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Circularité XX et linéarité XY
 
Le 10-11-2009
de Business Montres & Joaillerie

Quels sont les marqueurs décisifs d’une montre de femme face à une montre d’homme ?

Quels sont les repères identitaires qui différencient nettement un modèle masculin d’un modèle féminin ?

Quelques pistes de réflexion pour y voir plus clair dans un débat confus…


••• STYLE JIVARO
A dix semaines du Genève 2010 et à moins de vingt semaines de Baselworld 2010, le débat sur la « détermination sexuelle » (concept scientifique) de la création horlogère reste d’actualité, quoique confus et brouillé par le conservatisme marchand des uns et la frivolité hautaine des autres.

Débat d’ailleurs aussi ancien que les montres elles-mêmes, qui n’ont cessé de changer de sexe depuis leur apparition en tant qu’objets portables, au XVIe siècle. Tantôt colifichet de mode joaillière, tantôt instrument scientifique, la montre a successivement été un jouet de garçon et un bijou de fille. Débat compliqué : songeons ici que la plupart des montres-bracelets les plus anciennement attestées sont des montres de femmes (de la reine d’Elizabeth Ière d’Angleterre à notre impératrice Marie-Louise) et que, voici tout juste un siècle, un homme qui portait une montre-bracelet était soit un grand sportman, soit une grande coquette, mais certainement pas Monsieur Tout-le-monde…

Les marques d’horlogerie ont profité du récent revival mécanique pour renforcer la culture machiste de la montre-bracelet, ce qui n’a pas manqué de pousser les femmes dans les bras de « marques de mode » horlogères, qui ne leur tenaient pas un austère discours technico-historique pour se contenter de les faire rêver sur la magie d’une marque, le goût d’une couleur ou le « choix » mercenarisé d’une starlette.

Moyennant quoi, aujourd’hui, les mêmes marques sectatrices de l’hyper-mécanique se posent des questions sur l’art de séduire les poignets féminins et sur la bonne stratégie à déployer pour reconquérir des parts de marché préemptées par les licences des griffes fashion. Qui n’a pas sa néo-complication féminine, son « mignon » chrono ou son « adorable » phases de lune, modèles qui cachent généralement sous les rubans, la nacre et les cailloux, de simples propositions de concepts masculins en taille XS ?

Comme si le réflexe du Jivaro réducteur de tête était le suprême espoir et la suprême pensée d’une horlogerie machiste à la recherche de l’autre moitié de l’humanité…

••• LES FEMMES CONÇOIVENT-ELLES LE TEMPS COMME LES HOMMES ?
Sachant que le dimorphisme sexuel est très poussé chez les primates supérieurs, tant sur le plan physiologique que sur le plan psychologique [on connaît la théorie sur les hommes qui viennent de Mars et les femmes de Vénus], il serait étonnant que les femmes aient la même conception du temps que les hommes. De fait, elles vivraient plutôt dans un temps plus cyclique, holistique (global), et selon des schémas circulaires, quasiment-sphériques, qui privilégient la fluidité circadienne sur la brutalité des alternances solaires. Bref, côté temps, les femmes seraient plutôt dans la Lune, quand les hommes s’orienteraient mieux au Soleil...

Les femmes sont manifestement et spontanément du côté de la clepsydre, alors que les hommes ont inventé d’arrêter le temps pour mieux le décompter. Là où les anciennes sociétés mesuraient des flux et des écoulements (eau, sable, feu), la modernité médiévale a imaginé de cadencer une machine (tic, puis tac) pour recréer un mouvement à partir d’un arrêt (tic-tac). Ce qui est philosophiquement très révélateur : même l’utilisation d’un flux électrique, normalement continu, a été asservi à un moteur pas à pas pour mesurer le temps sur une montre électronique à quartz.

Ce rythme binaire (ouvert/fermé) et séquentiel (marche/arrêt) a été le vecteur d’une reconquête du temps par les mâles, mais ce choix technologique de l’horloge à échappement se trouve dans l’incapacité ontologique de dire le temps et d’en concevoir l’écoulement. D’où l’angoissant silence des philosophes et des (méta)physiciens contemporains sur la nature d’un temps qui leur échappe à peu près totalement…

On découvre alors que les femmes, soumises à une horloge biologique autrement plus contraignante que celle des hommes, et hyper-sensibles aux effets du temps sur leur capacité de séduction, ont intégré depuis toujours cette perception fluide et presque « flottante » d’un temps pensé comme l’éternel retour d’un perpétuel présent – dans le droit fil des matérialistes de l’Antiquité.

