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Exposition ce samedi et vente aux enchères ce dimanche : Patrizzi & Co occupait ce week-end son terrain genevois de prédilection.
Avec 253 lots, dont il faut fouiller les notices pour découvrir comment certaines pièces permettent de réécrireen douceur quelques pages de l’histoire horlogère...
••• WATCHMAKING MASTERPIECES :
SUBLIME ELEGANCE IN HOROLOGICAL WORKS OF ART
Si les mots ont un sens, retenons celui qui a été choisi pour qualifieer cette vente aux enchères : élégance ! Il traduit une approche originale du marché des enchères et de l’art de séduire les amateurs-collectionneurs, un peu déstabilisés par la crise de ces douze derniers mois, mais pas pour autant résignés à renoncer à leur tropisme horloger.
Business Montres se promenait récemment dans les pages d’« un des catalogues les plus fascinants de 2009 » : c’était chez Christie’s (enchères du 16 novembre prochain). A quelques centaines de mètres de là, Osvaldo Patrizzi préparait sa propre vente du 25 octobre (catalogue en ligne sur le site Patrizzi & Co Auctioneers).
Deux maisons d’enchères, deux stratégies différentes pour convaincre les collectionneurs. Quand Christie’s mise sur les 10 pièces maîtresses (Patek Philippe) d’une célèbre collection milanaise pour renforcer l’attrait de son catalogue, Patrizzi & Co ouvre le jeu en proposant un survol historique et culturel de la passion pour les montres depuis le XVIe siècle. Verticalisation ici, horizontalisation là. Focalisation patrimoniale chez l’un, sensibilisation émotionnelle chez l’autre : les résultats (attendons novembre) diront qui – du jeune loup et du vieux renard – avait fait le bon choix dans son approche...
••• LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Comme tout « vieux renard » qui se respecte (ce n’est pas une question d’âge, mais d’expérience !), Osvaldo Patrizzi n’a pas voulu mettre tous les œufs dans le même panier. D’où sa recherche de l’excellence dans l’« élégance » et le large spectre de son échantillonnage des objets du temps les plus séduisants. Ceux qui suivent les enchères auront sans doute reconnu, dans ce catalogue, quelques pièces qui pourraient bien venir de la même collection milanaise que les montres proposées par Aurel Bacs chez Christie’s : tant qu’à étancher sa soif à la même source (encore que le catalogue d’Aurel Bacs doive beaucoup à quelques amateurs américains), force est d’admettre que le choix de l’un et de l’autre est forcément signifiant...
Quelles surprises dans les vitrines qu’Osvaldo Patrizzi dédiait ainsi à l’élégance horlogère ? Beaucoup de trouvailles et de pièces rarissimes, qui rassemblent, l’espace d’une vente, les maîtres-horlogers de tous les pays d’Europe et de tous les siècles depuis la Renaissance. Revue rapide, et par ordre subjectif d’intérêt plutôt que par prix, les détails se trouvant dans le catalogue en ligne. Ceci sans perdre de vue le fait que les estimations du catalogue correspondent à une vraie enchère, nette de tout frais supplémentaire (c’est le concept « zéro commission + garantie de cinq ans » de Patrizzi & Co)...
• LOT 104 : cette horloge-métallophone (dotée d’une « boîte à musique » est datée de 1680, mais il n’en existe pas d’autres au monde. On peut l’aimer pour la décoration de son cabinet (écaille de tortue et bois précieux) ou pour sa mécanique horlogère, c’est en tout cas une survivante des guerres civiles européennes, puisque les cabinets qui restaient ont disparu pendant la Seconde Guerre mondiale...
• LOT 111 : une rarissime « lunette horlogère » telle qu’on les fabriquait vers 1805 pour les empereurs chinois, qui étaient les seuls à pouvoir s’en offrir une paire. Aucune paire n’a été retrouvée, sauf le pendant de ce lot, mais c’était en 2003. On ne se lasse pas d’admirer le travail d’émaillage autant que la subtilité horlogère de la pièce...
• LOT 115 : Business Montres en a déjà beaucoup parlé, mais cette montre à « heures variables » est absolument fascinante...
• LOT 101 : une horloge de table datée de 1580 et attribuée aux horlogers d’Abbeville (France). Encore une pièce unique, qui peut chavirer le cœur d’un amateur de montres contemporaines tellement elle est riche d’émotions transhistoriques...
• LOT 107 : 20 000-30 000 francs suisses pour une Ferdinand Berthoud à répétition des quarts, c’est donné ! Datée de 1777, cette montre de poche est une quasi-pièce historique d’un des horlogers les plus géniaux de son temps
• LOTS 102 et 106 : des superbes montres de carrosse du XVIIe siècle (lot 102) et du XVIIIe siècle (lot 106). On notera l’évolution eshétique de la mécanique à un siècle d’écart
• LOT 210 : c’est tout simplement la plus petite montre du monde (9,7 mm de diamètre) et c’est une montre de poche suisse datée de 1880. Dimension théorique du mouvement (qui manque) : 2,8 lignes, record jamais égalé. On lira avec profit la notice sur les « plus petites montres du monde »...
