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Technique - Siliciumement vôtre
 
Le 17-08-2009

C’est le nouveau Graal des horlogers et tous en revendiquent l’usage : le silicium.

Ulysse Nardin, précurseur de la technologie, et Jaeger-LeCoultre, dernière marque en date à employer ce matériau new-age, sont animés par la même volonté de perfectionner l’art de l’horlogerie mécanique. Quels sont les points communs et les divergences entre leurs deux approches ?


A chaque fois qu’un nouveau matériau fait son apparition en horlogerie, il reçoit un accueil si enthousiaste que les observateurs en viennent à se demander s’il ne s’agit pas d’un remède miracle contre le cancer ou de la formule tant attendue pour transformer en substantiels bénéfices des débâcles financières de plusieurs milliards de dollars.

Le silicium n’échappe pas à la règle et s’il est devenu un terme courant du lexique horloger, il le doit à Ulysse Nardin. Depuis le début du nouveau millénaire, ce nouveau matériau a abondamment fait parler de lui dans les revues spécialisées ou les communications des marques. A l’instar des rubis au moment de leur irruption à l’intérieur du mouvement, le silicium peut indéniablement jouer une partition importante en horlogerie.

La forte présence d’Ulysse Nardin dans les récentes annales du silicium ne représente pas une surprise. La marque du Locle peut en effet revendiquer son rôle d’avant-garde dans la réalisation de divers composants en silicium, même si Patek Philippe et Breguet pourraient contester tout ou partie de cette affirmation. En 2009, Jaeger-Lecoultre fait son entrée au tableau d’honneur de cette matière high-tech en présentant deux nouveaux modèles Master Grande Tradition dotés d’un échappement au silicium.

L’étude comparative des créations d’Ulysse Nardin et de Jaeger-Lecoultre nous permettra de nous interroger sur les ambitions de deux marques très différentes, qui occupent une position d’avant-garde en matière de légèreté, de minimisation de la friction et de fabrication de composants qui ne requièrent plus la moindre lubrification.

Le grand bond en avant

Véritable pionnier du silicium, Ulysse Nardin a présenté en 2001 son modèle Freak, une réalisation horlogère majeure car il s’agissait du premier garde-temps à intégrer des pièces en silicium. Rétrospectivement, cette montre a démontré la fonctionnalité et, de ce fait, la légitimité de ce matériau en horlogerie tandis que la marque poursuivait avec constance ses recherches relatives à l’utilisation du silicium.

“ Dès 2001, Ulysse Nardin a vendu un grand nombre de Freak dotées d’un échappement dual direct ”, relève Pierre Gygax, vice-président d’Ulysse Nardin. Quelques étapes essentielles de ce développement témoignent d’une remarquable persévérance dans ce domaine. En 2005, la marque a lancé la Freak 28’800 a/h munie d’un échappement Dual Ulysse en silicium avant de présenter en 2006 une édition limitée, destinée à commémorer le 160e anniversaire d’Ulysse Nardin, dotée du mouvement de manufacture un-160 avec un échappement Dual ulysse.

Pour Jaeger-Lecoultre, la question semble plus complexe à trancher. Si la manufacture est largement et à juste titre renommée pour ses prouesses techniques, sa première incursion dans l’univers du silicium date de 2007, avec la présentation de la montre Master Compressor Extreme LAB, équipée d’une roue d’échappement en silicium. Cette année cependant, Jaeger-Lecoultre franchit une étape supplémentaire en équipant ses deux nouveaux modèles Master Grande Tradition – la Master Grande Tradition Tourbillon à Quantième Perpétuel et la Master Grande Tradition à Répétition Minutes – à la fois d’une ancre et d’une roue d’échappement en silicium. Ce pas projette d’emblée la marque à l’avant-garde de l’horlogerie du XXe siècle. Et il n’est certainement pas anodin de relever que Jaeger-Lecoultre a choisi de conférer une apparence classique à cet exploit technologique.

“ Une scission aura lieu en horlogerie, entre les marques qui réaliseront des pièces très contemporaines et celles qui se spécialiseront toujours davantage dans les montres traditionnelles. Jaeger-Lecoultre a apporté la preuve de son savoir-faire dans les deux domaines et nous poursuivrons dans cette direction ”, déclare Jérôme Lambert, président-directeur général de Jaeger-Lecoultre. S’il évoque cette division qui apparaît avec une évidence croissante dans la haute horlogerie, les deux modèles Master Grande Tradition apportent une remarquable illustration de la vision globale de la manufacture. En effet, ces garde-temps répondent sans conteste à la volonté de jeter un pont sur le fossé qui sépare les traditions artisanales les plus élevées et la recherche de solutions innovantes afin de parvenir à l’excellence dans la mesure mécanique du temps. Le fait que les deux modèles comportent de nombreuses complications en dit également long sur la stratégie poursuivie par les marques de luxe quant à la valeur ajoutée apportée par tout nouveau développement.