Aux hommes la vanité de découper conséquentiellement le temps pour l’afficher (ou le programmer) sans jamais parvenir à l’actualiser. Aux femmes la vanité de pouvoir se passer d’inutiles instruments du temps, qui ne font jamais que camoufler sous d’habiles décorations leur impuissance conceptuelle à maîtriser le sujet dont ils sont les objets.

Moyennant quoi, les hommes et les femmes disposent à peu près des mêmes montres et lisent l’heure sur des cadrans à peu près identiques. Cherchez l’erreur… Que font donc les « Chiennes de garde » ?

••• LES FEMMES AIMENT-ELLES LE MÊME TEMPS COMME LES HOMMES ?
Pour les raisons bio-psychologiques évoquées ci-dessus, il serait très surprenant que les femmes réclament aux objets du temps ce que les hommes en exigent avec une telle débauche d’intelligence, de technique et d’énergie ! Si les unes s’avèrent indifférentes à la maîtrise des rouages, les autres sont visiblement rassurés par la technique, dont l’art des complications n’est que la traduction mécanique.

L’insatisfaction de ces femmes ne pourra donc que se nourrir de montres « féminines » qui se présentent sous la forme de montres « masculines »… émasculées ! C’est-à-dire plus petites, rognées, moins démonstratives et rendues chichiteuses par quelques injections de botox cosmétique (couleur, nacre, diamants, etc.). Pas étonnant, dans ces conditions, que bon nombre de femmes préfèrent l’original à la copie, la grande Panerai à sa petite sœur et le vrai chrono de pilote plutôt que sa déclinaison en petite sirène à étoiles de mer et oursins…

Peut-on imaginer un défilé de mode féminine où les mannequins ne porteraient que des costumes masculins downsizés, mais décorés d’une « délicate touche féminine » ? Ce qui nous donnerait des shorts en lamé sur des vestons rebrodés assortis de cravates en rideau de perles : au secours ! Navrante perspective qui est cependant celle des actuelles vitrines horlogères...

On peut se demander quelles études marketing poussent les horlogers – qui se rient de ces études, il est vrai ! – à s’imaginer que les femmes aiment les tourbillons [incarnation d’un vertige intrinsèquement masculin], les fonds saphir et les rouages apparents [pour admirer quoi ?], les chronographes [même pour chauffer un biberon, c’est tout sauf pratique] ou les « petites montres » [surtout celles dont le mini-cadran maxi-illisible exige de chausser des lunettes reléguées par coquetterie au fond du sac à main]…

Apparemment, les designers horlogers sont les seuls à n’avoir pas remarqué que les femmes ne font pas vroom-vroom aux feux rouges, qu’elles n’aiment pas soulever le capot de leur automobile et qu’elles ne sont pas fascinées par la perspective de changer un pneu. De même qu’elles ne demandent pas à visiter l’atelier de Christian Louboutin, alors qu’elles se pâment devant ses semelles rouges, elles ne semblent pas hypnotisées par le culte de la performance micro-mécanique et des matériaux issus de la recherche aérospatiale...

C’est qu’elles demandent tout autre chose au temps (pour elles, un simple repère fonctionnel) et aux montres (un accessoire parmi d’autres au sein de leur boîte à outils de séduction).

••• LE TEMPS DES FEMMES EST-IL PLUS POÉTIQUE QUE CELUI DES HOMMES ?
Que pourraient donc aimer ces femmes qui n’ont pas du tout le même rapport au temps que les hommes ? Lire l’heure n’est pas pour elle, semble-t-il, un impératif aussi catégorique que pour les hommes, surtout si cette heure est exprimée avec une précision digitale stressante. Laquelle heure digitale (chiffres) n’a de charme que si elle s’avère instantanément ultra-lisible – même sans lunettes !

Dans ce contexte, l’aiguille des secondes ne sert qu’à vérifier le bon fonctionnement de la montre, bien mieux que ne pourrait le faire le battement d’un balancier ou la giration d’un rotor. Côté complications purement horlogères, à part quelques phases de lune [pourvu qu’elles soient plus ludiques et spectaculaires que les affichages actuels], on fait vite le tour de ce qui touche vraiment le cœur des femmes…

Un détail a tout de même son importance : le matériau. Le succès de la Chanel J12 – première icône horlogère absolue du XXIe siècle – doit beaucoup à sa structure en céramique, qui n’était pas une première horlogère, mais qui a cristallisé dans une seule montre plusieurs tendances dans la quête d’une « vraie » montre. Une pièce qui soit à la fois bien griffée (difficile de faire mieux que Chanel), rassurante par sa taille, confortable dans sa lecture de l’heure et surtout polysensorielle par son toucher très doux, sa tiédeur « maternante » au porter et son inaltérabilité supposé, qui est en soi un défi au temps. Dans la mise en scène très habile d’une céramique promue au rang de matière précieuse, le cerveau a retenu le mot « diamant » quand on lui a précisé que cette céramique était à peu près « aussi inrayable et dure que le diamant ». Fawaz Gruosi avait eu le même coup de génie marketing en lançant son « diamant noir » – défi joaillier d’une alchimie qui a transformé en or la poussière de charbon cristallisée !

