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Si Business Montres (18 mars) n’avait pas déjà préempté la formule pour le fils, ce serait facile de titrer « Mister Swatch et Docteur Hayek ».
Journaliste tout juste retraité (et donc à l’abri des pressions), Jürg Wegelin s’est penché sur les mystères de Mister Swatch.
Pour l’instant, le texte n’est disponible qu’en allemand...
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••• LES SECRETS DU SUCCÈS DE NICOLAS HAYEK (sous-titre du livre)
Ce livre d’enquêtes arrive sur le marché précédé de cette aura sulfureuse qui entoure les controverses médiatiques : on sait que Nicolas Hayek, le président du Swatch Group, n’a en rien collaboré à cette « biographie non autorisée », qu’il s’est opposé à ce que sa famille y apporte des témoignages et qu’il a donné pour conseil à ses collaborateurs de se tenir à l’écart de son auteur. Ce qui, au sein du Swatch, vaut excommunication majeure. Selon les techniques habituelles, on a également tenté de nuire à la réputation de l’auteur – qui connaît tout de même Nicolas Hayek depuis près de 35 ans et qui sait donc à quoi s’en tenir sur ses talents de communicateur et sur sa capacité de nuisances quand il est fâché...
Du coup, la presse alémanique – dont est issu Jürg Wegelin, qui a travaillé longtemps dans différents titres leaders de cette Suisse germanophone – s’en donne à cœur joie en multipliant les annonces, les « bonnes feuilles » (extraits) et les « lectures » (conférences avec l’auteur). Dans un univers alémanique dont l’horlogerie est le cadet des soucis, contrairement à ce qui se passe en Suisse romande, on s’intéresse plus au Nicolas Hayek entrepreneur d’exception qu’au « parrain » de l’horlogerie, parent pauvre de l’actualité purement locale.
Ce qui délie les médias alémaniques de toute révérence particulière à l’égard du Swach Group, contrairement au rapport de forces qui contraint la presse romande à mesurer sa curiosité et à lénifier ses commentaires.
• Précision utile avant d’aller plus loin : je ne suis pas germanophone, donc je ne connais encore de ce livre que ce que j’ai pu en faire traduire, tant bien que mal, des fichiers distribués ici et là aux journalistes. Pas question, donc, d’en faire un compte-rendu exhaustif, ni bien sûr « autorisé ». D’autant qu’une grande partie du travail d’enquête de Jürg Wegelin n’intéresse que partiellement le champ horloger, notamment toutes les informations qu’il a pu recueillir au Liban, première mère-patrie de Nicolas Hayek, qui n’y a plus mis les pieds depuis près de soixante ans.
Cette rupture (notamment familiale), si elle est importante pour compléter le portrait de « Mister Swatch », reste cependant marginale pour expliquer son succès dans la fondation et l’édification de l’empire Swatch Group. Disons que c’est une donnée non essentielle, mais s’il est piquant de découvrir le cadre familial, intellectuel et politique – le mandat français, la guerre mondiale, le général De Gaulle, l’éveil de la nationalité libanaise – dans lequel a grandi le futur « patron » de l’horlogerie suisse.
• Jürg Wegelin s’intéresse également aux années d’Hayek avant Hayek : comment le futur « père de la Swatch » a acquis son expertise et forgé ses armes d’entrepreneur, avant la conquête du monde horloger par le Swatch Group. Ce sont des souvenirs rarement évoqués par Nicolas Hayek lui-même, mais ils ne font guère que compléter le portrait du plus célèbre chef d’entreprise suisse, sans pour autant le changer.
L’épisode du char Leopard, audité par Nicolas Hayek pour le compte de l’armée suisse, est assez savoureux : si on l’avait écouté, l’armée suisse aurait vraiment pu économiser un bon milliard de francs suisses, mais la Confédération a préféré une autre solution. C’est néanmoins cette intervention qui permettra à Nicolas Hayek de se faire connaître du grand public suisse – même si on a eu tendance, par la suite, à réinterpréter en le survalorisant ce point de détail d’une carrière riche en rebondissements.
• On en arrive enfin aux années horlogères de « Mister Swatch », qui n’avait pas, au départ, la moindre compétence horlogère et qui est devenu, en quelques années, le sauveur, puis le refondateur et – aujourd’hui – le protecteur de toute l’industrie des montres. Jürg Wegelin n’a pas eu d’autre choix que de donner la parole aux anciens collaborateurs ou partenaires de Nicolas Hayek, dont certains sont restés, trois décennies plus tard, de farouches ennemis de leur ancien collègue.
Enjeu du débat : la paternité de la Swatch. Nicolas Hayek en est-il le vrai « inventeur » – ce qu’il n’a jamais clairement prétendu – ou le « metteur en scène » – ce que personne ne saurait nier ? A-t-il d’emblée perçu le potentiel formidable de cette montre, en encourageant au passage les investissements nécessaires, ou n’a-t-il fait qu’en accompagner, en paroles, une musique composée au préalable ? Bref, s’est-il comporté en visionnaire ou en actionnaire avisé ?
La légende – mais qui y croit vraiment ? – est celle du Hayek démiurge tel que le racontent les médias complaisants. Lui-même n’en demande pas autant et fait remarquer qu’il y a toujours beaucoup de fées pour se pencher sur le berceau des enfants pleins d’avenir, surtout après qu'ils aient du succès.
Jürg Wegelin se garde de trancher entre les interprétations et tente plutôt un portrait psychologique de celui qui enclenché l’engrenage mi-providentiel mi-industriel qui a donné naissance au Swatch Group et à l’enrichissement personnel et familial du clan Hayek.
On y découvre un vrai capitaine d’industrie, capable de prendre des risques personnels et de jeter ses forces sur le plateau d’une balance où se joue la survie industrielle de l’horlogerie suisse. On y découvre surtout un entrepreneur – au sens le plus noble et sans doute même dans la plus pure acception économiquement hayékienne (le prix Nobel Friedrich August von H., 1899-1992, et non Nicolas G. H.) – capable de changer les règles du jeu, de penser out of the box et d’avoir raison dans sa praxis contre les infaillibles théories qu’on apprend dans les écoles de management.
• On ne peut guère mettre en doute l’honnêteté déontologique de Jürg Wegelin, ni les scrupules qui l’honorent. Avec le recul, les fatwas internes lancées contre lui semblent un peu disproportionnées si on les rapporte aux « révélations » bénignes de l’enquête (ceci sous réserve d’une bonne traduction ultérieure).
Pas de quoi fouetter un journaliste, fût-il alémanique, dans cette tentative de mieux comprendre les rouages intellectuels et éthiques d’une des plus fortes personnalités helvétiques, que ses concurrents apprendront à mieux connaître – et à mieux comprendre – à travers ce livre.
• Mister Swatch - Nicolas Hayek und das Geheimnis seines Erfolgs, de Jürg Wegelin, éditions Nagel & Kimche, 240 pages, 20 euros/35 CHF.
••• FAUTE D’UNE LECTURE PLUS APPROFONDIE, impossible d’en dire beaucoup plus un ouvrage qui donne la parole à une cinquantaine de témoins et qui ne cherche à ménager personne, y compris son sujet d’études. Il est sans doute encore trop tôt pour éclairer les zones d’ombre de ce parcours personnel atypique, où on sent en permanence vibrer des cordes émotionnelles là où d’autres inscrivent leur trace dans les calculs rationnels.
Ce que cet entrepreneur a réussi, aucun manager ne l’aurait même tenté : la supériorité de sa vision est, pour ce qui concerne ces années de l’histoire horlogère, le vraie mystère de « Mister Hayek »...
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