|
L’échappement constitue un ensemble mécanique sensible au coeur du mouvement horloger.
Depuis plusieurs années,les marques mènent d’intenses recherches pour tenter d’augmenter son rendement, sa précision ou sa fiabilité. Les nouveaux matériaux et parmi eux,l’incontournable silicium dont nous nous sommes fait largement l’écho dans notre précédente édition, ont permis de grands progrès. Mais les champs d’investigation ne se limitent pas aux matières. Constructions inédites, doublage du spiral ou encore ré-interprétations d’anciens systèmes, la compétition est vive, riche et de haut niveau. Tour d’horizon.
Logé au coeur du mouvement, l’échappement transforme l’énergie libérée par le barillet en impulsions. Son rôle est donc primordial puisque c’est lui qui régule la marche de la montre. Construction complexe et délicate, il pose de nombreux problèmes que les horlogers essaient de résoudre depuis des siècles. Pertes d’énergie, irrégularité de la vitesse, sensibilité à la température ou à la gravitation, il est le plus souvent responsable des dérèglements que connaît un mouvement. Depuis que l’horlogerie cherche de nouveau à augmenter les performances chronométriques des calibres mécaniques, les idées fusent. Et il est intéressant de constater qu’ingénieurs et constructeurs suivent des pistes parfois fort diverses. Si beaucoup d’entre eux se sont retrouvés dans l’utilisation du silicium (voir le précédent numéro de Revolution), quand il s’agit du mécanisme et de son fonctionnement, chacun fouille son sujet de recherche avec la méthode qui permettra d’en venir, peut-être, à bout.
De l’heureux hasard débouchant sur une idée géniale, comme c’est le cas avec l’echappement constant de Girard-perregaux, à la volonté de mettre en avant une exclusivité industrielle – H. Moser & Cie -, aucune règle ne prédomine à ces recherches. Revolution s’est penché sur les cas les plus en vue. Mais la liste n’est pas exhaustive car les tiroirs des horlogers dissimulent encore de nombreux croquis et brevets.
Précision et absence de lubrification
En 1999, Giulio papi, fondateur et à la tête de la société de développement demouvements Audemars Piguet Renaud & Papi (APRP), commence à réfléchir sur un échappement qui soit le plus stable possible. “ L’objectif initial était de réaliser un échappement consommant un minimum d’énergie, raconte-t-il. Dans un système à ancre suisse, 65% de la puissance se perd dans les frottements, ce qui génère également des perturbations. Il fallait donc réduire la consommation d’énergie de l’échappement pour diminuer les erreurs de marche et augmenter sa précision. Nous en avions besoin pour assurer la précision des mouvements à complications.”
L’échappement dit de type “ Robin ” ou “ à détente ” est retenu pour son excellent rendement. Problème, il résiste mal aux chocs et parfois le système saute des dents de la roue d’échappement. La régularité n’est donc plus assurée. Les ingénieurs sont sur le point d’abandonner la recherche, butant sur ce problème, quand Olivier Augereau, l’un des responsables du projet, suit une intuition et constate qu’il suffit de modifier la position du dard en le tournant de 90 degrés pour permettre de sécuriser totalement le système. Au-delà du progrès technique, par ailleurs breveté, l’idée révolutionne cet échappement qui passe pour l’un des plus anciens de l’horlogerie.
La seconde qualité majeure de l’échappement Audemars Piguet tient au fait qu’il n’a pas besoin d’être lubrifié. “ Les premiers tests étaient en cours quand Omega annonçait ne plus avoir besoin d’huile dans son échappement co-axial. Puisque nous étions justement en phase exploratoire, nous avons fait fonctionner les premiers prototypes sans les lubrifier. Grâce à la surface de contact extrêmement réduite entre les palettes et les dents de la roue d’échappement de notre système, nous avons constaté que nous pouvions nous aussi nous passer de lubrification.
”La première version de l’échappement compte un seul spiral. Mais bientôt ce dernier sera doublé. “ Nous suivions aussi les travaux réalisés par François-Paul Journe sur son chronomètre à Résonance, relève Giulio Papi. Basé sur un principe physique,cette montre est dotée de deux mouvements siamois intégrés dans un même calibre et dont les échappements sont positionnés côte à côte. S’influençant mutuellement, les deux systèmes finissent par s’équilibrer d’eux-mêmes, régulant ainsi la marche. Nous avons retenu le concept de deux spiraux travaillant de concert mais l’avons intégré dans un seul échappement. L’enjeu crucial a été d’obtenir de notre fournisseur deux spiraux totalement similaires. Mais grâce à cette nouvelle construction, nous avons pu augmenter largement la fréquence. ” Le modèle Jules Audemars avec échappement Audemars Piguet présenté ce printemps bat en effet à la vitesse de 43’200 alternances/heures, soit 6 Hz, ce qui en fait l’un des garde-temps parmi les plus rapides du marché. Cumulant un rendement optimisé, l’absence de lubrification et une vitesse de pulsation très élevée, l’échappement Audemars Piguet incarne à tout point de vue une avancée déterminante en chronométrie. Par ailleurs, le fait qu’il ne contient que des matériaux courants et non transformés, tels des rubis standards ou de l’acier, le distingue nettement des projets en cours chez les autres marques. Actuellement, la manufacture travaille sur l’industrialisation de cet échappement pour l’intégrer à terme dans un nombre croissant de modèles.
