre les puissances européennes
Entre le Tigre et l’Euphrate, les Bédouins l’appelaient Abu Jihad, le « père de la guerre sainte » – et il se servait de ses missions archéologiques pour affermir les menées souterraines du camp arabe de la Wilhelmstrasse impériale, puis nazie. On trouvera quelques explications nuancées sur la politique arabe de l’Allemagne et le rôle trouble de Max von Oppenheim dans la Middle East Review of International Affairs.
Le stylo du « patron » Max von Oppenheim (1860-1946) édité par Montblanc est superbe avec son décor argenté de motifs stylisés, bédouins et hittites, inspirés par les fouilles de Tell Halaf. C’est le choix de ce « patron » qui pose problème, surtout avec la désinformation introduite par la marque dans la présentation de Max von Oppenheim, sous son seul prisme d’amateur passionné d’archéologie et de « ressusciteur » des Hittites. Alors qu’il était bien autre chose...
••• « ARYEN D’HONNEUR »
Dans les bureaux de la Wilhelmstrasse [le Quai d’Orsay allemand] et à la Chancellerie du Reich, on n’avait rien à refuser au baron von Oppenheim, qui avait dirigé le service d’espionnage du Kaiser au Proche-Orient pendant la Première Guerre mondiale. Les services archéologiques de la SS vénéraient les Hittites comme des « Indo-Européens » du bassin mésopotamien et encourageaient donc la mise en valeur par Max von Oppenheim de cette civilisation pré-assyrienne.
On trouvera d’autres détails à propos de notre archéologue amateur et de son Djihad Made in Germany sur le site de l’université allemande de Cassel (texte en allemand, malheureusement)...
Sans entrer dans trop de détails historiques, contentons-nous de savoir que l’origine juive du baron von Oppenheim ne gênait en rien les dignitaires nazis, qui avaient tenu à lui rendre hommage en faisant de lui un « Aryen d’honneur » – ce qui n’était pas rien et pas vraiment courant à l’époque, surtout pour un banquier juif...
Alors même que l’actualité remet sous le projecteur les rêves de djihad d’une communauté islamique affrontée aux mêmes Occidentaux que dans les premières années du XXe siècle, le choix de Montblanc est douteux, sinon franchement odieux. C’est tout de même avec des gens comme le baron von Oppenheim que le IIIe Reich avait pu lever une brigade de Waffen-SS musulmans, la fameuse 13e division SS de montagne de volontaires Handschar, créée en février 1943 sous l’influence des « orientalistes pangermanistes » de l’école von Oppenheim...
••• CHEZ MONTBLANC, À HAMBOURG, ON PLAIDE NON-COUPABLE : sans doute un effet classique de l’amnésie allemande pour tout ce qui concerne les quarante-cinq premières années du XXe siècle... Il est pour le moins étrange que, concernant le premier hommage d’une marque allemande à un quasi-contemporain allemand, on n’ait pas mieux exploré la biographie du « baron maudit » : apparemment, le choix de Max von Oppenheim a été validé au plus niveau à Hambourg comme à Bellevue (Suisse), par un état-major Richemont qui était alors présidé par Norbert Platt, allemand lui aussi et aussi amnésique que ses anciens employés de Hambourg...
• Le IIIe Reich et le djihad islamique sous un même capuchon de stylo : Montblanc a fait très fort !
• Les premières commandes de cette série limitée ayant été excellentes depuis quelques semaines [dans les pays arabes ?], personne n’a vraiment cherché à approfondir la personnalité complexe du baron von Oppenheim ? C’était tout de même un risque considérable pour l’image de la marque, et en particulier pour l’image d’une marque allemande...
• Quelque chose me trouble également : cet hommage pour le moins intempestif à Max von Oppenheim n’est avoué par Montblanc que sur le site anglophone de la marque : le « baron maudit » y apparaît comme un gentil archéologue passionné d’antiquailles proche-orientales. Pourquoi cette absence sur les versions françaises ou allemandes du site ? C’est le seul cas d’un Patron d’art « censuré » sur les versions multilingues du site Montblanc : s’agissait-il d’occulter une référence gênante, qui aurait pu se révéler choquante aux yeux d’un public plus averti ? Là encore, on plaide non coupable chez Montblanc : à force de ne jamais être coupable, on finit par devenir suspect... |