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Nicolas G. Hayek salue l’excellente attitude de la BNS face à la récession.
Les exportations horlogères continuent de s’effondrer mois après mois. Pas de quoi affoler Nicolas Hayek, président du Swatch Group, numéro un mondial du secteur. Car sa société, fait preuve d’une bien meilleure résilience que d’autres acteurs. Selon lui, la sortie de crise pourrait intervenir à mi-2010. Mais, prévient-il, il y aura encore de nombreux dégâts dans la branche.
Le premier semestre s’achève dans un contexte très morose.Qu’en estil chez vous?
Soumis à la régulation boursière, je ne suis pas en mesure de vous livrer en détail ces informations. Je peux néanmoins dire que Swatch Group s’en sort nettement mieux que le secteur, qui a essuyé encore en mai une contraction de 27,7%. Nous allons nettement moins mal, avec un recul beaucoup plus limité. Le groupe n’est absolument pas sur la brèche malgré ce qu’une certaine presse en Suisse a écrit suite à la réduction de l’horaire de travail que nous avons été contraints d’introduire chez Universo, soit pour 0,5% de notre personnel.
Cela reste-il un cas à part?
Oui. Je tiens juste à préciser, que contrairement à la majorité des horlogers, nous n’avons encore procédé à aucun licenciement. Ce qui prouve que nous résistons très bien. Rappelez-moi combien il y en a eu chez diverses marques n’appartenant pas au Swatch Group? Il faut parfois remettre l’église au milieu du village.
Quel est le tableau par secteur?
Quelques unes de nos marques travaillent encore davantage que l’an passé. Notamment dans le moyen de gamme. Dans le segment supérieur, la contraction dépasse à peine les 10%. Par rapport à l’effondrement de 41% chez d’autres, on peut s’estimer satisfait. Nous pouvons très bien vivre avec un bénéfice mensuel très substantiel, même si inférieur à celui de la même période de 2008.
Et par pays?
Il existe des différences considérables entre les marchés. Prenons les Etats-Unis: la situation y semble dramatique, avec une consommation au point mort, des clients qui exigent des rabais et un réseau de distribution souffrant encore de surstockage. Au final, la baisse des ventes s’affiche à près de 50% pour l’ensemble de l’industrie. Pour le Swatch Group, les Etats- Unis pèsent à peine plus de 10% du chiffre d’affaire global. Ce qui tout à fait gérable par rapport au 40 ou même 50% de certains de nos concurrents. A l’opposé, prenons l’Asie, qui n’est presque pas impactée par la récession. La Chine, par exemple, continue de croître de manière très intéressante..
Et en Europe?
L’Espagne reste sclérosée mais nous observons des signes d’amélioration en Grande-Bretagne, grâce à la faiblesse de la livre. La France, l’Allemagne et l’Italie affichent une certaine stabilité, même si ces marchés reculent en chiffres absolus. De manière générale, nous constatons des signes de reprise dans plusieurs pays. Même au Japon, pourtant atone depuis trois ans.
Comment se présente la situation pour l’ensemble de l’année?
J’ai bon espoir que nous parviendrons presque aux mêmes chiffres en 2009 que ceux réalisés sur la totalité de 2008.Une année qui était, malgré la faiblesse des deux derniers mois et l’impact des taux de changes, un exercice record. Tout dépendra toutefois de l’évolution des devises. A priori, les fluctuations de l’euro ne constituent plus un facteur d’inquiétude. L’excellente attitude et réactivité de la Banque nationale suisse (BNS) est à ce titre à saluer. J’ai encore rencontré récemment le futur président du directoire Philipp Hildebrand. Il m’a donné toutes les garanties que la banque centrale allait continuer dans sa voie intelligente, proactive.
Que pensez-vous de la proposition de Swissmem d’accorder un crédit relais pour l’industrie en raison du resserrement de l’accès au crédit?
Il est vrai que l’industrie des machines paie un lourd tribut à la crise. Cela dit, ce modèle n’a pas besoin d’être dupliqué à l’horlogerie. Je ne connais aucun horloger qui souffre d’un accès limité au crédit. En tout cas, personne ne m’a appelé pour évoquer une situation de ce type.
N’y a-t-il vraiment pas de soucis de liquidités dans l’horlogerie?
Dans notre secteur, le problème ne se situe pas au niveau du crédit mais au niveau du client, qui n’achète plus, tétanisé par la conjoncture. De manière générale, j’ai toujours été un farouche ennemi du crédit. Vous perdez toute votre liberté d’action et devenez l’esclave de personnes qui ne comprennent rien à vos affaires.
Quand l’horlogerie va-t-elle à nouveau briller?
Selon moi, la sortie de crise pourrait intervenir à mi-2010. Il y aura encore de nombreux dégâts d’ici là. D’aucunes sociétés, qui ont engrangé de substantiels bénéfices ces dernières années, peuvent encore très bien survivre sans problème majeur quelques mois à une situation de forte récession, voire même à plusieurs années de crise. Certaines d’ailleurs rachètent leurs propres stocks auprès des détaillants. C’est de notoriété publique. D’autres marques vont par contre disparaître. Ce sera un nettoyage attendu et probablement salutaire pour l’industrie.
Les stocks, toujours un problème?
Bien sûr. Il suffit d’observer ce qui s’est passé auprès de notre filiale Universo. Des clients ont non seulement coupé toutes leurs commandes pour 2009 mais également pour 2010, alors que l’an passé, elles avaient encore doublé leurs achats. Ce qui veut dire qu’elles ont encore des pièces en surabondance. Un horloger, et pas des moindres, qui s’approvisionne chez nous pour certains composants, a encore des coeurs de mouvements de montres dans ses dépôts pour au moins dix-huit mois. Au niveau des pièces terminées, la situation commence gentiment à se normaliser.
Quelles leçons faudra-t-il tirer de la crise?
L’homme est ainsi fait qu’il n’en tirera aucune. Nous n’y parvenons tout simplement pas. Nous n’allons rien en apprendre, la cupidité dans la finance restera. Un professeur d’une université américaine a analysé les éléments déclencheurs des crises économiques de ces 700 dernières années. Le constat est stupéfiant: les mêmes erreurs sont à chaque fois inexorablement reproduites. Pourtant, ce ne sont pas les éléments à changer, rectifier, améliorer qui manquent, comme les excès du système financier et sa mainmise sur l’industrie, pour ne citer que ce seul exemple.
L’action Swatch Group se reprend. Quelle valorisation donnez-vous au groupe?
Aujourd’hui, la bourse donne une valorisation boursière de quelque dix milliards de francs. Il y a un an, c’était le double. Je peux pourtant vous promettre que nous n’avons rien divisé par deux. Le groupe n’a pas vendu la moitié de ses machines, de ses immeubles, de ses stocks, etc. Et, nous avons toujours le même nombre d’employés. Selon moi, et d’après des calculs fiables, Swatch Group vaut 32 milliards de francs. Soit une différence de 27 milliards par rapport à sa valorisation actuelle. C’est dire si la bourse est perspicace.
Interview Bastien Buss
AGEFI |