|
QUARANTE-SIXIÈME JOUR…
La « maison » Favre-Leuba est une des plus anciennes de la place horlogère suisse, même si son histoire récente a été plutôt chahutée.
En reprenant la barre, Clément Brunet-Moret (par ailleurs excellent marin : ci-contre) a quitté la sécurité d’un grand groupe pour les montagnes russes de l’indépendance.
Bien chahuté par une crise qui le surprend en plein redémarrage, il fait face avec courage et intelligence, mais aussi avec beaucoup de clairvoyance.
Son avis de tempête est un épisode tourmenté du Tour du monde horloger en 80 jours de cet été 2009, qui n'en garde pas moins le cap sur la ligne d'arrivée.
• Les commandes des détaillants ont-elles repris pour la fin de l’année ?
•••• CLÉMENT BRUNET-MORET (Favre-Leuba, Bâle) : Excellent bien sûr ! ;-)) Sauf que, lorsqu’il s’agit d’envoyer les montres (et donc de se faire payer), les partenaires deviennent injoignables ! Je crois que l’un des points les plus caractéristique de cette crise, c’est notre manque de visibilité. Il y aura probablement un rebond timide (et plus technique du fait du niveau de stocks historiquement bas de best-sellers) à la rentrée. Cela va probablement en décevoir certains qui y croient encore, mais pas de vraie reprise à espérer. On ne reverra pas les niveaux 2007-2008 de si tôt!
• Ces commandes ont-elles changé de nature (prix, style, volume) ?
•••• Pour nous il y a clairement une évolution vers le plus cher et le plus exclusif. Nos Grande Dates et Réserve de Marche se vendent moins bien, alors qu’on enregistre des commandes en hausse sur notre profondimètre Bathy et nos éditions limitées avec des mouvements vintage. Une grande prudence de la distribution (probablement aussi des soucis de cash pour beaucoup), qui n'achète que ce qui est déjà vendu.
• Une baisse des prix est-elle envisagée ?
•••• La baisse des prix est un vrai tabou dans notre milieu. Néanmoins, je constate que certains comme Audemars Piguet ou Patek Philippe ont fait des « réajustements » de prix ciblés sur certains marchés : ça a l’air de fonctionner ! Plus spécifiquement, pour Favre-Leuba, ce sont nos produits les plus chers que nous vendons le mieux : il n’y aurait donc pas de gain à baisser en gamme de façon généralisée. De plus, comme il y a une nette diminution des volumes globaux, penser faire plus en vendant moins cher semble utopique...
• Avantage ou inconvénient d’être indépendant en période de crise ?
•••• L’avantage c’est notre liberté d’action, ce qui dope notre créativité. Les inconvénients sont le manque de personnel et le poids insignifiant que représente une marque comme la nôtre chez un détaillant. Je suis partisan d’un rapprochement entre marque indépendantes pour mettre des ressources techniques en commun, pour être plus efficace et pour diminuer les coûts fixes par pièce produite.
• Innovation à tout prix, hyper-complications, prise de risque ou recentrage sur les « classiques » ?
•••• Pas de recette miracle à la crise chez FL, mais une écoute encore plus attentive des marchés pour tenter de comprendre les nouvelles règles du jeu du nouveau marché horloger. La crise amplifie les réactions de nos clients. En clair : un bon produit reste un bon produit et se vend ; un produit moyen ne se vend plus du tout ! Nous misons sur nos produits phares et tentons de faire parler de nous malgré un budget communication des plus restreint pour 2009. On s’accroche aux branches. La marque est légitime, les produits sont bons, il faut tenir pendant l’orage pour en ressortir plus forts. Mais il n’y aura probablement pas de place au soleil pour tout le monde....
• Les complications sont-elles l’avenir de la haute horlogerie ?
•••• Il y aura probablement toujours des clients pour des montres trois aiguilles superbement réalisées, mais les clients finaux sont très demandeurs de grandes complications. Il n’y a qu’à observer les produits vedettes de Bâle pour comprendre que les complications et grandes complications sont une partie essentielle de la haute horlogerie. De plus, ce sont des pièces importantes dans les stratégies de communication des marques. Notre pronfondimètre Bathy nous a généré des retombées presse inespérées pour la taille globale de notre budget de communication. Ce type de produit tire l’ensemble de notre gamme et nous aide à construire la légitimité de la marque. Enfin, c’est quand même sympa de damner le pion aux marques des grands groupes avec un produit incontestablement meilleur (on a d’ailleurs vu défiler les responsables R&D de nos concurrent sur notre stand. Ils souriaient en rentrant et faisaient la gueule en ressortant... Amusant !)...
• Peut-on faire confiance aux détaillants traditionnels pour relancer la machine horlogère ?
•••• Certainement pas ! Et c’est d’ailleurs logique leur rôle étant celui d’un intermédiaire, et non pas de réserve de stock. Notre industrie paye le surinvestissement de ces dernières années : la taille réelle de la demande n’a probablement jamais atteint le niveau global de notre production de 2007-2008. Mais, dans un contexte de croissance et de surinvestissement, personne ne s’en est rendu compte. Aujourd’hui, on est parti dans le sens inverse : sous-investissement et réduction des achats bien supérieurs à la chute de la demande. On est en pleine correction après l’explosion de la bulle horlogère. Il en ressortira certainement d’excellentes opportunités pour ceux qui prendront des risques au bon moment.
• Comment repenser la communication horlogère et séduire des nouveaux clients ?
•••• Internet devient un vecteur de communication indispensable. Les clients y vont pour chercher des informations et comparer les produits. Je crois aussi beaucoup, pour notre taille de marque, à des rencontres directes avec le clients. Dîners, salons locaux, etc. Les clients veulent rencontrer les responsables et avoir des infos fiables sur nos produits et sur notre philosophie.
• La bonne recette pour tenir le coup en temps de crise ?
•••• Dépenser le moins possible et maintenir une activité de soutien aux réseaux de distribution. En clair : position d’attente avant que le marché devienne plus lisible. Eviter le bourrage est essentiel !
• Sortie de crise pour quand ?
•••• Pas de visibilité, donc pas de prévision fiable pour le moment. Nous sommes toujours dans un cycle négatif. L’automne pourrait révéler que le plus dur est derrière nous. Les groupes vont ressortir plus dominants que jamais. Les indépendants vont devoir se battre pour se faire entendre. Pourquoi pas des expositions locales de type Watch Factory avec des indépendants dans les marchés principaux (Hong Kong, Singapour, Japon, etc...) afin d’y rencontrer nos clients et de transmettre nos valeurs et d’expliquer nos produits? Ce serait valorisant pour les clients et pour nous.
(*) « Le Tour du Monde Horloger en 80 Jours » (exclusivité Business Montres) : pendant tout l'été 2009, l'actualité horlogère au jour le jour, exprimée du tac au tac par quatre-vingt décideurs et influenceurs, en quatre-vingt fois dix textos d’actualité.
|