Etymologiquement, le mot "crise" vient du grec krisis qui signifie "décision". La "crise" devrait donc être ce moment-clé où la décision se fait. En bien ou en mal. Médicalement, la "crise" est ainsi cet instant où tout peut verser d'un côté comme de l'autre, et l'organisme repartir vers les crêtes de la guérison ou plonger au bas de la pente fatale.

Quand Nick Hayek Jr, se félicitant de ses bons chiffres relativement à ceux de la concurrence (- 15.3% en chiffre d'affaires semestriel à comparer aux - 26.4% de l'ensemble de la branche horlogère), affirme que "l'industrie horlogère n'a jamais été en crise" mais qu'il s'agit "d'un simple ralentissement", il dénie donc à la période que nous sommes en train de vivre (ou avons à peine vécu?) toute valeur décisionnaire. En somme, dans cette mal nommée "crise" rien de fatal ni de décisif ne se serait joué. Nous courrions comme des fous; nous avons simplement ralenti le rythme, essoufflés que nous étions. Et si, conséquemment, nous n'avons fait que ralentir, c'est pour mieux repartir, n'est-ce-pas?

Somme toute, la krisis n'aurait point été une katharsis, cette soudaine purgation, cette purification, cette libération du refoulé. Or l'on sait bien que tout sujet passant par une crise sans en ressentir une catharsis est condamné à la renouveler, voguant ainsi de crise en crise.

La seule catharsis éprouvée lors de cette "crise" a pris la forme d'une "purgation" des tiroirs des détaillants et des carnets de commande des sous-traitants. Quant aux autres, ils sont sommés de faire ce qu'on attend des "ralentis": un peu de chômage partiel comme on recommande un peu de repos au grippé.

Alors parfois on se prend à rêver: et si cette "crise" avait été l'occasion d'une vraie "catharsis", qui dépasse de bien loin le seul microcosme horloger mais touche à l'ensemble de nos effrénées activités! Et si cette "crise" avait bel et bien été là pour "sanctionner une impasse", comme me le souffle mon dictionnaire et "déboucher sur une résolution"! Car, pour reprendre l'étymologie, le mot krisis, provenant lui-même du verbe krinein qui signifie littéralement "juger, juger comme définitif", marque le moment où "les événements s'emparent du temps au lieu de s'y dérouler." On est ainsi point tant acteur de la crise que son spectateur. Mais loin d'être inutile, loin d'être du temps perdu, elle est l'occasion de s'arrêter pour juger, pour réfléchir, pour prendre son temps. La "crise", une occasion manquée? Alors attendons la prochaine, au risque qu'elle soit fatale.
Pierre Maillard