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CEO du groupe Les Ambassadeur, Patrick Frischknecht note pourtant une baisse importante des ventes de modèles compris entre 5'000 et 15'000 francs.
Depuis 1997, Patrick Frischknecht dirige le groupe Les Ambassadeurs et ses quatre points de vente luxueux de Zurich, Genève, Lugano et Saint-Moritz. Partenaire incontournable de tous les horlogers haut de gamme et fin connaisseur de cet univers, le président exécutif livre en exclusivité pour l’Agefi son analyse de la crise horlogère et ses répercussions sur le marché suisse, dont le groupe est un excellent baromètre.
Récession, vraiment? Un mot galvaudé car le pays, contre toutes attentes, ferait mieux que résister, alors que les exportations horlogères se sont effondrées de 25% depuis le début de l’année. Patrick Frischknecht évoque également l’avenir du groupe, propriété de la société d’investissement HNW. Rencontre à la boutique de la rue du Rhône à Genève, dans un cadre de luxe, de calme et de volupté, bien loin des tourments économiques actuels. Au mur d’un salon réservé aux clients VIP, une collection, peut-être unique, à couper le souffle, des plus précieux garde-temps que produit l’horlogerie suisse. Une trentaine de montres dotées des plus belles complications rivalisent de technicité et de beauté. A en donner le vertige. Et à nourrir bien des tentations.
Bastien Buss: Comment se porte le marché?
Patrick Frischknecht:
Plutôt bien. Nous ramons également, mais la situation n’est de loin pas aussi dramatique que sur d’autres marchés, comme aux Etats-Unis, au Japon ou encore en Grande-Bretagne. Nous nous en sortons étonnamment bien. A notre avis, il n’y a pas du tout lieu de parler de crise horlogère sur le marché suisse. On ne peut en aucun cas dire que la récession sévisse. Les ventes restent solides, à notre grande surprise. Les exportations sur six mois ont reculé de 25%.
Et chez vous?
Nous ne détaillons pas nos chiffres, mais par rapport à 2008, nos ventes s’inscrivent dans une sorte de stabilité. Par contre, le contraste est saisissant entre les différentes catégories de prix et de marques. Le segment des montres de 5'000 à 15'.000 francs est clairement le plus affecté. Une conséquence de la suppression des bonus dans les banques et assurances. Par contre, les très belles pièces n’ont pas connu de recul jusqu’à la fin de l’an passé. Maintenant, nous observons un très léger ralentissement.
On estime le marché suisse à environ 5% de l’ensemble des exportations horlogères. C’est énorme. Comment l’expliquer hormis par la forte part de touristes?
Cette estimation s’avère tout à fait pertinente. Ce qui veut dire que notre pays pèse quelque 750 à 800 millions de francs par an, en fonction de la conjoncture. C’est énorme au regard de sa population. Ce marché ne doit donc en aucun cas être négligé par les marques horlogères. Ce qu’elles ont toutefois eu tendance à faire lors de l’euphorie horlogère de ces cinq dernières années. Parfois un peu arrogantes, elles ont préféré se développer dans d’autres pays. Plusieurs milliers de pièces étaient par exemple envoyées en Russie et en Ukraine. La Suisse représente cependant leur marché historique. Il serait inimaginable, par exemple, que les vinothèques disparaissent de Toscane, même si l’essentiel du Montepulciano se vend à l’étranger. C’est le même cas de figure ici. Pour les clients étrangers, acheter une montre suisse en Suisse fait de plus partie de l’expérience d’achat et ils en redemandent.
Avez-vous dû prendre des mesures anticrises?
Si vous pensez au niveau du personnel, la réponse est non. Par contre, nous sommes devenus très prudents. Notamment au niveau des stocks. Et ce depuis le début de l’année en ce qui concerne les commandes, au grand dam d’ailleurs des marques horlogères. C’est un juste retour à la raison, car, ces dernières années, nous devions trop commander pour obtenir le minimum. Nous avons par exemple réduit nos commandes de 50% à Baselworld et au SIHH genevois, notamment en raison de celles en cours, passées les années précédentes.
Avez-vous bradé les prix?