Au-delà de la solution sur la Freak

Dès les prémices de l’échappement Dual Direct en 2001, il apparaissait clairement qu’Ulysse Nardin avait l’intention de concevoir entièrement un garde-temps unique et spécifique à la marque. La Sonata Silicium atteste d’une nouvelle étape de l’incorporation du silicium dans les montres haut de gamme, tant par l’entremise d’un échappement à ancre suisse que de l’échappement Dual Ulysse.

Avec la création de Sigatec – une société spécialisée dans la production de composants en silicium – en partenariat avec Mimotec, Ulysse Nardin a accompli un pas essentiel pour ouvrir les portes de la manufacture à la technologie du silicium. Rolf Schnyder, président d’Ulysse Nardin, déclare que Sigatec sera disposé à collaborer sans restriction avec toute marque horlogère qui le souhaite mais le principal bénéfice attendu de cette joint-venture sera en réalité d’obtenir un contrôle absolu des innovations d’Ulysse Nardin relatives au silicium.

Pour Jaeger-Lecoultre, ce sont peut-être les consommateurs qui ont transmis le signal de départ. “ Nous avons perçu le vif intérêt de nos clients pour de nouveaux matériaux, des technologies inédites et des réalisations novatrices ”, relève Jérôme Lambert. Alors que Jaeger-Lecoultre ne faisait pas partie de l’avant-garde qui étudiait l’utilisation du silicium, le nom de la marque apparaît sur la liste des clients de Mimotec en 2002 déjà. Cet indice nous révèle que l’intérêt de Jaeger-Lecoultre pour ce matériau ne date pas d’aujourd’hui, même si Stéphane Belmont, directeur du marketing de Jaeger-Lecoultre, nous déclare que c’est un autre fournisseur suisse qui a construit les composants en silicium de la marque. Un important travail doit donc être mené à bien pour permettre l’industrialisation des composants en silicium en horlogerie. “ Il convient d’apporter encore des améliorations aux processus de production. En outre, nous sommes convaincus que le silicium n’est pas la seule solution et que les recherches doivent se poursuivre ”, rappelle Jérôme Lambert. Dans l’intervalle, Jaeger-Lecoultre continue de se pencher sur les moyens qui permettraient d’intégrer harmonieusement le silicium à l’horlogerie.

Innovation et élégance, la maîtrise de la tradition

Le silicium, à l’évidence, est l’un de ces développements révolutionnaires que Jaeger-Lecoultre comme Ulysse Nardin ont utilisés pour éliminer la lubrification “ humide ” de leurs montres conceptuelles. Hormis cet important avantage, Jaeger-Lecoultre a déjà atteint une amélioration de 15% dans son échappement ultraléger par rapport à l’échappement traditionnel. Cependant, Stéphane Belmont lance un pavé dans la mare : “ il est impossible de doubler le prix d’une Reverso en acier parce que vous avez supprimé l’huile ”. C’est pourquoi la Master Grande Tradition Tourbillon à Quantième Perpétuel et la Master Grande tradition à Répétition Minutes ne sont pas des Reverso en acier et qu’elles sont uniquement proposées avec des boîtiers en métaux précieux. La Répétition Minutes est même seulement disponible en or jaune 18 carats – et il n’y a rien de plus traditionnel que l’or jaune 18 carats. Jaeger-Lecoultre présente les deux garde-temps comme des exemples de raffinement, en faisant porter l’accent sur les gravures et la décoration des ponts réalisées à la main ainsi que sur la supériorité technique garantie par le test de contrôle des 1000 heures. La marque soumet en outre ces montres à un test supplémentaire – le test chrono 1000 heures, une garantie additionnelle de fiabilité.

Aussi est-il presque inutile de préciser que les touches artistiques abondent sur les deux nouvelles Master Grande Tradition : dans le calibre 987 (tourbillon) et le calibre 947R (répétition) comme sur leurs cadrans et leurs boîtiers respectifs. “ L’ornementation des cadrans et les finitions parviennent à la limite absolue du réalisable ”, se plaît à souligner Jérôme Lambert. Avec une telle attention accordée au plus infime détail et l’ambition d’associer l’innovation à l’art traditionnel de l’horlogerie, les modèles Master Grande Tradition représentent à eux seuls une catégorie à part entière.