Transmission de l’énergie
Ulysse Nardin a montré la voie à de nombreuses maisons en termes de recherche et de développements chronométriques. Société plus que centenaire mais fonctionnant dans une logique de start-up, elle a été la première à intégrer du silicium dans des mouvements. Dans le domaine des échappements, elle s’est illustrée en présentant le mouvement freak. Calibre fascinant tournant sur lui-même, il intègre un échappement inédit imaginé par Ludwig Oechslin, l’horloger à la base des réalisations majeures de la manufacture. Appelé échappement dual direct, il présente une forme complètement nouvelle dont les composants ont été réalisés pour la première fois en silicium. Deux raisons expliquent le choix d’Ulysse Nardin d’augmenter les performances de l’échappement. “ Cet organe intervient directement dans la qualité et la précision d’une montre, explique Pierre Gygax, le directeur de la manufacture.
Ensuite, savoir maîtriser la conception et la fabrication d’échappements renforce nettement notre indépendance. ”Depuis sa première apparition, l’échappement dual direct a connu des modifications mais sans jamais s’éloigner du principe de base reposant sur une transmission de l’énergie par menée plutôt que par chocs comme c’est le cas avec l’échappement à ancre suisse par exemple. Le principe de base repose sur le mouvement de deux roues tournant dans le sens contraire l’une de l’autre grâce à un système d’engrenage. Sur la seconde version baptisée Dual Ulysse, elles sont entraînées via un alternateur transmettant les impulsions du balancier. “ Depuis la version d’origine, nous avons augmenté le nombre de dents pour passer de cinq à 18 sur la version actuelle. C’est la version industrialisée actuellement et qui bat à la fréquence de 28’000 alternances/heure. Mais il faut souligner que cet échappement n’aurait pas vu le jour sans la photolithographie sélective, un procédé de fabrication d’une grande précision permettant de créer des pièces impossibles à usiner par les moyens traditionnels. ” Ulysse Nardin a déjà dépassé le stade des petites séries et fabrique aujourd’hui plusieurs milliers de pièces par année dotées de l’échappement Dual Ulysse.
Pièce amovible
La marque H. Moser & Cie a l’immense avantage de pouvoir travailler en priorité avec la société Precision Engineering SA, puisque toutes deux appartiennent au Moser Group basé à Schaffhouse, en Suisse. Spécialisée dans la fabrication et le traitement d’alliages pour spiraux, la société développe, produit et commercialise tous les composants indispensables à un module d’échappement. Ainsi, tous les échappements présents dans les montres H. Moser & Cie proviennent de ses propres ateliers. Un avantage industriel capital. Dans ce marché dominé par Nivarox, propriété du Swatch Group, qui fournit la quasi-totalité des marques horlogères suisses, Precision Engineering n’a d’autre ambition que de se profiler comme seconde source d’approvisionnement pour l’ensemble des composants liés à l’échappement. Profitant de cet accès privilégié à un outil industriel de pointe, la marque s’est dès le début employée à approfondir la maîtrise de l’échappement en travaillant notamment sur la notion d’interchangeabilité. Les ingénieurs de H.Moser & Cie ont donc mis au point un échappement amovible d’un seul tenant. Grâce à sa construction sous la forme d’un module interchangeable, cet échappement subit un minimum de manipulations. Autre avantage majeur, le module est commun à tous les modèles de la marque.
A une époque où une foule de marques tentaient d’expliquer que le tourbillon permettait – même sur une montre-bracelet - de corriger les défauts de marche dûs à la gravitation, Dr Jürgen Lange, CEO de H. Moser & Cie, et son équipe préfèrent travailler non sur la “correction du défaut” mais sur “l’absence de défaut.” “Nous étions d’avis que, pour la montre-bracelet, le tourbillon ne remplit pas favorablement sa mission qui est de corriger les effets de la gravitation, précise Eric Moser, président de Moser Group. Néanmoins, nous voulions apporter notre contribution à l’amélioration de cet ensemble stratégique pour la montre mécanique, c’est pourquoi nous avons développé un échappement muni d’un double spiral. ” Baptisé Straumann Double Hairspring, il est composé de deux spiraux totalement similaires positionnés l’un en face de l’autre au coeur du balancier. Pour être capable de produire des spiraux jumeaux, il était absolument indispensable de maîtriser l’ensemble du processus, de la coulée de l’alliage au spiral fini. C’est la force de Precision Engineering et de ses partenaires. En compensant mutuellement leurs écarts, les deux spiraux jumeaux assurent une marche plus régulière : l’ensemble devient moins sensible aux effets de la gravitation, ce qui augmente les performances chronométriques du calibre. S’il reste évasif sur les développements en cours, Eric Moser ne cache pas que Precision Engineering travaille encore à d’autres améliorations.
