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Le respect dû aux anciens est une des traditions les plus sacrées de l’horlogerie.
Manifestement, elle s’est perdue à Genève au moment de souffler les trente bougies de Tribune des Arts.
Votre Quotidien des Montres n'oublie cependant pasles bonnes nouvelles de la semaine : le retour de l’Opus 3 chez Harry Winston et la ola planétaire réservée au couple Silberstein-Busser.
Ce qui rend encore plus symbolique la consécration de la nouvelle génération au prix Montres de l’année (Ringier).
...CETTE SEMAINE, LE SNIPER A...
••• EXPLIQUÉ
aux lecteurs inquiets par la brutale inflation éditoriale de mercredi dernier (10 posts dans la même journée !) que Business Montres n’avait pas embauché une nouvelle équipe, mais qu’il s’agissait simplement de procéder à des essais de calages éditoriaux pour le futur nouveau site (informations accessibles aux seuls abonnés payants). Tant qu’à faire, autant mettre en ligne des vrais textes ! Ceci expliqué, le rythme de cette journée peut donner une petite (toute petite) idée de ce que sera le flux d’actualités du futur site payant, véritable Quotidien des Montres en ligne, soit un projet unique au monde : on aura vérifié ce mercredi que rien de ce qui fait tic-tac ne nous est étranger...
••• REPÉRÉ
la montre-événement de la saison : une vieille connaissance baptisée Opus 3 et jusqu’ici repoussée aux calendes grecques. Elle marche ! Réalisée en 2003 par Vianney Halter pour Harry Winston (à la demande de Max Busser), cette montre à affichage digital (six « hublots » dans lesquels on lit heures, minutes, secondes et date exprimés par dix disques) aura réclamé plus de six ans de mise au point et, ces derniers mois, le renfort d’une équipe dédiée chez Renaud Papi. On la voyait hier soir au poignet de Didier Decker, le directeur de la manufacture Harry Winston de Plan-les-Ouates, et elle fonctionnait ! On pouvait le vérifier au disque qui décompte les quatre dernières secondes avant le saut de la minute !
La montre est actuellement en cours de fabrication et les premiers exemplaires de cette série limitée (55 pièces) seront en vitrine dans moins d’un mois. Cette Opus 3 (ci-dessus) s’annonce comme la « concept watch » la moins chère du marché, alors qu’elle est une des plus disruptives : elle sera proposée à son prix initial de 2003, soit 85 000 francs suisses pour le modèle or et 100 000 francs suisses pour le platine. Ce qui est certes coûteux, mais presque « donné » pour le niveau de technicité de la montre et son concentré d’intelligence horlogère. Bonne affaire, donc, pour les collectionneurs ! Etonnant : alors qu’elle paraissait assez volumineuse en 2003, notre œil s’est habitué à de « grosses patates » et l’Opus 3 est désormais de dimensions relativement modestes (36 mm x 52 mm) compte tenu des standards actuels du marché !
••• ÉTÉ CHOQUÉ
(le mot est faible) par l’humiliation publique infligée à « notre ami Gabriel Tortella » au cours de la soirée genevoise théoriquement consacrée aux trente ans de Tribune des Arts. Passons sur la faute morale que constitue la goujaterie désinvolte du « discours officiel » rappelant cet anniversaire [la plus élémentaire bonne éducation aurait réclamé un minimum d’hommage, et non ce mépris blessant expédié en seize secondes !]. Songeons plutôt à la faute professionnelle incroyable que fut cette fête minable, négociée au rabais, pour célébrer le plus ancien des magazines consacrés aux montres et un des seuls à avoir résisté au marasme publicitaire : quel plus bel exemple de la « destruction de valeur » pointée du doigt par Business Montres hier ? Voir le plus ancien serviteur de l’horlogerie genevoise ainsi relégué sur une chaise en plastique, entre marshmallows et méchants petits fours, avait quelque chose de pathétique : c’était à pleurer et je ne suis pas sûr que « notre ami Gabriel » n’en ait pas eu envie face à un tel manque de respect ! Les nouveaux barbares – cette « coalition des médiocres et des comptables » dont parlait Business Montres – ont non seulement le cœur sec, mais également la vue assez basse pour mordre la main qui les nourrit. Le sentiment de honte et d’écœurement était partagé par beaucoup d’insiders présents hier soir : heureusement, à deux ou trois exceptions près, les CEO horlogers n’avaient pas fait le déplacement, ce qui a évité à notre « ami Gabriel » une vexation d’amour-propre supplémentaire...
••• IL EST INCONCEVABLE QUE BUSINESS MONTRES en ait fait plus hier pour commémorer cet anniversaire que le groupe Edipresse, dont TdA est tout de même la vache à lait horlogère. Si un titre mérite attention au sein du groupe, c’est précisément TdA, par son ancienneté qui fait référence et son modèle économique hors concours, mais aussi par le « système » qu’il verrouille. En traitant ainsi TdA avec la plus cynique irrévérence, on prouve à la fois son arrogance, son manque de tact et sa profonde méconnaissance des vraies valeurs du luxe. Tout faux, zéro pointé !
