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Début d'année pourri pour les contrefacteurs chinois. Plus de 80'000 fausses montres saisies à Gioia Tauro en Calabre, le 5 janvier dernier. Coup de chance ou coup de grâce? Rapport de visite dans le pied de la botte.
L’infrastructure portuaire de Gioia Tauro a été construite au début des années 90 en vue d’absorber le trafic des cargos de type «porte-conteneurs». En effet, les conteneurs, en franglais «containers», constituent une espèce de petite révolution dans la conception du trafic maritime, en ce sens qu’un même cargo peut transporter toutes sortes de marchandises dans un mélange d’apparence inextricable pour le commun des mortels. En réalité, le système est enfantin: toutes les boîtes sont numérotées et un ordinateur se charge de les empiler dans un ordre savant qui intègre dès le départ toutes les modalités de déchargement enregistrées par le transporteur. Les porte-conteneurs sont une des innombrables applications de la révolution digitale. Pour des milliers de dockers, c’est le glas qui a sonné. Aujourd’hui, les cargos les plus récents, d’une longueur de 350m, peuvent transporter jusqu’à 10'000 conteneurs, déchargés en quelques heures par une équipe de… deux ou trois personnes assistées d’un ordinateur pilotant lui-même les moyens de levage automatisés! Inutile d’ajouter, on l’aura compris, que les ports classiques sont incapables d’accueillir ces «cargos du troisième type», aussi grands que les super-tankers.
Cette conception du trafic maritime n’est pas sans conséquence pour les autorités douanières chargées du contrôle des marchandises. Si les équipes disposaient naguère encore de plusieurs jours pour examiner une cargaison, elles doivent le faire aujourd’hui en quelques heures. A Gioia Tauro, 5'000 conteneurs supplémentaires viennent s’entasser chaque jour que Dieu fait le long des quatre kilomètres de docks. Pour les 50 fonctionnaires italiens, si Dieu fait les jours, c’est le diable qui compte le temps. C’est pourquoi les cibles doivent être déterminées avant même l’arrivée du bateau à quai. Pour ce faire, avec 24h d’avance sur le cargo, les douaniers disposent des «manifestes», c’est-à-dire les papiers émis par le transporteur détaillant dans un langage hermétique au profane la composition des marchandises transportées dans chaque conteneur. Tout l’enjeu est là: il faut chercher les indices qui inciteront à contrôler une boîte plutôt qu’une autre. Les douaniers les plus expérimentés, ceux qui ont le «nez creux», se chargent de ce travail, pendant que leurs jeunes collègues s’occupent des vérifications sur place. Tous les moyens sont mobilisés pour aller vite, depuis les chiens qui sentent la drogue jusqu’aux scanners de dernière génération, les fameux «matrix», qui visualisent en moins d’une minute le contenu d’une boîte de 12m de long sur 2,60m de haut et 2,40m de large, soit environ 25 tonnes de marchandises les plus diverses.
Osons alors la question: comment fait-on pour tomber sur un lot de fausses montres caché derrière des montagnes de T-shirts, des empilées de chemises, des tas de jeans? «La recette est simple: 20% de talent, 80% de travail et, pour le solde, la chance» répond non sans humour le douanier, avec pour seule récompense la fierté d’avoir sorti 160'000 articles contrefaits au nombre desquels 80'000 garde-temps, dont 40'000 fausses montres suisses de 22 marques différentes. Il n’en dira pas plus, fermement tenu par le secret de fonction. Arrivé au terme de la visite, il faut toutefois se rendre à une évidence grosse comme un paquebot: avec l’explosion du trafic commercial et l’agrandissement programmé de Gioia Tauro, 50 douaniers et toute la chance du monde ne suffiront pas. Il en faudra beaucoup plus pour trouver l’aiguille dans la botte de foin. |