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En désaccord stratégique profond sur le sort réservé par le groupe Bulgari au pôle de haute horlogerie Gérald Genta-Daniel Roth, Gérald Roden reprend sa liberté.

Sans pouvoir sauver les 50 emplois supprimés dans ce pôle par Bulgari Time.

••• LA PÉTAUDIÈRE BULGARI TIME
La sous-performance internationale du groupe Bulgari frappe par ricochet sa division horlogère : le groupe reconcentre son activité de haute horlogerie (essentiellement la manufacture Gérald Genta-Daniel Roth du Sentier et le siège social de Meyrin) au sein de Bulgari Time (Neuchâtel).

50 emplois sur 130 sont supprimés et l’établissement du Sentier perd l’autonomie stratégique et industrielle que Gérald Roden, son patron depuis près de dix ans, avait su lui conquérir. Il n’est pas exclu que d’autres « ajustements » de personnel suivent, Bulgari Time ayant demandé dans un premier temps la réduction de la moitié des effectifs.

La branche horlogère Bulgari Time, déjà économiquement déprimée et pénalisée par une politique d’investissements hasardeux (boîtiers, cadrans, etc.), devrait transformer la manufacture du Sentier en simple atelier de sous-traitance pour les montres Bulgari : la survie des marques Gérald Genta et Daniel Roth – qui fêtaient respectivement, cette année, leurs vingt ans et leurs quarante ans ! – n’est pas clairement garantie, ni même assurée dans le nouveau dispositif.

Les fruits empoisonnés d’une diversification aussi mal comprise que mal entreprise ont eu raison d’un pôle de haute horlogerie créative qui avait su trouver sa place et qui manquera dans le paysage actuel.


••• UNE ABSENCE DE VISION HORLOGÈRE
On peut d’ailleurs s’interroger sur la viabilité même du projet horloger du groupe Bulgari, aujourd’hui plombé par des stocks considérables de produits inconsistants ou incohérents lancés mécaniquement ces dernières années. Le groupe semble à peu près dépourvu de stratégie claire pour une quelconque relance.

Détail qui ne trompe pas : dans chaque pays, les différent activités horlogères du groupe sont désormais rattachées au seul responsable de l’activité Parfums, ce qui laisse entrevoir d’autres suppressions de postes pour dédoublonner la hiérarchie. Le parfum et les montres relevant de pratiques professionnelles et d’environnements très différents, cette réorganisation n’augure pas des résultats très positifs dans les années à venir.

Ceux qui ont un peu de mémoire se souviendront que, lors du rachat des deux marques et de la manufacture du Sentier, Francesco Trapani était pour le moins flou sur sa « vision » de la haute horlogerie et sur la stratégie déployée après ce rachat. Il avait d’ailleurs mis du temps à relancer la machine. On découvre aujourd’hui que, dix ans plus tard, le même flou et les mêmes incertitudes président aux décisions horlogères du groupe Bulgari...


••• DIX ANS D’ EFFORTS SACRIFIÉS
Visiblement, Francesco Trapani – dont le groupe est ostensiblement à vendre, avec des mandats confiés aux banques et un dossier déjà à l’étude dans les autres groupes de luxe – a décidé de faire le ménage sans... ménager les égos personnels, ni les sensibilités « combières » [sur le seul plan humain, cette « charrette » est une catastrophe pour Le Sentier, où les syndicats en redoutent bien d’autres dans les mois à venir]...

Sans ménager surtout le respect dû à des équipes horlogères et commerciales qui, pour leur part, n’avaient pourtant pas ménagé leur peine pour sortir les deux marques de leur périlleuse situation initiale : la manufacture de la vallée de Joux était profitable depuis trois ans et les deux marques avaient entrepris un redéploiement international assez spectaculaire. On gâche ici dix ans d’investissements et de mobilisation de toute une communauté de travail...

Il est fort peu probable que déshabiller Le Sentier pour tenter de rhabiller Neuchâtel sauve quoi que ce soit de la déconfiture annoncée pour l’horlogerie Bulgari en général : de toutes les solutions envisageables (y compris celle d’une revente des deux marques), c’est apparemment la pire qui a été retenue...


••• GÉRALD RODEN JETTE L’ÉPONGE
Dans ces conditions, après s’être battu bec et ongles pour sauver un maximum de postes, Gérald Roden renonce à son bras de fer avec son actionnaire et jette l’éponge : il peut quitter Gérald Genta-Daniel Roth la tête haute, avec le sentiment du devoir accompli et surtout la certitude d’avoir été le plus loin possible avec un groupe qui ne lui facilitait pas la vie tellement il était dépourvu de sensibilité horlogère.

Il n’est jamais facile de développer deux marques malgré son actionnaire quand il faudrait le faire avec lui. Ce n'est pas faute d'avoir essayé si Gérald Roden doit aujourd'hui baisser les bras.

Cet été, il avait accordé à ses équipes sept semaine de « vacances horlogères » – histoire de refroidir un peu son appareil de production. S’il a pu partiellement réduire la facture finale en termes d’emploi, il n’a pas été écouté pour le maintien au Sentier d’une autonomie créative et logistique. Le siège de Meyrin est lui aussi supprimé : tout se fera désormais à Neuchâtel, où Gérald Roden n’avait plus sa place !


••• UNE PENSÉE POUR CES ÉQUIPES QUI PAYENT MANIFESTEMENT LE PRIX FORT pour des erreurs stratégiques (au plus haut niveau) dont elles ne sont en rien responsables.

Une pensée aussi pour les familles dont la rentrée 2009 sera pour le moins amère après ce brutal « dégraissage ». Ce qui permet de vérifier au passage un des principaux enseignements de cette crise : seuls les vrais groupes horlogers (par exemple, le Swatch Group) ont su rester dignes face à l'adversité, quand les opportunistes et les purs investisseurs ont fait preuve du plus extrême mépris pour le facteur humain, en perdant leurs nerfs à la première menace sur leurs profits.

C’est pourtant avec des hommes qu’on fait des belles montres, pas avec des états comptables...