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Certains pays ne connaissent pas la crise
 
Le 19-10-2009

Laurent Lecamp s’occupe d’un territoire qui s’étend des rives de la mer Baltique au Caucase en passant par les Balkans.

Laurent Lecamp a débuté dans l’industrie horlogère il y a cinq ans. Entré chez Forum Distribution S.A. début 2008, il travaille avec Alexandre Schwab comme Area sales manager. Ce dernier, qui s’est réservé la Russie, a confié à son jeune et dynamique second un territoire qui va des rives de la mer Baltique au Caucase en passant par les Balkans.

Quels pays prospectez-vous exactement ?
Alexandre Schwab et moi couvrons 20 à 25 pays en Europe de l’est et en Asie centrale. Personnellement, je me concentre sur l’Ukraine, l’Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan.

C’est assez inhabituel dans la distribution horlogère. Y a-t-il un réel potentiel dans ces pays?
La plupart traversent une phase difficile, mais ils ont tous une capacité de rebond très importante. En outre, et contrairement aux idées reçues, nous sommes assez proches de ces pays, tant d’un point de vue historique que culturel.

C’est une zone complexe où les réalités économiques et politiques sont très différentes les unes des autres. Toutefois, peut-on dégager des sous-ensembles?
Je distinguerai un premier bloc, constitué par la Russie et l’Ukraine, pays leaders durant plusieurs années. Un second groupe s’éveille à l’ouest de la Chine avec l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Turkménistan. Un troisième, enfin, couvre les pays d’Europe centrale comme la Bulgarie et la Roumanie. Pour nous, ils ont un potentiel comparable à celui des Tigres d’Asie (Thaïlande, Malaisie…).

Quelle est la situation économique là-bas?
En général, les marques annoncent une baisse des ventes de 50% par rapport aux années précédentes. Mais une moyenne n’a aucun sens dans un territoire aussi vaste et diversifié. Concrètement, la baisse constatée chez mes clients est de 20% à 30%. La différence s’explique par le déstockage. J’ajoute que, s’il est vrai que l’ensemble de la zone souffre, certains pays ne connaissent pas la crise. En Azerbaïdjan et au Kazakhstan notamment, qui jouissent d’importantes ressources pétrolières, elle est plus psychologique que réelle.

« Psychologique », pouvez-vous préciser ?
Au contraire de la Chine et de l’Inde, qui ont encore la faveur des investisseurs, nous pensons que la crise est passagère à l’est. Après la période de déstockage, il faudra bien que les détaillants se réapprovisionnent. Nous pensons que ces pays ont une propension de retour à l’achat plus importante qu’ailleurs. Et si Versace et Gucci y ouvrent des magasins, c’est que nous ne sommes pas les seuls à le croire.

Avez-vous des exemples ?
En Bulgarie, les clients ont de l’argent mais préfèrent différer leurs achats. En Hongrie, où sévit une crise structurelle profonde, nous travaillons avec un détaillant qui connaît une croissance nulle. En Croatie, on sent un frémissement positif : à Split et Zagreb, nous vendons des pièces à 10'000 francs suisses. Même chose en République Tchèque, mais il faut s’aventurer là où personne ne va : à Brno, par exemple, ou Karlovy Vary, une station thermale que les Russes fréquentent depuis l’époque communiste. Cependant, je reconnais qu’il faut forcer les portes, même chez ceux qui vont bien.

Quelles sont les marques les plus en vue ?
Ulysse Nardin, Hublot et Zénith ont une forte notoriété dans ces pays. Parmi les marques que nous représentons, Corum remporte un vif succès avec les modèles Admiral’s Cup et Golden Bridge. En Tchéquie, les collections de Graham Chronofighter et Silverstone sont très demandées.

Justement, vous travaillez pour des marques traditionnelles comme Chronoswiss, d’autres plus contemporaines telles que Corum et même des marques avant-gardistes comme Concord ou Manufacture Contemporaine du Temps (MCT). Quels sont les « best sellers » ?
La Corum Admiral’s Cup Black Hull, présentée ce printemps à Bâle (9'350 francs suisses prix public), ainsi que la Ti-Bridge et son mouvement unique (16'000 francs suisses) font l’objet d’une forte demande. Ironie du sort, la Coin Watch, autrefois portée par les présidents américains, connaît un regain d’intérêt inattendu. Mais l’esthétique et le savoir-faire traditionnels des mouvements squelettés Chronoswiss plaisent aussi beaucoup à l’est car la marque, qui évoque clairement la Suisse, rassure les clients. Quant aux pièces MCT, elles sont surtout destinées aux collectionneurs ukrainiens et russes, étant donné leur prix.

Quel est le prix moyen ?
Il diffère selon les pays : en Croatie, on vend surtout de pièces en acier à 10'000 francs suisses. En Ukraine, l’écart est plus marqué : pour la collection Corum, ça va d’une GMT à 5'000 francs suisses au tourbillon à plus d’un million. Pour ma part, je préfère la notion de « prix psychologique », qui a fortement évolué avec la crise car, s’il n’y a pas de prix moyen à proprement parler, les négociations sont plus serrées sur l’ensemble de la zone.

Les montres sont-elles bradées comme aux Etats-Unis actuellement?
On ne peut nier que le marché parallèle existe. Certaines pièces passent d’un pays à l’autre.

Peut-on parler de « tourisme horloger »?
Oui et non. Nos détaillants ont tissé des liens si forts avec leurs clients qu’ils continuent d’acheter chez eux malgré les différences de prix - comme en Hongrie, où l’état vient d’augmenter la TVA de 20 à 25% -. Dans l’ensemble, la grande force du détaillant c’est le patron et son réseau personnel, parfois hérité de l’ère communiste et transmis de père en fils. Un bon dirigeant travaille au magasin et entretient des liens privilégiés avec sa clientèle, qui apprécie les égards qu’il lui témoigne. De notre côté, nous contrôlons les niveaux de prix à chaque visite pour éviter les dérapages, à la hausse comme à la baisse.

Comment comptez-vous réussir dans le contexte actuel ?
Nous misons sur la proximité, la disponibilité et la formation du personnel. Je passe 80 à 90% de mon temps en déplacement et je visite mes clients jusqu’à cinq fois par an. Nous organisons des événements chez eux et proposons des journées de formation à travers des jeux de rôles. Cela nous réussit plutôt bien : à Riga, en Lettonie, un client m’a invité à passer plusieurs jours dans son magasin, tous frais payés. J’y ai appris à mieux connaître ses clients et j’ai fait des ventes directes pour motiver ses vendeurs. Notre politique, c’est le long terme.

Quelles difficultés principales rencontrez-vous sur le terrain?
Les douanes. Je suis resté bloqué plus de trois heures en Ukraine parce qu’il manquait un tampon. C’est folklorique.

Et la mafia ?
Ce n’est pas un problème pour nous. Peut-être pour nos détaillants.

Quel conseil donnez-vous à ceux qui souhaitent suivre vos traces ?
Qu’ils passent par des experts. Ces marchés sont très complexes car les clients n’achètent pas de la même manière partout. En Bulgarie par exemple, une cliente, qui souhaitait payer en cash, a exigé de se trouver seule avec moi - à l’abri des regards - avant de sortir son argent. Les réflexes acquis pendant la période communiste sont tenaces.
Propos recueillis par Anaïs Georges du Clos

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