• LOTS 227-228 et 231-232 : cet ensemble de pendules Cartier est absolument exceptionnel, puisque composé de pièces uniques ou quasi-uniques, dont certaines ne figurent même pas dans le musée privé de Cartier. D’autres n’existent qu’en un seul exemplaire en dehors du même musée Cartier (notamment la « sonnerie de marine, lot n° 231 : ci-dessus), ce qui promet des enchères soutenues. Même si on n’aime pas les « chinoiseries », chapeau bas !
• LOT 103 : une montre-crucifix qui pourrait être « royale » (datée de 1630, elle pourrait avoir été offerte à Anne d’Autriche, la femme de Louis XIII, par un grand seigneur français), mais les preuves manquent : plutôt que les ferrets de la reine, on peut se demander si ce n’était pas cette montre en croix, échappée du décolleté royal, que cherchaient d’Artagnan et ses copains mousquetaires...
• LOTS 141-144 ET 151 : quelques Breguet de tout premier plan, dont une intéressante « montre royale » de Marie-Louise, la reine d’Espagne qui avait le feu à la culotte et dont les rugissements amoureux réveillaient tout le palais...
• LOT 233 : cette « Amande » de Cartier recale nos connaissances historiques sur les plus petits mouvements du monde. Quand tout le monde a entendu parler du célèbre calibre 101 de Jaeger-LeCoultre (1929), on découvre que Edmond Jaeger avait mis au point, dès 1922, puis livré en 1923, notamment à Cartier, des mouvements encore plus petits en forme de « navette ». Ces « Amande » – souvent détruites par les années et les horlogers maladroits » – sont un étonnant témoin de la créativité des Années Folles...
• LOT 124 : une Panerai historique au pedigree incontestable, puisque c’était celle de l’amiral Scialdone quand il était nageur de combat dans les Comsubin (unité qu'il a commandée). Boîte, mouvement et couronne Rolex pour cette Panerai des années cinquante, qui est accompagnée d’une lettre autographe de la fille de l’amiral...
• LOT 1 : le mystère de cette pendule de table est très agaçant. On devine le bon faiseur à son exécution et au soin mis à réaliser son étui de voyage en cuir, mais pas la moindre signature !
• LOTS ROLEX : les amateurs de Submariner et de Daytona font se faire plaisir avec des variantes pas trop connues (la lunette mauve de la Sub fait de l’effet au poignet !)...
• LOTS PATEK PHILIPPE : il y en a dans ce catalogue pour tous les goût et presque tous les budgets, depuis les rarissimes tourbillons d’observatoire (lot 241), qui commencent à peine à faire leur apparition aux enchères, jusqu’aux références stars des catalogues, comme la 1463 (4 lots), la 570 (4 lots) ou les classiques chronos quantième perpétuel, en passant par quelques somptueuses mécaniques de poche (lots 243, 244, 248, 250 ou 252)...
• REMARQUES FINALES : Patrizzi & Co n’a pas abusé du déstockage qui défigure tant de catalogues 2009, alourdis par trop de montres neuves à la recherche d’un amateur introuvable en boutique. Une salle d’enchères n’est pas une annexe parallèle de Madison Avenue...
••• LA CRISE A ÉGALEMENT REBATTU LES CARTES DES ENCHÈRES HORLOGÈRES : le déclin annoncé d’Antiquorum [il n’aura pas surpris les fidèles lecteurs de Business Montres depuis l'été 2007], la montée en puissance de Christie’s [même réflexion] et le retour sur le devant de la scène d’Osvaldo Patrizzi [qui n’aura pas déçu ces mêmes lecteurs] ont puissamment remodelé ce paysage très particulier des enchères de montres.
• Parce qu’il reste tout aussi stratégique en temps de crise, ce monde de la haute collection horlogère est à surveiller de près : on y recale les images de marque et on y refonde discrètement les prétentions patrimoniales, à l’abri des excès du marketing et des manipulations médiatiques. Cette déstabilisation fait que, aujourd’hui, tous les indices comptent : d’où l’intérêt de Business Montres pour ces « promenades » dans les catalogues et les expositions d’avant les ventes.
• S’il reste encore imparfaitement transparent, ce marché des enchères reflète malgré tout avec une relative fidélité la réalité d’une certaine demande pour ce qui concerne les montres classiques. Oublions donc pour l’instant la minceur des apparitions de la nouvelle génération dans ces enchères (ça viendra, mais ce n’est pas mûr !) et continuons à explorer les arcanes de ces ventes organisées par des ténors du marteau : on en apprend toujours plus sur l’horlogerie à leur contact qu’en parcourant les vitrines des boutiques ou les sites des marques... |