Absolument pas. Mais cette pratique gangrène la branche. Dans un monde toujours plus globalisé, le client sait pertinemment bien qu’il peut obtenir des discounts phénoménaux aux Etats- Unis. Par exemple, une grande maison de New York communiquerait actuellement dans la presse pour annoncer des soldes à -50% sur son assortiment. Il est impossible de lutter contre ces pratiques. Certains consommateurs s’adonnent aussi au tourisme horloger en Grande-Bretagne en raison de l’effondrement de la livre sterling.
Vous n’accordez pas de rabais?
Non. Par contre, nous faisons parfois un geste commercial, pour certains clients fidèles uniquement. Heureusement, les commerçants suisses n’ont pas liquidé indûment ou bradé leurs stocks.
Combien d’employés avez-vous?
Nous comptons quelque 80 collaborateurs, répartis entre les quatre boutiques Les Ambassadeurs, notre enseigne monomarque de Genève et notre siège.
Qui sont vos clients?
Notre clientèle est constituée avant tout d’amateurs de belle horlogerie et joaillerie qui apprécient l’individualité du service et la compétence de nos équipes, tant au niveau de la vente que du S.A.V. Hors saison touristique, les clients autochtones pèsent pour 50% de nos ventes et les étrangers pour l’autre 50%. Maintenant, alors que la saison estivale bat son plein, les
touristes représentent plutôt 60%. Ce sont majoritairement des touristes individuels ou des hommes d’affaire qui ont leurs habitudes aux Ambassadeurs.
Ont-ils changé leur habitude de consommation?
C’est une évidence et cela semble tout à fait normal. Lors de chaque période difficile, le consommateur consommateur recherche les marques traditionnelles, connues, avec une histoire. Bref, les valeurs sûres. Les marques issues de la nouvelle génération d’horlogers ont parfois un peu plus de peine à trouver leur public. Avec des exceptions notoires toutefois, à l’instar d’Urwerk par exemple. Mais, tendanciellement, le client débourse moins.
Avez-vous modifié votre portefeuille de marques?
Crise ou pas, c’est une question que nous nous posons presque tous les jours. Cette période qualifiée de récession n’a pas entraîné de modification de notre offre.
Avez-vous l’ambition de devenir numéro un en Suisse?
Pas en ce qui concerne les volumes ou le chiffre d’affaire. Cette position est détenue par le groupe Bucherer et il la gardera. Les Ambassadeurs évolue clairement dans la niche du haut de gamme, avec comme déjà dit quatre enseignes seulement. Un choix délibéré car nous visons une clientèle individuelle, afin de parfaire le service. Les volumes nous intéressent moins. Le groupe Bucherer dispose quant à lui d’une quarantaine de filiales au travers de ses différentes enseignes. Ce sont deux modèles d’affaires différents.
Vous possédez des boutiques à Zurich, Genève, Lugano et St-Moritz. D’autres projets?
En Suisse, nous sommes présents dans des lieux touristiques sélectifs. Loin du tourisme de masse comme cela peut-être le cas à Interlaken. Donc, nous ne prévoyons pas d’extension étant là où il faut être. Par contre, notre approche,
qui a fait ses preuves, pourrait s’exporter à l’étranger.
Qui sont les propriétaires du groupe?
La société d’investissement suisse HNW a repris le groupe en 1999. La société est entièrement la propriété du Sheikh saoudien Abdullah M. al-Rayes.
Quelles marques horlogères se vendent le mieux en ce moment?
On peut citer, parmi d’autres, Breguet, Vacheron Constantin ou Ulysse Nardin.
Et le moins bien?
Je ne veux pas me fâcher avec certains de nos partenaires.
Combien de marques dans votre portefeuille?
Nous proposons une trentaine de marques horlogères et une petite dizaine dans la joaillerie.
Qu’est-ce que cette crise va changer pour l’horlogerie suisse?
Rien. Personne ne va tirer les leçons des erreurs passées. Tout repartira comme avant. C’est très dommage d’ailleurs. C’était une occasion unique à saisir.
Propos recueillis par Bastien Buss
AGEFI |