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Pendant longtemps, Van Cleef & Arpels a fait des montres.
Aujourd’hui, la maison de la place Vendôme a trouvé son identité horlogère.
Un livre raconte ce parcours.
••• « IL FAUT CROIRE À LA CHANCE POUR AVOIR DE LA CHANCE »
La citation est de Jacques Arpels, et la maison Van Cleef & Arpels a eu beaucoup de chance au cours de son siècle d’histoire, et notamment celle de survivre à de multiples crises sans (trop) perdre de substance, mais en s’inventant, à chaque épisode critique, un tremplin pour rebondir – une idée, un savoir-faire, une stratégie.
Sur le plan strictement horloger, au cours de ce même siècle, Van Cleef & Arpels n’a pas dérogé en tenant son rang plus qu’honnêtement dans le concert des maisons de la place Vendôme : belles montres bien exécutées par les meilleures maisons suisses, dans le respect des codes et de l’air du temps, avec notamment des pendules « mystérieuses » plutôt originales, des minaudières et des montres-accessoires qui font le bonheur des collectionneurs.
En se contentant d’un regard d’antiquaire, ce bilan serait déjà satisfaisant et très honorable. En commanditant l’album Van Cleef & Arpels, Le Temps poétique, la marque rend hommage à ce passé, en mobilisant pour la circonstance Michel Serres, Franco Cologni, Jean-Claude Sabrier et Sharon Kerman, ce qui n’est déjà pas mal, mais surtout la force des photographies de Guy Lucas de Pesloüan, que les lecteurs de Business Montres ont pu découvrir récemment.
On y découvre la richesse créative et stylistique de collections horlogères qui n’ont finalement pas trop dévié de l’esprit Van Cleef & Arpels au fil des décennies, lequel esprit consiste à en avoir, avec une touche de malice et de candeur dans l’expression, sans se noyer dans les détails joailliers. S’il y a une « maison du bonheur » place Vendôme, c’est bien sur le versant nord du fameux quadrilatère qu’on y trouverait un paradis d’avant la faute originelle.
S’il ne proposait que ce coup d’œil dans le rétroviseur, ce grand album aurait déjà beaucoup de consistance. L’intérêt de cette mise en perspective horlogère de Van Cleef & Arpels reste tout de même le balayage panoramique du regard et sa projection dans l’avenir : on y comprend mieux les créations actuelles et on y voit éclore le papillon d’un horloger authentique après un siècle de chrysalide.
••• UNE GÉOPOÉTIQUE DU TEMPS PRÉSENT
C’est avec ses « complications poétiques » que le joaillier de la place Vendôme a trouvé non seulement son irréductible identité, mais surtout sa légitimité, tout en prouvant la pertinence de ses propositions. Dans l’histoire de la montre féminine, c’est la première fois qu’une « complication » n’est pas une déclinaison – en plus petit, en plus serti et donc souvent en plus mièvre – de la bonne vieille complication « pour hommes », mais une expression originale et singulière du message fondamental d’une marque.
Après un siècle de jalons (et parfois de tâtonnements : certains tourbillons étaient navrants !), la clarification actuelle cristallise un tournant fondamental dans cette histoire de la montre au féminin : on le comprendra encore mieux dans la juxtaposition des pièces du musée et des propositions contemporaines. En plus de la passion documentaire, c’est l’assomption actuelle de cette fièvre créative qui rend cet album indispensable : le regard distancié du photographe accentue le contraste entre la froide rigueur de l’histoire et la bouillonnement de la production contemporaine.
••• ON PEUT TOUJOURS SE POSER LA QUESTION de l’utilité foncière de ces gros albums, de leur « mérite marketing » (rapport impact/coût) et de la mise en scène convenue de la marque qu’ils proposent. Cette fois, on a mobilisé Michel Serres : c’est déjà bien et nettement moins conformiste que d’habitude. On a choisi un des meilleurs photographes de montres du moment : c’est encore mieux. A défaut d’être surprenants, les autres co-auteurs manient parfaitement les adjectifs exhausseurs de goût et les majuscules initiatiques. Ah, ce H de la Haute Horlogerie ! S’agit-il d’un message subliminal à propos d’un quelconque paradis artificiel ?
L’objet est beau et les montres sont belles, la marque aussi. La crise est forte, la marque aussi : peut-être ce livre sera-t-il considéré par la prochaine génération comme un insolent défi de Van Cleef & Arpels aux temps difficiles que nous vivons. Si nous avons besoin de « temps poétique » pour réenchanter le monde, c’est bien en cette désespérante fin d’année 2009...
• Van Cleef & Arpels, Le Temps poétique, par Michel Serres, Franco Cologni, Jean-Claude Sabrier et Sharon Kerman, photographies de Guy Lucas de Pesloüan, éditions Cercle d’art.
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