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«Nous ne songeons en aucun cas à nous diversifier»
 
Le 12-10-2009

Thierry Stern, président de la manufacture horlogère genevoise Patek Philippe

Le Temps: Vous avez officialisé cette semaine votre nomination à la présidence de Patek Philippe, où vous succédez à votre père Philippe Stern, alors que l’événement a eu lieu il y a déjà presque deux mois. Pourquoi ce délai?

Thierry Stern: Ma nomination remonte à fin août. Ni mon père ni moi ne souhaitions organiser un événement, avec une grande annonce, car j’avoue que cette passation de pouvoir me fait en un certain sens mal au cœur, comme elle doit également chagriner mon père. Il doit certes y avoir un côté très motivant de voir son fils reprendre l’entreprise, mais c’est aussi – et je le mets entre guillemets – une «fin de carrière». Pour quelqu’un qui a dédié plus de quarante ans de sa vie à
l’horlogerie, une activité qu’il a menée avec passion, l’étape est difficile.

– Votre père reste cependant dans l’entreprise…

– Je serais peu avisé de me passer de ses conseils. Mon père reste membre du conseil d’administration et prend le titre de président d’honneur. Patek Philippe est une affaire familiale depuis quatre générations. Je m’entends très bien avec lui et nous formons un tandem. Lorsque je suis en voyage par exemple, ce qui est très fréquent, les décisions peuvent être prises rapidement sans attendre mon retour. De son point de vue, le moment était par ailleurs idéal pour procéder à la transition: prendre la tête d’une maison comme Patek Philippe en pleine crise constitue un défi qui implique de savoir prendre les bonnes décisions au bon moment. Je vais relever ce challenge.

Pour l’anecdote, j’ai cette année 39 ans, soit le même âge qu’avait mon père lorsqu’il a pris les rênes de Patek Philippe. Nous l’avons découvert après coup.

– Qu’est-ce qui va changer?

– Honnêtement, pas grand-chose. Mis à part un détail peut-être: je suis plus familier que mon père avec l’informatique. Plus fondamentalement, je m’assigne comme mission de maîtriser au mieux l’information interne, qui constitue la clé d’une bonne gestion. Patek Philippe a beaucoup grandi ces dix dernières années et le gros problème – commun à toutes les structures qui croissent rapidement – consiste à gérer le flux d’information. Je vais m’atteler à mettre en place des systèmes permettant d’archiver, de placer et de retrouver le bon document, par exemple des procès-verbaux de séances. Cela paraît tout bête, mais c’est presque plus compliqué que de faire une montre à grande complication. J’essaie d’unifier nos méthodes de travail.

– Comment définissez-vous le rôle du directoire de Patek Philippe, dont vous avez la présidence?

– Nous sommes dans une situation où les propriétaires sont partie intégrante du travail journalier de l’entreprise. Mon père et moi – j’ai encore de la peine à me considérer comme seul aux commandes – sommes les garants de la stratégie du groupe, qui n’a jamais changé, et qui consiste à faire les plus belles montres du monde. Quand je dis les faire, cela signifie les penser et les développer, puis les produire. C’est notre responsabilité. Et pour moi, le plus pur bonheur, c’est la création du produit.

– Justement, avez-vous des divergences avec votre père sur les montres?

– Nous avons la même approche. Je vais peut-être vouloir un cadran un peu gris, plus jeune, alors que lui voudra un blanc opalin. Mais les deux sont bons. Un coup je lui dis «tu as gagné», un coup c’est lui qui m’accorde la victoire (rires).

Il n’est quasiment pas possible d’avoir quelqu’un d’autre qui s’occupe de la création. Pour faire une Patek Philippe, il ne faut pas être un génie ou avoir fait tel ou tel Art Center, il faut avoir eu beaucoup de nos montres dans les mains et connaître les compétences du personnel de notre manufacture, savoir ce qu’ils sont capables de faire, hier avec une lime, aujourd’hui avec un tour à commande numérique.

Je prends toujours cette image: chez Patek Philippe, on doit être comme dans la publicité pour les piles électriques qui met en scène des petits lapins mécaniques qui s’arrêtent les uns après les autres. Nous devons être le dernier qui marche. Cela implique des sacrifices et une discipline. Concrètement, garder le cap en tout temps, c’est par exemple savoir écarter un design de montre que l’on considère comme «mode» et donc périssable.