Néanmoins, il manque à Jaeger-Lecoultre un élément clé pour parachever cette expérience technique radicale et distancer ses concurrents : le spiral en silicium. “ Nous disposons bien d’un spiral en silicium, mais nous devons être en mesure de maintenir le niveau de nos performances. Et sa mise au point définitive requiert encore un peu de temps ”, conclut Jérôme Lambert.

Une toute autre mélodie

La Sonata Silicium d’Ulysse Nardin évolue dans un contexte très différent. En premier lieu, ce n’est pas une montre traditionnelle, sous aucun de ses aspects. De la position des compteurs à la forme et à la structure des aiguilles, ce garde-temps affiche un caractère intensément non conventionnel.

Par son apparence, elle ressemble à la Sonata Cathedral Dual Time, dont elle reprend toutes les caractéristiques de design. Une fois encore, la forme s’adapte à la fonction chez Ulysse Nardin car la marque tient à mettre en évidence les avantages techniques et l’amélioration des performances offerte par le silicium.

“ L’objectif essentiel d’Ulysse Nardin s’énonce très simplement : une remarquable fiabilité et des produits peu gourmands en énergie qui arborent des caractéristiques dont les consommateurs peuvent tirer avantage ”, souligne Pierre Gygax. Pour lui, la constatation de Jean-pierre Musy est plus vraie que jamais et c’est probablement cette conviction qui explique la direction prise par la recherche horlogère de nos jours.

Pierre Gygax poursuit en relevant qu’Ulysse Nardin a réduit la résistance de l’échappement sur le barillet de 15 %, faisant ainsi écho aux résultats obtenus par Jaeger-Lecoultre. Ces conditions permettent aux garde-temps de satisfaire plus aisément aux normes de qualités spécifiques à Ulysse Nardin.

Décrivant 28’800 alternances par heure, l’échappement est le fruit d’un programme de recherches conduit par l’ASRH (Association Suisse de Recherche Horlogère), dont Ulysse Nardin fait partie. L’ancre et le dard d’une seule pièce ainsi que le plateau avec un doigt d’impulsion intégré s’associent au cadran en silicium et aux innovations mises au point par l’ASRH pour donner naissance à la montre produite en série qui recèle le plus grand nombre de composants en silicium. Outre la simple constatation qu’un nombre plus faible de pièces mobiles sera source de difficultés moindres, ce mode de fabrication apporte un avantage évident dans le domaine des tolérances car les pièces monobloc suppriment la lancinante question de la précision d’ajustage.

Cependant, Ulysse Nardin fait face au même défi que Jaeger-Lecoultre en alliant les performances extrêmes du silicium à l’horlogerie traditionnelle. C’est à ce point que l’esthétique de la montre entre en jeu. “ La Sonata Silicium démontre que le silicium n’est pas uniquement une solution pour construire un échappement fiable, mais qu’il peut également représenter un atout de design ”, déclare Pierre Gygax. Dans ce domaine, Ulysse Nardin suit une direction différente de celle de Jaeger-Lecoultre en prenant le risque de lancer sur le marché un design très novateur. En outre, par son architecture, le mouvement dissimule au regard de ses admirateurs potentiels les éléments en silicium de l’échappement. Dommage pour ce rendez-vous manqué, en particulier depuis que la référence 5450 de Patek Philippe dispose l’échappement dans une position clairement visible. Néanmoins, la montre possède un grand nombre de caractéristiques traditionnelles, à l’instar des ponts dotés d’une finition en ruthénium ou du guillochage irrégulier sur le rotor qui lui confèrent une touche très personnelle.

Le meilleur des mondes

Ni la Sonata Silicium d’Ulysse Nardin, ni les modèles Master Grande Tradition de Jaeger-Lecoultre ne mettent un point final à la révolution du silicium en cours. Il est intéressant de constater que chaque marque a suivi une stratégie différente dans ce domaine et laisse ainsi ouverte la possibilité que l’avenir ne se contente pas d’une solution uniforme.

Les communications des deux marques illustrent les divergences de leurs positions. Alors que Jaeger-Lecoultre crée une perspective où le respect de la tradition et des finitions classiques occupe le devant de la scène et réserve la question du silicium aux seuls passionnés de technique, Ulysse Nardin met en évidence les avancées techniques et fait porter l’accent sur les performances du silicium.

Sans conteste, Jaeger-Lecoultre aurait pu recourir à n’importe quel type d’échappement pour équiper les nouvelles montres Master Grande Tradition, en raison notamment des succès enregistrés par la marque avec l’échappement à détente et le spiral cylindrique. Le choix du silicium prend ici valeur d’une affirmation solennelle. Pour Ulysse Nardin en revanche, la Sonata Silicium n’aurait tout simplement pu voir le jour sans les innovations apportées par la technologie du silicium.
Ashok Soman

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