|
Soyez heureux et faites beaucoup de ventes!
Il ne manquait qu’un prêtre lors du mariage des montres Richard Mille et de la boutique L’Heure Asch, qui a été célébré au champagne hier dans la vielle ville de Genève. Plus qu’un simple accord entre un détaillant et un fabricant, il s’agit d’une nouvelle pierre apportée à l’édifice des deux maisons, nées de concert en 2001. Pour Denis Asch, ambitieux amateur de garde-temps d’exception, l’arrivée de Richard Mille sonne sa grande entrée dans la véritable haute horlogerie. Un rapprochement qui était au programme depuis l’ouverture de son échoppe confidentielle et qui nourrit déjà d’autres rapprochements. Aucun nom ne filtre pour l’heure, mais il s’agira sans nul doute de l’un ou l’autre des rares créateurs indépendants de la place. «Je n’ai rien à offrir à un groupe», tranche Denis Asch en touchant tout ce que sa boutique compte comme bois. Le détaillant vit cette communion comme un privilège. Normal pour qui a réussi à représenter une marque plus portée à gérer la demande qu’à la générer. Comme beaucoup d’autres, Richard Mille se dit aussi débordé que ses carnets de commandes, remplis jusqu’en 2016 pour certaines références. La marque pourrait de plus bientôt gagner de nouveaux galons en termes de notoriété. Des négociations sont en cours pour lui permettre de pénétrer la forteresse du Salon de la haute horlogerie (SIHH). Dans la spirale vertueuse
du paiement cash
Pour Richard Mille, fondateur de la marque éponyme et figure emblématique du renouveau de l’horlogerie de luxe, ce nouveau détaillant apparaît comme le moyen de ramener son entreprise dans les standards du secteur, dont la plupart des acteurs réalisent quelque 5% des ventes en Suisse. A l’heure actuelle, l’Eldorado de l’horlogerie ne pèse guère plus de 1,5% des ventes. Un volume presque négligeable au regard des 1502 montres (entre 40.000 et 700.000 francs l’unité) vendues en 2006 – l’objectif à moyen terme étant de doubler la production. La marque, qui n’est représentée que dans une trentaine de boutiques dans le monde, compte ainsi une seconde antenne genevoise, la première étant Montres Prestige, représentation diligentée par Audemars Piguet dans le palace Kempinski, ex-Noga Hilton. Le rapprochement avec Denis Asch signe également l’entrée d’un nouvel ami dans la famille Mille. Une famille déjà forte de quelques grands noms, dont Audemars Piguet et les manufactures Renaud & Papi et Vaucher.
Dans l’univers presque incestueux de la haute horlogerie, Richard Mille ne fait pas exception: son ADN s’est développé dans des chromosomes croisés. La marque a été lancée en partenariat avec Dominique Guenat, donnant également naissance à la société Horométrie, qui élabore des produits en collaboration avec les manufactures précitées et dont le capital est notamment détenu par les marques Richard Mille et Audemars Piguet. Cette dernière a d’ailleurs acquis 10% de Richard Mille en début d’année, histoire de pérenniser une collaboration et une amitié vieilles de cinq ans. Une prise de participation tout en empathie qui ne devrait rien à quelque stratégie de renflouement. «Nous ne manquons pas de trésorerie, recadre l’horloger. Les détaillants paient les montres cash à la livraison, et étant donné le prix des objets et nos marges (environ 40%), nous avons assez de liquidité pour alimenter la machine, dont les deux postes les plus lourds: le marketing et le développement.» Pour le patron, sa marque «bénéficiaire depuis le début» baigne dans le succès, portée sans accroc par un secteur en effervescence. Et l’ampleur de la croissance n’a jamais causé de problème de fonds propres. «J’ai pris six ans pour arriver à une production de 1500 pièces… Il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard! »
Le premier objectif est de rester indépendant
Richard Mille, manager de son état, détonne tout de même dans l’univers tout en frac de la haute horlogerie. Il a débarqué hier à Genève en provenance de Bretagne, sa nouvelle patrie d’élection. Blouson en cuir clair et bronzage méditerranéen, le directeur affichait la décontraction d’un cinquantenaire bien dans sa peau et avec tout son avenir devant lui. Et pour cause. Sa marque, qui n’a pas encore célébré ses six ans, s’est déjà imposée comme un modèle de l’hybridation du pur artisanat et de l’hypertechnologie. «Je suis un passionné de technique. Je suis tombé dans l’horlogerie, mais j’aurais pu travailler dans l’automobile ou l’aéronautique», reconnaît Richard Mille. Ce qui compte surtout pour l’homme d’affaires est de conserver son indépendance. L’horlogerie lui a donné les moyens de ses ambitions en lui permettant d’échapper aux contraintes de la production industrielle à haut débit et, de fait, de pouvoir maîtriser seul sa croissance, qui plus est en soignant sa qualité de vie, entre la côte atlantique et le plateau jurassien. Une réussite pavée d’exigences, voire d’intransigeance. L’homme incarne à la lettre la formule: tous les chemins mènent à Rome sauf le compromis. Ce qui peut aussi signifier une certaine dureté, comme en a témoigné un détaillant asiatique dans les coulisses de Baselworld. Et Richard Mille de conclure: «Je n’ai jamais eu envie de subir.»
Angle-Le marché gris tue les nouvelles marques
«Je suis obligé de jouer le shérif», accuse presque amusé Richard Mille, accoudé façon James West sur un présentoir de la boutique Asch. «Quand j’entends parler d’une affaire de marché gris, je bondis. Je rachète les montres au prix fort et je sévis.» C’est ainsi que plusieurs points de vente ont déjà reçu les foudres de sieur Mille et se sont vus radiés de la liste des diffuseurs, en Italie, au Moyen-Orient, en Afrique du Sud et en Asie. Car le pire pour une jeune marque est précisément la démarque, la contrefaçon restant souvent anecdotique à un stade de développement encore embryonnaire. L’homme d’affaires reconnaît sur ce point que sa priorité est encore d’asseoir les fondamentaux de ses produits dans un segment très haut de gamme où l’acculturation draine une clientèle toujours plus exigeante. Dans ce jeu de surveillance permanente, la répartition des commandes est un élément clé. «Mon rôle consiste à faire en sorte qu’aucun marché n’ait un niveau d’absorption supérieur aux autres, afin de tenir les prix et de maintenir l’offre.»
Stéphane Gachet Agefi |