– Songez-vous à vous diversifier?

– En aucun cas. Et croyez bien que nous recevons toutes sortes de sollicitations. S’il nous fallait du cash rapidement, nous pourrions vendre par exemple des lunettes. Nous n’avons jamais fait de produits dérivés et je ne veux pas me lancer dans ce créneau. Nous pouvons nous payer ce luxe parce que nous n’avons pas d’actionnaires. L’attrait de l’argent ne me motive pas en tant que tel, car je pourrais m’arrêter de travailler sans problème. Mon but, c’est de faire de belles montres, et je m’éclate.

– Avez-vous ressenti aussi durement la récession que certains concurrents?

– Une année avant la crise, mon père nous mettait déjà en garde et préconisait de ne pas trop engager. Il avait donc senti ce qui allait arriver. Au final, grâce en partie à ce flair, nous avons certainement moins souffert que les autres. Mais nous avons néanmoins été touchés nous aussi.

Le principal point noir a été les Etats-Unis, où tout à coup – à la fin de l’an dernier – il y a eu un énorme coup de frein, qui s’est traduit par des ventes en chute de 30 à 50%. La Russie s’est également arrêtée nette. Les affaires ont également été pénibles au Japon – les affaires s’y étaient déjà détériorées avant la récession – et en Espagne, pays fortement marqué par la crise immobilière. Dans d’autres marchés, le ralentissement s’est également manifesté, mais sans être aussi important.

– Comment se répartissent vos ventes?

– Nous essayons d’avoir un équilibre, d’être présents un peu partout. L’Europe représente environ 45% de nos ventes et l’Asie environ 30%. Les Etats-Unis devraient être à 20%, mais cette proportion est actuellement un peu plus faible. Le Moyen-Orient absorbe l’essentiel du reste. Notre politique consistant à balancer nos ventes sur l’ensemble des régions nous permet – en temps normal – de mieux approvisionner un certain marché lorsqu’une autre région du monde montre des signes de faiblesse.

– Votre chiffre d’affaires est donc en baisse?

– Le nombre de montres écoulées a diminué, mais pas nos ventes, qui sont pratiquement équivalentes à celles de 2008, qui a été la plus belle année de toute notre histoire. Les premiers prix ont souffert plus que le reste. Il y a en revanche une énorme demande dans les grandes complications, car la clientèle s’est réfugiée dans les valeurs sûres. Des clients m’ont dit qu’ils préféraient acheter une répétition minute ou une Sky MoonTourbillon (ndlr: à partir de 150 000 francs) parce que ces garde-temps conserveront toute leur valeur. Nous n’avons évidemment pas pu répondre à toutes ces demandes parce que la limite de production est régie chez nous par un seul et unique critère, la qualité. Nous produisons en moyenne 40 000 montres par an.

– Vous êtes actuellement en train d’investir ici à Plan-les-Ouates, malgré la crise…

– Cet investissement était planifié depuis longtemps, car nous sommes à l’étroit dans notre manufacture, qui n’a pourtant été inaugurée il n’y a que treize ans. Nous avons donc racheté une parcelle de 33 000 m2 à notre voisin L’Oréal. Le bâtiment en chantier représentera 14 000 m2 de nouvelles surfaces de production. Notre optique n’est pas de ne pas fabriquer davantage de montres, mais de manufacturer plus de composants.

– Combien investissez-vous?

– Un montant substantiel, mais nous ne donnons jamais de chiffres. Il s’agit d’argent bien placé, et nous ne voulons ni vendre ni nous diversifier.

– Est-ce que cet agrandissement entraînera des recrutements?

– Soyons honnêtes, pas dans l’immédiat. L’heure est à la vigilance. Dans le futur, les engagements vont très certainement revenir, mais notre optique n’est pas de dire que nous allons avoir un nouveau bâtiment et que nous allons engager 50 ou 100 personnes. Nous employons environ 1300 personnes à Genève et nous n’avons pas licencié. Nous avons en revanche dû mettre un terme aux contrats de travail des temporaires, qui ont pris cette crise de plein fouet au début.
Philippe Gumy

Le Temps

 



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