• On s’en désole d’autant plus que le contraste était frappant avec la cérémonie des Montres de l’année proposée la veille par le groupe Ringier : bonne ambiance, bel espace, saine conception du luxe et de l’hospitalité, beau sens de la fête, petites attentions et valorisation professionnelle des acteurs. Comparaison édifiante, mais fatale pour les ploucs !
••• ADORÉ,
en revanche, les jolies filles de la génération GMT Mag, venues fêter avec les jeunes décideurs de l’horlogerie les dix ans du magazine, dont les animateurs – Pierre Jacques et Brice Lechevalier – donnent l’impression d’être restés toujours aussi jeunes. Même lieu, même heure, même musique, même (mauvais) buffet que pour les trente ans de Tribune des Arts, mais autre mentalité et autre convivialité pour un autre public. Ce qui démontre la stupidité d’avoir mélangé les deux anniversaires et le manque de discernement des économies de bouts de chandelle ainsi réalisées par une équipe qui accumule par ailleurs des pertes énormes...
••• TANT QU’À FAIRE DANS LE RATAGE FESTIF, on aurait pu aussi célébrer le premier anniversaire de Revolution, le bide le plus mémorable de la presse horlogère pour toute la Bulle Epoque...
••• DÉCELÉ
les prémisses d’une future chasse à l’homme, du moins à ceux dont les poignets portent une Patek Philippe : après Rolex, la meute – qui a enfin compris la différence entre une Rolex et une Patek Philippe – semble vouloir changer de gibier. Il est tout de même rare que Le Monde cite la marque d’une montre aussi « pointue » : c’était pourtant le cas dans un article consacré à Stéphane Richard, le nouveau futur président de France Télécom. Au Royaume-Uni, c’est la Patek Philippe 5146 du leader travailliste Peter Mandelson qui pose problème à cause de son prix, 23 000 euros (35 000 francs suisses), un peu élevé pour un leader de gauche : le Daily Mail en profite pour en remettre une couche sur la Patek Philippe de Nicolas Sarkozy. Si les journalistes européens se mettent à chiffrer les montres de nos élites, comme vient de le faire la presse russe, bonjour les dégâts (Business Montres du 26 octobre) !
••• SALUÉ
le retour d’un « vieux renard » sur le devant de la scène horlogère, avec le lancement par Claude Daniel Proellochs (le père) de la marque De Bougainville, à Neuchâtel. L’ancien président de Vacheron Constantin, qui avait fait ensuite un passage éclair chez DeWitt histoire de garder la main, annonce une collection plutôt typée classique et forcément d’esprit XVIIIe siècle pour 2010. La frégate dans laquelle Bougainville a réalisé son célèbre tour du monde – le premier réalisé par un officier français de la Royale – s’appelait La Boudeuse : beau nom pour une revanche horlogère !
••• ÉTÉ IMPRESSIONNÉ
par la densité et la qualité des commentaires qui ont accompagné – sur Internet – le lancement par MB&F de la nouvelle HM N° 2.2 (Business Montres du 27 octobre) : enthousiasme quasi-général (sauf quelques sites... francophones !) et appréciations positives de l’apport discret, mais structurellement très décisif, d’Alain Silberstein, que tout le monde semble avoir félicité pour n’avoir pas donné trop libre cours à la sa passion pour la couleur. Les blogs les plus influents et les sites les plus référents ont embrayé pour créer une sorte de raz-de-marée visuel, qui a submergé toutes les autres nouveautés de la semaine. A Hong Kong comme à Londres ou à Los Angeles, les amateurs ne parlaient plus que de ça : comme Business Montres le précisait, et au vu de cette vague d’enthousiasme chez les relais d’opinion, quelques détaillants qui ont raté le coche commencent à vouloir réviser leur copie, mais il n’y aura que huit pièces – même pas trois par continent – et Max Busser a profité de cet effet de rupture pour décrocher un ou deux nouveaux détaillants. Pourvu que ça le pousse à étoffer sa collection Friends, typique de la tendance « capsule » nouvelle génération...
••• ON PEUT D’AILLEURS SE DEMANDER SI CETTE HM N° 2.2 ne constitue pas une nouvelle étape dans l’épanouissement du style Silberstein, qui se détache des fondamentaux du Bauhaus pour atteindre à une sorte de maturité créative, plus « libérée », sans doute moins dogmatique et assurément encore plus séductrice. Il ne rechigne plus aux angles adoucis, aux matériaux soyeux ou aux formes bêtement basiques. Comme quoi même les seniors de la nouvelle génération ont raison de se frotter à leurs juniors – et Max Busser ne le regrette pas non plus !