L’autre grande idée de Chanel aura été de basculer d’équilibrer cette proposition noire tantôt par des vraies pierres précieuses, tantôt par une céramique blanche [cette fois, une vraie première horlogère], tout aussi « maternante » et régressive dans sa laiteuse mais absolue pâleur, qu’on peut retrouver dans quelques matériaux fétiches des vraies montres de femmes (perles, nacre, etc.)...

••• QUELLES MONTRES POUR QUELLES FEMMES ?
Rappelons que la perception féminine de l’heure paraît fondée sur une conception circulaire (et non linéaire ou purement instrumentale) du temps, avec tout ce que cette idée peut recouvrir de naturalité intuitive et de mise en scène amusée de ce qui se passe sur un cadran. Dès qu’on dépasse la simple demande fonctionnaliste de l’heure, le paysage s’éclaircit. La mise en valeur de l’instant comme lien de séduction exige une certaine préciosité du traitement : les montres de joaillerie excellent dans ce registre dès qu’elles ne sont pas des copies serties de modèles masculins. On peut penser ici à la Reine de Naples de Breguet, ou aux collections Piaget (de la Magic Hour à la ligne Limelight), irréductibles à toute influence masculine, de même que le Bestiaire animalier de Cartier ou le nouveau Bestiaire extravagant de Boucheron. Ultra-féminines aussi, les Lipstick imaginées par Fawaz Gruosi chez de GrisogonoPersonne n’a oublié une des propositions les plus fortes du dernier quart de siècle : l’inusable série des Happy Diamonds chez Chopard...

Parallèlement à l’instant de la séduction, il y a aussi le temps du rêve. Van Cleef & Arpels a fixé la barre très haut avec ses complications poétiques, parangon et récapitulation du nouvel esprit de l’horlogerie féminine : concept circulaire et cyclique du temps, dimension ludique de l’objet, émotion poétique de la décoration (la fée, les saisons, la promenade), discrétion absolue de la technique, qui ne se voit pas alors qu’elle est au cœur de la proposition, préciosité joaillière de l’ensemble.

Et il y a, enfin, l’heure qu’il faut bien lire sur un cadran : chiffres en folie des index Crazy Hours chez Franck Muller, stylisation ultime chez Guy Ellia (ses chiffres décadrés sont en passe de devenir un standard) ou efficacité cartésienne des chiffres digitaux placés par Delaneau au milieu de fleurs en trois dimensions délicatement serties et émaillées. Le mix est le plus « juste » est au point d’équilibre d’une fluidité dans la forme, d’une forme d’insolence dans le détail, d’une touche de séduction dans la mise en scène du temps et d’un supplément d’âme subliminal dans la proposition...

••• ALORS, QUELLE HORLOGERIE FÉMININE ?
Ce n’est donc ni une question de forme [tout est possible, du plus classique au plus étonnant], ni une question de taille [les nouvelles Infinity Ellipse de Franck Muller ont un galbe intelligent qui les rend très portable en dépit de leur 60 mm], ni même une question de caratage. Ce n’est évidemment pas une question de marque [même s’il existe des « génétiques » horlogères parfaitement XX – Cartier, Chanel, Van Cleef & Arpels, par exemple – et d’autres typiquement XY – IWC, qui en joue, ou Panerai, qui s’en délecte], ni une question de prix [quelques Swatch sont d’une parfaite dignité]...

C’est seulement une affaire de respect dû aux femmes et d’ouverture d’esprit pour leur proposer des montres dignes d’elles, sans faire de fixisme sur les solutions purement fonctionnelles du passé. C'est peu, mais ça doit être beaucoup – et même trop – quand on constate à quel point la plupart des marques de montres sont résolument hors sujet...

•••• Ci-dessus : la nouvelle Infinity Reka, collection qui portera désormais l’identité féminine de Franck Muller. Décalage et sertissage sont les deux mamelles de l’horlogerie féminine. Au fait, Reka pour carré en verlan ? On se lâche grave, à Genthod !

 



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