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Tous les patrons horlogers jonglent avec le mot reprise. Mais ils peinent à s’accorder sur son sens. Et si tout dépendait d’une relance ?
Etymologiquement, le mot "reprise", que l'on entend beaucoup en ce moment, est un amalgame de "reprendre" et de "prise". La "reprise" est donc cet instant où, après avoir cru chuter, on reprend prise pour pouvoir continuer l'ascension de la paroi qui a failli nous être fatale. Mais de "reprises" il y en a de toutes sortes. Entre la couturière qui patiemment "reprend" le tissage déchiré d'un habit, lui redonnant une seconde vie en le "reprisant", et le boxeur qui, au bout de la dixième "reprise" de son combat, sent que la cloche qui va bientôt sonner son ko sera sa délivrance, il y a des mondes de différences. Mais ce qui les unit d'un commun accord est le constat qu'après la "reprise" les choses, que ce soit un habit ou un palmarès de boxeur, ne seront plus jamais ce qu'elles étaient auparavant.
Quand on interroge nos patrons horlogers, tous ont plus ou moins à la bouche ce mot de "reprise". Reste que sa saveur est fort différente d'un palais à l'autre. S'ils s'accordent généralement pour dire que la "reprise" nécessite encore un long parcours – dont ils situent le trouble horizon aux alentours de "la deuxième moitié de 2010" ou du "premier trimestre de 2011" - ils ne semblent pas s'accorder sur le type de "reprise" qu'ils évoquent. Sera-ce une "reprise en mains"? Ou seront-ils contraints de procéder à une "reprise du capital"? Pensent-ils que leur maison, telle une voiture de sport, possède une bonne "reprise" qui leur permettra de dépasser celles dont la "reprise" est médiocre? Ou seront-ils contraints de payer une forte "reprise" pour pouvoir continuer leur activité? Bref, la "reprise" n'est pas si simple ni évidente que ça.
Une récente illustration nous en est fournie par la "reprise" en cours au sein du groupe Richemont. Quel type de "reprise" est-ce là? Que A. Lange & Söhne se voit à présent chapeautée par Jaeger-LeCoultre peut se concevoir comme une "reprise" naturelle étant donné que la couturière qui, à l'origine, a brodé le tissu saxon s'était d'abord exercée sur la toile combière. N'est-ce pas Günter Blümlein, alors patron de Jaeger-LeCoultre et d'IWC, qui a voulu la renaissance de A. Lange & Söhne, lui apportant sur son berceau la fameuse Grande Date! Mais qu'IWC "reprenne" Baume & Mercier ainsi que Roger Dubuis apparaît par contre comme une étrange "reprise". C'est comme si l'on confiait un enfant sous acide pop – le très baroque Roger Dubuis – à une austère marâtre germanique. Que va-t-elle bien pouvoir "reprendre" dans l'éducation de ce fantasque rejeton d'origine lusitanienne? On l'ignore, mais toute "reprise" n'est-elle pas une espérance. L'espoir que la plante qui semble asséchée se réveille, que celle qui stagne reprenne vie et entame un nouvel essor, se "relance" à l'attaque. La "reprise" nourrit donc la "relance". Mais le mot "relance" n'est-il pas aussi employé dans un cas de figure bien précis: si on vous "relance", c'est qu'on vous réclame les impayés que vous devez! Ce qui en d'autres mots, sachant qu'il ne saurait y avoir de "reprise" sans "relance", signifie que des pots ont été cassés et qu'il va bien falloir les "reprendre". "Reprise" ou pas, on vous "relancera", soyez-en bien sûrs.
Pierre Maillard – « Au-delà des mots »
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