••• FÊTÉ
en petit comité les 25 ans du musée Omega de Bienne, qui cache dans ses réserves près de 7 000 pièces en n’en exposant que 2 000, ce qui est déjà beaucoup pour l’espace disponible. Fondé en 1984, à une époque où les marques suisses se souciaient assez peu de patrimoine et entrevoyaient tout juste une porte de sortie à la crise du quartz, c’est – semble-t-il – le plus ancien musée de marques de la branche horlogère. Un lieu unique, dont les temps forts les plus connus (le chronométrage sportif et la conquête spatiale) ne sont pas les moins intéressants...
••• NOTÉ
les commentaires on ne peut plus satisfaits et positifs de tous ceux qui assistaient à la remise des prix Montres de l’année, marquée par le triomphe de la nouvelle génération, avec cependant un bémol : on a sans doute une fois de plus récompensé des marques, et non des créateurs authentiquement horlogers. Explication : ni Max Busser (MB&F), ni Felix Baumgartner (Urwerk), ni d’ailleurs Antonio Calce (Corum) ne sont des « inventeurs » de mouvements : seul Denis Giguet (MCT) aurait pu à la rigueur répondre à ce cahier des charges. Pour que la fête soit totalement réussie, il manquait sans doute dans le palmarès des « vrais » horlogers de nouvelle génération, comme Kari Voutilainen ou Peter Speake-Marin (impossible de les citer tous), capables à la fois de construire eux-mêmes un mouvement et de dessiner une montre...
••• RENCONTRÉ
quelques journalistes asiatiques (Hong Kong et Singapour) qui confirment tous le retournement de tendances évident sur leurs marchés : la régression du style « bigger + richer = better » semble définitivement acquise, avec, au contraire, un certain snobisme de l’understatement ostentatoire – comprenez que plus le vrai luxe est discret, plus il se remarque. C’est patent avec le style Savile Row, et non plus Armani ou Hugo Boss, dans les vestiaires masculins, et ça aura forcément un impact sur l’horlogerie. Ce changement de logiciel n’est cependant pas à interpréter comme une condamnation de la nouvelle génération, dont les propositions audacieuses sont, au contraire, considérées comme des pièces d’art contemporain. Sont en cause les marques et les montres qui ont font un peu trop et sans pertinence, ni légitimité créative. Ce n’est donc ni un retour au classique, ni un réflexe frileux, seulement l’apprentissage de la maturité par les amateurs les plus récemment convertis à la passion horlogère...
••• CE QUI ÉVOQUE UNE MALADIE CONTAGIEUSE dont parlait le n° 49 de Business Montres (22 février 2007, il y a donc presque trois ans) : c’était la singapourite ! On y évoquait « l’éclosion d’une génération de montres biscornues, bariolées et boursouflées, souvent monstrueusement kitsch. Rappelons que ce mot vient de l’allemand kitschen (« ramasser la boue des rues ») : il traduit le « caractère esthétique d’objets dont les traits dominants sont l’inauthenticité, la surcharge, le cumul des matières ou des fonctions, le mauvais goût ou la médiocrité » (définition du très officiel Trésor de la langue française) !
« Pourquoi se gêner quand les marchés semblent demandeurs d’un tel kitsch ? Quels marchés ? On diagnostique ici une nouvelle épidémie horlogère : la singapourite foudroyante.
« On sait que la cité-Etat de Singapour est – par habitant et par mètre carré – le meilleur marché mondial pour les montres de luxe. C’est là qu’on trouve les plus belles boutiques, les plus riches acheteurs, les meilleurs magazines horlogers et les plus grands collectionneurs. Tout s’y vend, un peu à n’importe quel prix, pourvu que ça fasse... waow, comme on dit là-bas.
« C’est à Singapour qu’il faut être connu sous peine de n’être pas reconnu. C’est là qu’on en fait trop, par peur de n’en faire pas assez. La flamboyance du « style singapourien » est le démon de midi des respectables chaisières de l’horlogerie. C’est pour séduire Singapour que certaines marques ont reconstruit leurs collections, au risque de décourager d’autres amateurs, moins frimeurs et moins flambeurs. Faute de défenses naturelles (histoire, identité, intelligence), certains ne se relèveront pas de cette sidération. (...)
« Pour faire plaisir à quelques amateurs « qui veulent s’éclater », on risque une vertigineuse surenchère dans l’importable, qui sera très vite irréparable et invendable. Demain, c’est la « bulle » qui va… s’éclater ! »
• Il y a trois ans, on n’était pas très nombreux – c’est un euphémisme ! – à parier sur l’« éclatement de la bulle horlogère » et à se poser des questions sur la déformation causée par le trou noir des nouveaux marchés dans le tissu spatio-temporel de l'horlogerie...
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