Une constante dans la perfection
La manufacture Chaux-de-fonnière a beaucoup fait parler d’elle au printemps 2008 lorsqu’elle a dévoilé son premier prototype équipé de l’Echappement Constant. La surprise fut d’autant plus grande que ce système révolutionnaire se base sur un principe physique unique avec le passage d’une fine lame flambée en silicium d’un état stable à un état métastable. Outre une régularité accrue, le système possède la qualité exceptionnelle de s’arrêter immédiatement dès que la réserve d’énergie ne suffit plus à faire fonctionner le calibre à un rythme normal. En 2005, le propriétaire et CEO de la marque, Luigi Macaluso, donne son aval à cette recherche inédite. Il confirmait par là une idée venue d’un horloger de la manufacture qui, rentrant chez lui en train, jouait avec son billet en le pliant légèrement entre deux doigts. Constatant que la courbe due à la pression se déplaçait quasi mécaniquement d’un côté à l’autre lorsqu’il appuyait un peu plus fort, il eut l’idée d’en tirer un système d’échappement.“ La volonté de départ n’était pas d’inventer un nouvel échappement mais devoir comment révéler l’idée de l’horloger, raconte Xavier Markl, le directeur marketing. C’est l’évolution des recherches qui a finalement mené à repenser totalement le système. Parmi toutes les avancées réalisées, la plus significative tient certainement à l’absence de pièces entre la lame et le balancier qui sont directement en contact. ”Malgré une morphologie sans rapport avec les systèmes déjà existants, ce nouveau venu rentre dans la catégorie des échappements à force constante puisque l’énergie transmise aux trains de rouage ne varie pas selon que le barillet soit remonté ou partiellement déchargé. Autre caractéristique déterminante, les variations d’amplitudes sont très fortement réduites. Enfin, l’échappement Constant est actuellement testé avec une fréquence de 7,5 Hz. “ La fréquence n’est pas encore déterminée mais la haute vitesse n’est pas notre principal objectif, commente Xavier Markl. Aujourd’hui, nous devons d’abord apprendre à l’apprivoiser pour commencer à l’exploiter. Les premières montres équipées de cet échappement ne seront pas disponibles sur le marché avant 2011.”
Plus vite, plus loin, plus longtemps
Alors que Girard-Perdreaux dévoile son prototype, Chopard diffuse un bref communiqué annonçant que la manufacture met au point elle aussi un échappement maison. Un chiffre-clé est donné: une fréquence record de 72’000 alternances/heure. Une année plus tard, un premier modèle à tourbillon doté du nouveau mécanisme et battant à 28’800 alternances/heure est présenté confidentiellement à Baselworld. “ Les recherches, qui ont débuté il y a plus de deux ans, visaient à fiabiliser et optimiser les performances de l’échappement, explique Karl-Friedrich Scheufele, co-président de Chopard. Le silicium a immédiatement été retenu par les chercheurs de la cellule Chopard Technologies car il ne nécessite aucune lubrification. Cette caractéristique a également ouvert la voie à une augmentation de la vitesse par la multiplication de dents sur la roue d’échappement. A cet axe de recherche se rajoute la fiabilisation d’un mouvement de base équipé de ce nouvel échappement. Car le but final est en effet de monter progressivement ce mécanisme sur tous nos calibres manufacturés. Ayant nécessité le dépôt de deux brevets, il est actuellement en phase de test en vue d’une industrialisation. ”La manufacture entend en effet célébrer ses 150 ans d’existence qui auront lieu l’année prochaine en présentant un calibre heures, minutes, secondes doté de cet échappement à haute fréquence. Bien entendu, un effort particulier sera réalisé sur les capacités de la réserve de marche - un domaine où Chopard agit en spécialiste - qui sera de longue durée.
La fiabilité pour Leitmotiv
Fondateur de la marque Fabrication de Montres Normandes et d’origine allemande, Karsten Frasdorf dévoilera au Salon Belles Montres à Paris son premier prototype doté de son nouvel échappement à triple ancres et deux roues d’échappement. Basé sur un modèle d’échappement développé par l’horloger suisse Xavier Theurillat dans les années 1930, il se distingue par une transmission régulée de la force des barillets au balancier grâce à un ressort spiral indépendant. Il fonctionne donc comme un filtre entre la source d’énergie (barillet et rouage) et l’échappement, par ailleurs composé de 31 pièces au total, balancier non-compris. L’avantage de ce système tient au fait qu’il retient le sur plus de force lorsque les barillets sont complètement remontés. Il lisse ainsi l’arrivée d’énergie dans le mouvement. D’autres marques se montrent également très actives dans ce domaine, telle De Bethune, par exemple, qui a présenté, entre autres, de nombreuses variations de forme du balancier. Reste qu’une fois développés, ces systèmes doivent s’avérer fiables,pérennes, mais pas seulement. L’étape suivante consiste à pouvoir assurer un processus d’industrialisation efficace ainsi que d’adapter son service après-vente en conséquence.
Louis Nardin - Worldtempus |