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Votre Quotidien des Montres vous raconte comment une initiative intelligente, mais mal expliquée, a failli mettre le feu chez les détaillantsde nombreuses marques.
C’est toujours dangereux de craquer une allumette au-dessus d’un baril de poudre !
Il n'en faut pas beaucouppour réveiller la colère des détaillants.
A la veille du classementde La Chaux-de-Fondsau Patrimoine mondialde l'humanité,ça fait encore plus désordre...
••• JOURNÉES DE LA MÉTROPOLE HORLOGÈRE
Le concept est original : créer à La Chaux-de-Fonds – c’est la « métropole horlogère » en question (ci-contre : le Musée international d'horlogerie) – une semaine d’animations culturelles, professionnelles et commerciales. Jusque-là, zéro faute. Lancée dans la foulée des Journées internationales du marketing horloger (JIHM), cette nouvelle identité bénéficie du soutien d’à peu près toutes les autorités locales et cantonales, des décideurs économiques et des institutions culturelles. Un dossier rondement mené et bien emballé politiquement – alors que c’est souvent le point délicat dans des régions traversées de querelles absurdes et de rivalités clochemerlesques. Toujours zéro faute...
Ces Journées de la métropole horlogère sont animées par Marcel Schiess, Kalust Zorik (le créateur des JIMH) et Jean-Claude Cattin, qui ont défini pour le grand public un triple axe de travail :
• La programmation culturelle (films, musées, expositions, découvertes architecturales et conférences au programme).
• L’angle professionnel (ce sont les JIMH et la Journée de recherche en marketing horloger).
• Le relais commercial (permettre au grand public d’acquérir des montres, soit neuves, soit de collection, soit même déstockées, ou encore aux enchères). Cette partie commerciale doit être prise en charge, pour le neuf, par des détaillants locaux et, pour la collection et les pièces d’occasion, par des marchands spécialisés.
L’intérêt touristique de ce réenracinement culturel d’une région dans sa tradition horlogère n’a échappé à personne. Surtout dans un canton qui compte à peu près 70 marques en activité et où la montre fait vivre près de 20 000 personnes.
La première manifestation des Marketing Metropolis Days est prévue la semaine du 20 au 28 novembre 2009 : cette dénomination anglaise est là pour souligner la vocation internationale de ces Journées.
••• FACTORY OUTLETS ?
C’est justement par cette promotion internationale que le scandale est arrivé... Associer le nom de ces 70 marques à l’annonce de « marchandises en vente » dans des factory outlets, second-hand market et watchmaking market a fait bondir bon nombre de détaillants ouest-européens, est-européens, asiatiques et proche-orientaux ! Ils ont immédiatement soupçonné les marques concernées de vouloir déstocker dans leur dos et d’alimenter ainsi un marché parallèle qui pourrit les marchés officiels de toute la planète.
Comme les documents promotionnels de ces Metropolis Days étaient distribués, de façon officielle et tout-à-fait logique, par les ambassades suisses locales, le tout a pris une réputation de garage sales officieuses et plus ou moins avouables. Un flyer on ne peut mieux documenté et on ne peut plus authentique a circulé en boucle sur Internet, échauffant peu à peu les esprits : il n'en fallait pas plus pour provoquer des réactions hystériques...
Les doléances sont remontées jusqu’aux manufactures, qui n’étaient guère au courant ou qui avaient oublié qu’elles avaient donné un accord de principe pour s’associer à ces Journées. La rumeur aidant, de Dubaï à Singapour, on en était presque à imaginer les manufactures de La Chaux-de-Fonds organisant un déstockage « sauvage » et massif de leurs collections invendues. Ces Journées seraient – considèrent les détaillants, devenus très méfiants – une excellente occasion de rassembler à La Chaux-de-Fonds assez d’amateurs pour conduire, de main de maître, une fantastique dispersion de pièces invendus pour cause de crise...
••• PSYCHODRAME
Il suffisait pourtant de lire attentivement le document en question pour comprendre que l’allusion aux « branded watches : ends of series or older models at attractive prices » n’était pas explicitement corrélée aux marques en question. Implicitement ? C’est une autre paire de manches...
La crise a fait entrer l’horlogerie dans l’« ère du soupçon » : les détaillants suspectent les marques de noirs desseins. Le malentendu est flagrant : en communication, ce n’est pas ce qui est dit qui importe, mais ce qui est compris. Juxtaposer le nom de certaines marques avec le mot factory outlets était une gaffe de première ! On ne parle pas de corde dans la maison du pendu...
La structure Metropolis Days doit donc revoir sa copie, passer à la trappe cette stupide affaire de factory outlets – très naïvement mise en avant, alors que c’était un chiffon rouge sous les cornes du taureau – pour repenser le volet commercial de sa proposition. On a frôlé le scandale public et on va tout étouffer selon les bons usages suisses.
Reste, néanmoins, une certaine amertume de voir à quel point le rapports de confiance sont dégradés entre les marques et le réseau. Avec une question lancinante : quel sera le prochain prétexte pour laisser éclater la mauvaise humeur des détaillants ?
••• IL EST ÉVIDENT QUE SI LES MARQUES ÉTAIENT PLUS CLAIRES SUR CES « VENTES D’USINE », qui sont une vieille tradition de l’industrie horlogère, les détaillants extra-helvétiques ne seraient pas ainsi montés en pression. Dans les pays anglo-saxons, les garage sales et les factory outlets sont d’une grande banalité : aux Etats-Unis, il n’est pas rare de trouver des Patek Philippe soldées dans ces outlets et, près de Londres, TAG Heuer possède une boutique très fréquentée dans un « village » de ces « boutiques d’usine ». Sans que personne n’y trouve à redire...
• Le problème est celui d’une certaine fourberie des manufactures. Qui ne s’est étonné de trouver si peu de boutiques horlogères dans les watch valleys ? C’est tout simplement que la notion de vente « au personnel et aux amis » est une institution – discrètement et hypocritement assumée, sinon encouragée – qui irrigue en montres neuves (et pas forcément hors collection) l’ensemble des amateurs locaux. Ce qui assèche la demande et désespère les détaillants locaux, réduits à changer les bracelets et les piles de montres achetées en direct...
• Plus une marque va mal, et plus ses ventes privées sont intéressantes, parce que riches en bonnes affaires par rapport au prix boutique. Toutes les marques allant plutôt mal actuellement, la perspective d’un déstockage associée à la liste des marques concernées – dont chacun sait très bien qu’elles pratiquent déjà allègrement ce type de ventes – a mis le feu aux poudres...
• En effet, il est difficile de contrecarrer la tendance naturelle des détaillants – surtout proche-orientaux et asiatiques – au discompte, au déstockage et au parallèle quand on pratique soi-même, sur son territoire, la même évasion de produits. Difficile de prêcher une morale dont on se dispense. On ne peut mettre en avant la nécessité pour une marque de luxe de « tenir ses prix » et de « tenir son réseau » quand on ouvre sauvagement et sans vergogne un marché parallèle à prix sacrifiés dans l’arrière-boutique. Le fait que le ton soit monté aussi vite entre détaillants et marques prouve à quel point la crise a mis à vif les nerfs des uns et les faiblesses des autres...
• La bonne solution serait de réglementer, entre professionnels, ces « ventes d’usine », non seulement pour les banaliser [elles constituent un canal commercial « ordinaire »], mais aussi pour les encadrer en évitant les dérives. Un chantier de plus pour la Fédération horlogère !
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